Réécrire la peau. La reproduction du tatouage

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    Noura AMARA-LEBRET

    Avocate au barreau d’Angers. Diplômée en Droit de l’Art et de la Culture et de la Propriété Intellectuelle.

    Référence électronique

    Amara-Lebret N., (2025), « Réécrire la peau. La reproduction du tatouage », La Peaulogie 12, mis en ligne le 14 février 2025, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/reecrire-peau

    Résumé

    Le tatouage est considéré comme une œuvre de l’esprit. Ce qui pose, du point de vue des droits d’auteur, un certain nombre de questions juridiques, dont celle du droit de reproduction du tatouage. Car en effet, en droit de la propriété intellectuelle, l’auteur de l’œuvre de l’esprit est titulaire des droits de représentation et de reproduction. La particularité du tatouage, qui est d’être un dessin sur la peau d’un être vivant vient complexifier la question du droit de reproduction du tatouage.

    Mots-clés

    Tatouage, Droits D’auteur, Reproduction

    Abstract

    Tattooing is considered a work of the mind. From the copyright perspective, it poses a few legal questions including that of its rights of copying. Indeed, in intellectual property law, the author of the intellectual work is the holder of the rights of representation and reproduction. The particularity of the tattoo, which is a drawing on the skin of a living being, complicates the question of the right to reproduce the tattoo.

    Keywords

    Tattooing, Copyrights, Reproduction

    Lequel d’entre nous pourrait prétendre n’avoir jamais vu de tatouage, tant ce dessin a envahi la surface corporelle ? L’engouement pour le tatouage s’est accéléré depuis les années 1990 : aujourd’hui, un peu plus de 18% de la population française serait tatoué, contre 10% en 2010[1].

    Et au‑delà du nombre de tatouages, c’est également la surface d’épiderme tatoué qui a augmenté.

    Si le tatouage peut être considéré comme un effet de mode actuelle, force est de constater que le recours au tatouage est récurrent dans l’histoire.

    Son origine étymologique vient du mot tahitien tatau, lequel terme signifie dessiner, marquer et de l’expression « Taatouas », ta signifiant dessin et atua signifiant « esprit, dieu[2] ».

    Ces dessins, indélébiles, pratiqués sur le corps en introduisant des matières colorantes, sous la peau, au moyen de piqûres ont une origine historique incertaine, mais ancienne. Peut‑être, serait‑il possible de résumer en indiquant que le tatouage semble exister depuis que le monde est monde. En effet, les fouilles archéologiques ont mené à la découverte d’aiguilles en os de rennes et de mortiers portant des traces de pigments, datant de 25.000 ans, qui laissent à penser que les premiers hommes se livraient déjà au tatouage. Cependant, aucune découverte de corps, n’est venu confirmée cette hypothèse. De manière certaine, nous savons que le premier tatouage connu date de 5300 ans. Il fut trouvé sur le corps d’un chasseur, nommé Ötzi, dans un glacier à la frontière italo‑autrichienne, qui portait 61 tatouages formés de lignes parallèles le long de sa colonne vertébrale, ainsi que des croix et des traits sur ses articulations. Si l’étymologie du mot démontre le caractère religieux du tatouage, qui survivra jusqu’à nos jours, ce ne sera cependant pas le seul. L’étude des ossements de notre ancêtre Ötzi révéla que les zones où étaient réalisés ses tatouages portaient des signes d’arthrose. Il en fut déduit que ces tatouages avaient une finalité médicinale[3]. Aux Samoa, le tatouage est un rite de passage à l’âge adulte. Le tatouage a aussi été utilisé comme signe d’appartenance à un groupe (tribal, …) ou comme moyen de marquer de manière indélébile certaines catégories de personnes (esclaves, prisonniers). Il revêt aujourd’hui, notamment en France, une finalité cosmétique.

    C’est aux alentours des années 1700 que le mot tatouage sera francisé. Il sera introduit dans le Dictionnaire de l’Académie Française en 1798. Il sera alors défini comme l’« Action de tatouer ».

    Le tatouage est une pratique, qui n’a jamais disparu, bien au contraire. Elle a ainsi contraint les Etats à  légiférer, afin d’encadrer cette activité, qui, sans revêtir de caractère médical touche cependant au corps humain. Car la particularité de ce dessin est bien sa matérialisation sur une ou plusieurs parties du corps humain. Il confronte, ainsi, les notions de corps et d’esprit en posant la question du respect du corps humain, marqué, et celle du respect de la liberté intellectuelle, de l’esprit, à l’origine du marquage.

    La France, comme d’autres pays, a donc établi un arsenal de règles sanitaires, définies par le décret du 19 février 2008, qui fixe les conditions d’hygiène et de salubrité relatives aux pratiques du tatouage, sanctionnées pénalement. De surcroît, outre le respect desdites règles, les professionnels du tatouage n’échappent pas, comme tout autre prestataire de service, à l’obligation d’information, posée par la législation.

    D’aucuns perçoivent aisément la volonté étatique d’encadrer une activité qui touche au corps humain. S’il est aisé de comprendre la volonté de protection du client, qui va être marqué sur son corps, quid de la protection du professionnel, le tatoueur, qui va opérer l’opération de tatouage ? Selon Philippe Charlier (Rituels, édition Cerf), « la peau serait un ouvrage en perpétuelle réécriture ». Et en matière de tatouage, l’auteur de l’ouvrage s’avère être le tatoueur.

    Quelle protection accorder à cet auteur ?

    LA PROTECTION DU TATOUEUR

    Il convient de se référer au Code de la propriété intellectuelle. En son article L. 112‑2, il établit une liste des œuvres de l’esprit protégées et en son 7èment il énonce, entre autres, les œuvres de dessin. Il dispose en effet que « Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code

    […] 7° Les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ».

    Or, la définition du tatouage est claire : il s’agit d’un dessin. Par conséquent, son auteur bénéficie d’une protection légale, dès lors que le dessin remplit les conditions de l’œuvre de l’esprit et notamment celle d’originalité. Cette protection est prévue à l’article L. 112‑1 du Code précité, lequel énonce que sont protégés les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. La jurisprudence a reconnu cette protection : « les tatouages sont des œuvres originales exécutées de la main du tatoueur selon une conception et une exécution personnelle, et qui présentent une part de création artistique » (Crim., 6 mai 1986,  D. 1987, somm. p. 151, obs. C. Colombet ; Crim, 28 sept. 1999, Comm. com. électr. 2000, comm. 4, note C. Caron).

    Le tatoueur bénéficie donc de la protection de son droit moral, droit accordé à tout auteur, à savoir :

    ‑ droit au respect de sa paternité, c’est‑à‑dire être reconnu comme auteur de l’œuvre et pouvoir d’exiger que son nom soit mentionné en tant qu’auteur de cette œuvre

    ‑ droit de retrait, c’est‑à‑dire droit de faire cesser l’exploitation de son œuvre

    ‑ droit de divulgation ou droit de communiquer publiquement l’œuvre

    ‑ droit au respect de l’œuvre ou droit d’interdire toute modification ou atteinte à l’œuvre.

    Il bénéficie également de la protection de son droit patrimonial, son droit exclusif d’exploitation, comprenant son droit de représentation et son droit de reproduction. Le caractère exclusif signifie que seul l’auteur peut décider d’exploiter son œuvre. Sans son accord, aucune exploitation n’est possible. Le droit de représentation est prévu à l’article L. 122‑2 du Code de la propriété intellectuelle : « La représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque ». C’est le droit de porter l’œuvre à la connaissance du public et ce par divers moyens : récitation, projection, télédiffusion, y compris celle numérique. Le droit de reproduction est, quant à lui, prévu à l’article L. 122‑3 du Code précité. C’est « la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés ». Le droit de reproduction interroge, s’agissant d’un droit qui peut sembler limité, en ce que réalisé sur le corps humain. Or, le corps humain est de libre disposition selon l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. D’où la question de savoir qui est en mesure de reproduire un tatouage ? L’auteur ? Le client ? Un tiers ? Le tatoueur dispose‑t‑il d’un doit exclusif de reproduction ?

    Effectivement, le tatoueur bénéficie d’un tel droit. Ce qui signifie, en pratique, que l’auteur du tatouage peut le reproduire sur un autre client, comme sur un autre support et ce, sans aucune autorisation du client tatoué. La solution n’est pas si simple, en ce qu’il existe des limites à ce principe. Les premières sont issues du droit de la propriété intellectuelle lui‑même et ne sont en rien originales, en ce qu’elles valent pour tout auteur. Elles s’attachent à la nature de l’œuvre. Si cette dernière est une œuvre que nous pourrions qualifier d’individuelle, c’est‑à‑dire créée par un auteur unique, en l’espèce le tatoueur, en effet, celui‑ci pourra seul décider de la reproduction de l’œuvre. Mais s’il s’agit d’une œuvre de collaboration, il en va différemment. L’œuvre de collaboration est définie par l’article L. 113‑2 du Code de la propriété intellectuelle. Il s’agit de « L’œuvre à laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ». Cela signifie qu’au moins deux individus, des personnes physiques et non morales, ont créé ensemble une œuvre originale. Dès lors que le tatouage est créé dans ces conditions, s’appliquera l’alinéa 2 de l’article précédemment cité, lequel prévoit que les auteurs devront exercer leur droit d’un commun accord. Ce qui signifie que l’un des tatoueurs ne pourra reproduire l’œuvre sans l’accord du ou des autres de ses collègues co‑auteurs. En en cas de farouche désaccord, ce sera à la justice de trancher ! Les secondes pourraient venir d’une simple commande exécutive laquelle s’entend de la commande par un client à un tatoueur de l’exécution d’un dessin, qu’il a lui‑même réalisé. Cela signifie que le tatoueur se contente de reproduire un dessin, qui n’est pas sien. Dans ce cas, le véritable auteur du dessin serait le client et le tatoueur un simple exécutant. Et c’est, par conséquent, le client qui bénéficierait du droit de reproduction. Mais, cette hypothèse doit s’avérer rare, car la spécificité du tatouage, qui est, d’être réalisé sur le corps humain, implique que le tatoueur puisse être amené à le modifier pour l’adapter à la peau et au corps du client et ainsi, il y mettra sa touche personnelle. Dans l’hypothèse, ci‑dessus exposée, il s’agirait alors encore d’une coparentalité de l’œuvre qui empêcherait la reproduction par l’un seul des auteurs. Il est aisé d’imaginer qu’à la vue d’un magnifique tatouage, un tiers ait envie de reproduire ce dernier. Or, comme précédemment indiqué, client ou tiers se doit de respecter le droit exclusif de l’auteur tatoueur. Le droit exclusif de reproduction qui, pour autant, peut s’avérer entravé.

    LE DROIT DE REPRODUCTION DU TATOUEUR ENTRAVÉ PAR LES DROITS DE SON CLIENT

    L’exclusivité peut être gommée par les droits du client. Pour ce qui est du tiers, il ne peut, comme nous l’avons déjà indiqué, reproduire le tatouage sans autorisation du tatoueur, auteur du dessin. C’est l’application pure et simple des règles du droit de la propriété intellectuelle. Dès lors que le tiers entreprend une telle reproduction sans l’aval du tatoueur, il porte atteinte au droit patrimonial de ce dernier. C’est ce qu’a jugé la Cour d’appel de Paris dans l’affaire dite du tatouage de Johnny Halliday (CA Paris, 3 juill. 1998). Johnny Hallyday portait sur son épaule un tatouage d’aigle. Deux sociétés, Polygram et Western Union, reproduisaient ce tatouage sur différents supports (jaquettes de DVD et CD, t‑shirts, publicités) à des fins commerciales. L’auteur du tatouage agît en contrefaçon et se vit opposer en défense que le tatouage faisait partie de l’image de Johnny Halliday et qu’il pouvait donc être exploité indépendamment de l’image de la star. La Cour d’appel ne s’est pas laissée convaincre par une telle argumentation. En effet, si elle a reconnu un droit à l’image à Johnny Halliday ‑ dont elle précise qu’il n’est pas l’auteur du tatouage et n’a donc aucun droit sur ce dernier, qu’il aurait pu être susceptible de céder – elle a encadré ce droit, en posant que, dans l’exercice dudit droit, le tatouage ne peut apparaître que de manière accessoire. Elle considère, qu’en l’espèce, les sociétés défenderesses n’ont pas reproduit une image de Johnny Halliday, sur laquelle apparaîtrait de manière accessoire le tatouage de celui‑ci, mais bien reproduit le tatouage lui‑même et à des fins commerciales. Elle déduit de manière cohérente qu’il fallait donc requérir l’autorisation de l’auteur du tatouage et qu’en l’absence d’une telle autorisation, les sociétés se sont rendues coupables d’un acte de contrefaçon, qui ouvre droit à indemnisation de l’auteur.

    Cet arrêt distingue donc clairement le tatouage et le porteur du tatouage. Dès lors que la reproduction vise le dessin du tatouage même, il est indispensable pour le reproduire d’obtenir l’autorisation de son auteur. Le client bénéficie d’un doit à l’image, qui lui permet d’être photographié ou filmé, son tatouage étant visible (ou pas !), avec son accord. C’est ce droit à l’image qui vient limiter l’exclusivité du droit de reproduction du tatoueur. Le client peut être photographié, son tatouage étant visible. Dès lors que le tatouage n’est visible que de manière accessoire, l’autorisation de l’auteur de celui‑ci n’est pas requise. Le tatoueur ne peut s’opposer à l’exercice, par son client, de son droit à l’image. Il ne peut lui interdire de se faire photographier et ne peut lui imposer d’être photographié avec son tatouage visible. Au‑delà du droit à l’image, dans cette dernière hypothèse, il s’agit aussi du respect du corps humain et de la dignité humaine. Et si le tatoueur peut publier une photo de son tatouage, il ne peut publier une photo de son client tatoué sans son accord, au risque de violer le droit à l’image de ce dernier. À la lumière d’un tel raisonnement, le droit d’exploitation du tatoueur n’est plus tout à fait exclusif. Cependant, cela semble cohérent dans une confrontation des droits à l’image, du droit à la libre disposition de son corps et du droit d’auteur du tatouage.


    [1].Les statistiques du tatouage en France ‑ DRAWTATTOO. https://drawtattoo.fr/blogs/drawmagazine/les‑statistiques‑du‑tatouage‑en‑france. Consulté le 25/07/2024.

    [2]..  Dictionnaire le Robert, le‑guide‑tatoo.

    [3].Le Monde, 10 mars 2018.