Parlons poil !
Le corps des femmes sous contrôle
J. Lenrouilly, L. Taieb
Parlons poil !
Le corps des femmes sous contrôle
J. Lenrouilly, L. Taieb
J. Lenrouilly, L. Taieb, (2021), Parlons poil ! ‑ Le corps des femmes sous contrôle, Florent Massot Eds, 225 p, ISBN : 9782380352948
Compte rendu de Mandjou Héas
Référence électronique
Héas M., (2022), « Parlons poil ! », La Peaulogie 9, mis en ligne le 11 juillet 2022, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/parlons‑poil
Parlons Poil ! Le corps des femmes sous contrôle est un ouvrage journalistique et engagé écrit par Juliette Lenrouilly et Léa Taieb, journalistes (la première chez France Télévisions et la seconde est indépendante) et créatrices du compte Instagram @parlonspoil. Elles se sont rencontrées à l’Institut français de la presse.
Cet ouvrage est une enquête sur le poil féminin aujourd’hui et s’appuie sur les mouvements contemporains. Plutôt qu’un historique du poil, les auteures proposent de prendre conscience de la place de ce dernier dans notre société du 21ème siècle.
En novembre 2019, deux questionnaires (l’un s’adressant aux femmes, l’autre aux hommes) sur le rapport à la pilosité féminine ont été partagés sur leurs réseaux sociaux : plus de 2300 réponses ont été collectées et ont donné naissance à ce livre.
Ce livre n’a pas une construction classique.
En effet, composé de 10 chapitres, l’ouvrage s’appuie sur des recherches scientifiques d’experts dans le domaine et se mêle à la pop culture[1] (reprenant les codes connus des réseaux sociaux). Elles sont allées à la rencontre de chercheur·se·s, sociologues, psychologues, dermatologues, gynécologues, esthéticiennes, spécialistes en marketing et ont recueilli des milliers de témoignages, rencontré des créatrices de contenus, des militantes et des femmes de tous âges. De toutes ces rencontres, elles tirent des citations et témoignages qui appuient leurs dires et donnent de la crédibilité, de la légitimité à leurs propos.
« Le poil n’est pas censé être beau ou moche, il est présent sur les hommes comme sur les femmes. C’est une injonction patriarcale et je pense qu’on devrait se réapproprier nos corps. »Nour, 25 ans. (p. 134)
« L’usage régulier du smartphone rend particulièrement dépendant et renforce la focalisation sur le physique. Non seulement on est obsédé par son apparence, mais les images des autres rendent jaloux », explique Jean‑François Amadieu. Selon le sociologue, la pression sociale pousse de plus en plus à la conformité à un modèle de beauté, le glabre. »
Elles ont fait le choix de rédiger leur ouvrage en écriture inclusive, elles s’adressent directement à leurs lectrices et lecteurs. L’idée étant de prendre à partie et de garder une certaine proximité (propre à leurs contenus sur les réseaux). Chaque idée peut faire référence à un imaginaire commun et à une lutte connue et reconnue, faisant également référence à différents mouvements précurseurs et sortant ainsi du territoire français (Body Positivisme…). Ceci nous permettant d’avoir un regard plus vaste et de remettre en perspective notre lecture.
Chaque chapitre contient des sous‑parties encadrées colorées (correspondant à la couleur du chapitre en question) qui apportent un éclairage historique et nous demande ce que l’héritage de l’histoire a eu comme effet sur notre présent. Ces sous‑parties ont pour but d’approfondir une idée en nous donnant les ressources notamment de lecture nécessaires à la compréhension dans son ensemble.
« En 1970, les féministes marchaient dans la rue, le soutien‑gorge en feu et les poils au corps. Dans les années 2000, le Mouvement international pour une écologie libidinale (MIEL) observe une régression de la cause des femmes « qui avaient intériorisé la domination en l’inscrivant dans leur corps même« , observe Jocelyn Patinel[2], président du MIEL. L’industrie anti‑poil serait en partie responsable de ce changement des mentalités, de ce mépris pour la pilosité féminine. » (p. 32)
La lecture de cet ouvrage est accompagnée de références visuelles diverses (campagnes publicitaires, peintures, photographie d’art…) visibles directement sur le site internet[3] visant à appuyer, illustrer les propos et apporter une vision et un éclairage artistiques à la place du poil dans la société.
Les deux auteures mettent en lumière des grandes questions de société auxquelles elles apportent plusieurs éléments de réponse permettant de prendre le recul nécessaire et de simplifier ces interrogations. Ces dernières sont juxtaposées avec des mises en situation de concepts, « le marketing de la honte »par exemple, mettant en scène différents personnages, jouant chacun un rôle, afin de démonter les systèmes préconçus. Quel est l’objectif de ces marques qui prennent le poil à cœur ? Il n’y a évidemment pas une seule réponse. […] Pour simplifier les choses, on vous propose plusieurs réponses (qui peuvent être compatibles). (p. 39)
Personnage 1 : Allez. Go. Dans nos prochaines campagnes, les règles ne sont plus bleues mais rouges et les poils existent sur le corps féminin. Je sens qu’on tient le bon bout !
Personnage 2 : On devrait attendre que les Ricains s’y mettent avant de se lancer, non ?
Personnage 1 : T’as pas tort. (p. 46)
Ces jeux de rôles traités avec humour et subtilité sont ensuite accompagnés de chiffres clés, d’exemples fondés démontrant par A + B leur raisonnement. Ensuite pour valider leur argumentaire, elles s’appuient sur des commentaires d’internautes, continuant de donner la parole aux lectrices et lecteurs.
« Par contre, faire une vidéo sur l’acceptation des poils en partenariat avec une marque pour épilation wtf. » (p. 51)
« Mdrrr dire que je pensais qu’elle allait parler de la liberté des femmes avec leurs poils, etc. Quelle naïveté. » (p. 51)
Pour terminer une conclusion très concrète solde chacune des 10 parties et est accompagnée d’un conseil de lecture/d’écoute visant à apporter d’autres éléments de réponse et de réflexion aux lectrices et lecteurs pour les accompagner dans son cheminement personnel :
On vous conseille le podcast d’Arte Radio La Guerre du poil pour une infiltration dans les coulisses de l’épilation féminine. (p. 136)
On vous conseille la vidéo de 26 minutes intitulée DANS MA TETE : Femme à POILS. La youtubeuse La Carologie, nous raconte comment elle a réussi à s’assumer avec des poils sans se sentir sale, moins féminine, moins respectable ou moins attirante. (p. 180)
Cet ouvrage comporte une dernière partie ludique et pédagogique regroupant plusieurs éléments.
Une frise historique du poil et du non poil dans l’Histoire, donnant ainsi en un coup d’œil les grandes lignes de l’évolution de notre perception au fil des grands courants historiques :
PRÉHISTOIRE On s’épilait à l’aide d’une pince (retrouvée dans les sépultures). (p. 215)
XVIe SIÈCLE Le poil revient en force. Les femmes ornent leur toison pubienne de petits rubans de couleur ou bouclent leurs poils. Au même moment, on rase le pubis des sorcières « pour annihiler les pouvoirs qu’elles détiennent de leurs poils. » (p. 216)
Un tour du monde du poil avec des fun fact internationaux démontrant avec humour différentes visions sociales du poil féminin :
AFRIQUE DU SUD Chez les Tsongas (peuple d’Afrique australe), les filles en âge d’être mariées étaient supposées se raser la tête et le sexe, symbole de féminité. Traditionnellement, la repousse des cheveux et des poils symbolise le passage de la jeune fille à la femme. (p. 220)
CORÉE Pour les Coréennes, avoir des poils pubiens, ça compte. Pour autant, 10% de la population féminine souffre d’atrichose ou d’hypotrichose pubienne : une insuffisance de poils au niveau du sexe. Conséquence : entre 2010 et 2012, la greffe de poils pubiens aurait augmenté de 160%. (p. 220)
Les fake news du poil les plus populaires expliquées et (enfin) démenties scientifiquement / géographiquement / historiquement :
D’OU VIENT LE MONOSOURCIL ?
C’est un hommage à Frida Kahlo
C’est une histoire de famille
La science n’a pas encore tranché (p. 223)
Et enfin 1001 façons de se débarrasser de ses poils sous couvert de différents marqueurs : le prix, la douleur, la fréquence… Visant ainsi à informer, avec légèreté et humour, de la pluralité des pratiques dépilatoires mais également de leurs différentes conséquences physiques et morales :
LA CIRE
Chaude, froide, au sucre, au caramel, en bande, en roll‑on ou étalée sur la peau à la spatule, la cire n’a toujours qu’une seule mission : coller le poil. Si la cire est retirée d’un coup sec, le poil est arraché à la racine.
Bourse : €/€€ (ça dépend si c’est réalisé à la maison ou chez l’esthéticienne).
Douleur : Si l’enfer a un deuxième prénom, appelez‑le Epilation… Même si ça dépend pour qui et par qui s’est réalisé.
Fréquence nécessaire : Toutes les trois semaines.
Risques : Brûlures, lésions, varices, peau « arrachée« , irritations, boutons. (p. 224)
[1].↑ Pop culture
noun [ U ]
UK /ˌpɒp ˈkʌl.tʃər/ US /ˌpɑːp ˈkʌl.tʃɚ/
« music, TV, cinema, books, etc. that are popular and enjoyed by ordinary people, rather than experts or very educated people »
Cambridge Dictionnary https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/pop‑culture
[2].↑.Qui a désiré s’inscrire en doctorat et n’a pas reçu le soutien nécessaire, notamment au niveau local dans « son » université, pour le faire dans de bonnes conditions.