Beaucoup de tatoueuses et de tatoueurs féministes trans/queer militent dans leurs pratiques pour un tatouage safe (bienveillant, sécure), éthique et inclusif. Le tatouage ne se réduit pas à une pratique unidimensionnelle mais revendique son caractère protéiforme, offrant autant de motifs, de styles et d’interprétations possibles qu’il y a d’individus tatoués. Dans cette attention portée à l’intime se glisse la volonté de considérer tous les corps, et plus largement les personnes, dans leur complexité. Le tatouage, au‑delà de son aspect ornemental, devient alors un marqueur d’identification et d’auto-émancipation.
Dans son ouvrage Soi-même comme un autre paru en 1990, Paul Ricoeur définit l’identité comme la manière dont chacun se construit, se perçoit, chemine dans son rapport à soi et aux autres. Dans cette élaboration en process, le récit de soi (Butler), le fait de se raconter, est une étape essentielle de « la mise en intrigue de l’identité » qui s’élabore entre deux polarités : le même (je ressemble aux autres) et « l’ipséité », la singularité, qui permet de se distinguer. Se réaliser revient à se situer dans un groupe social par des signes transindividuels (Simondon) et interrelationnels (Mead).
Le tatouage serait alors un ancrage de ces curseurs au fil de la vie, une capacité à s’auto-fictionner (fabriquer son propre récit de vie) et pas seulement à se lire – ni à se laisser raconter / façonner par d’autres. Le choix du tatouage, de le·a tatoueur·euse, de son emplacement en disent beaucoup sur le cheminement personnel. Les circonstances dans lesquelles ces expériences se déroulent sont souvent aussi importantes que les motifs laissés sur la peau. Parfois pratiqué dans des conditions discriminantes et oppressives, le tatouage n’est pas toujours vécu comme une expérience bienveillante, et de nombreuses initiatives s’élèvent contre ces violences.
Le 8ème numéro de la revue La Peaulogie, dédié au tatouage éthique et inclusif, souhaite porter son attention sur ces dess(e)ins multiples et leur visibilisation, où la peau devient une marqueuse politique. Il pourra s’agir dans ce numéro d’aborder différents axes : les tatouages militants, qui croisent les pratiques féministes, punks, sorcières, etc. ; les salons qui déploient une charte éthique avec des pratiques safe, dans le respect des praticien·nes comme des client·es ; des tatouages thérapeutiques qui accompagnent la construction ou la reconstruction corporelle, psychologique ou identitaire.
Claire LAHUERTA, coordinatrice du numéro.
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