Référence électronique
Derumaux T., Renou T., (2024), « Le travail raconté par les corps des moniteur·rice·s d’équitation », La Peaulogie 11, mis en ligne le 28 octobre 2024, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/travail-corps-equitation
Tanguy DERUMAUX
Doctorant en sociologie, Centre de Recherches Sciences Sociales Sports et Corps (CRESCO), Université Paul Sabatier Toulouse III.
Thomas RENOU
Doctorant en sociologie, Centre de recherches en sciences sociales, sports et corps (CRESCO), Université Toulouse 3 Paul Sabatier.
Référence électronique
Derumaux T., Renou T., (2024), « Le travail raconté par les corps des moniteur·rice·s d’équitation », La Peaulogie 11, mis en ligne le 28 octobre 2024, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/travail-corps-equitation
Résumé
À partir d’une recherche sociologique sur la santé au travail des moniteur·rice·s d’équitation, cet article propose d’observer les traces laissées par le travail sur la peau. À la croisée des travaux de Goffman sur le stigmate et de ceux de Pillon sur le corps au travail, nous montrons la manière dont l’attribution de significations aux marques corporelles se joue au cœur des rites d’interactions. Les moniteur·rice·s, socialisé·e·s à leur métier, partagent en effet un référentiel professionnel commun qui leur permet d’associer une marque corporelle à un contexte de production. Ainsi, les marques issues du travail sportif, présentes quasi exclusivement sur les corps masculins, endossent une signification positive auprès de la clientèle et des collègues. Celles façonnées par les activités agricoles valorisées, en lien avec le travail de la relation au cheval, sont passées sous silence pour maintenir l’engagement dans le travail. Enfin, les traces corporelles produites par les activités agricoles dévalorisées demeurent insignifiantes pour la clientèle mais prennent un sens spécifique dans certaines situations d’interactions avec les collègues. Ces dernières témoignent d’une segmentation entre sous-mondes professionnels lorsqu’elles sont présentes sur les mains : d’un côté les moniteur·rice·s de type « travailleur·euse agricole » dont les mains sont le stigmate du « sale boulot » et du travail physique, et de l’autre celles et ceux dépourvu·e·s de ces signes corporels, reconnu·e·s par les pairs pour occuper une position sociale privilégiée au sein de la division du travail.
Mots-clés
Stigmate, Mains, Travail agricole, Travail sportif, équitation
Abstract
The aim of this article is to observe the traces left by work on horse riding instructors’ skin. Based on sociological research about those instructors’ health, it uses Goffman’s work on stigma and Pillon’s writings about body at work to show how bodily marks gain meaning during interaction rituals. The instructors, socialized in their work, share a common referential that allow them to link one mark to one production context. Marks stemming from sports work, almost exclusively present on men’s bodies, are thus considered in a positive way by clients and peers. Those shaped by valued agricultural activities related to the relationship with horses are silenced to maintain commitment to work. Finally, bodily traces produced by devalued agricultural work remain insignificant to clients but take a specific meaning in several interaction situations with colleagues. We particularly show that certain marks on the instructors’ hands demonstrate a segmentation between professional subworlds: on the one hand instructors of the « agricultural worker » type whose hands are the stigma of « dirty work » and physical labor, and on the other those devoid of such bodily signs and recognized by their peers as holding a privileged social position in the division of labor.
Keywords
Stigma, Hands, Agricultural work, Sports work, Horse riding
Entre société agricole (Bigot, Vial, Fleurance, Heydemann et Palazon, 2018) et société de loisirs et de consommation (Grefe et Pickel‑Chevalier, 2015), le milieu équestre est au carrefour des mondes sportif et agricole[1]. Les professionnel·le·s qui encadrent et animent des activités équestres se situent dans cette position intermédiaire : celles et ceux qui, indépendamment de leur configuration professionnelle[2], se qualifient de « moniteur·rice·s d’équitation », réalisent aussi bien des activités sportives qu’agricoles.
Le groupe professionnel des moniteur·rice·s d’équitation ne recoupe pas exactement les catégories des enquêtes statistiques conduites par les organismes professionnels. Selon nos analyses secondaires de la Cohorte pour la Surveillance Épidémiologique en lien avec le Travail (COSET) de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) 2018, malgré leurs limites concernant le ciblage de la population[3], ce groupe serait composé à 69,26% de femmes[4]. 64,75% des moniteur·rice·s auraient suivi un cursus dans l’enseignement supérieur. Leurs milieux sociaux d’origine sont variés. Certain·e·s sont issu·e·s des classes populaires, souvent démuni·e·s de ressources scolaires ou ayant suivi un cursus exclusivement agricole[5]. D’autres proviennent des classes moyennes à supérieures, comme c’est souvent le cas des reconverti·e·s (Lourd et Philippe, 2019) ou de celles et ceux non destiné·e·s à l’exercice des métiers de l’enseignement et de l’animation équestre en raison de la profession de leurs parents (fonctionnaire, médecin, cadre dans le secteur privé, cadre de la fonction publique, etc.). Ces dernier·ère·s souhaitent avant tout convertir des expériences signifiantes acquises au cours de la carrière équestre amateure en une activité professionnelle dans le « monde du cheval » (Chevalier et Dussart, 2002).
Le travail des moniteur·rice·s d’équitation traverse trois temporalités (Leclercq, 2014) spécifiques marquées par le double caractère agricole et sportif du travail. Cette nature agricole se retrouve dans la temporalité de la structure, réservée au travail d’entretien agricole (curage des boxes, entretien des terres et du matériel, etc.), et dans celle du vivant, qui caractérise le travail dédié aux besoins des chevaux (soins, préparation, surveillance, nourrissage et sorties quotidiennes). Le versant sportif de leurs activités relève principalement de la temporalité du marché, traduite par le « cours d’équitation »[6]. À cette temporalité du marché se greffe souvent l’engagement sportif des moniteur·rice·s d’équitation, lorsqu’elles et ils emmènent les pratiquant·e·s sur les terrains de concours équestres, ou planifient leur pratique équestre personnelle en fonction du calendrier sportif qui cadre le calendrier professionnel. Dans ces deux cas, leurs temps de travail et de loisirs fusionnent (Jelen et Marsault, 2010), ce qui atteste que l’engagement de pratiquant·e fait partie intégrante de l’organisation du travail et renforce le caractère sportif de l’activité professionnelle des moniteur·rice·s.
Toutes ces activités d’extérieur, sportives ou agricoles, majoritairement réalisées à la main ou à l’aide d’outils, marquent les corps des moniteur·rice·s d’équitation. En effet, « rapportés aux proportions gigantesques des machines, des objets, des outils et des matériaux manipulés par les hommes, les corps apparaissent singulièrement vulnérables » (Pillon, 2012, 131). Le corps des travailleur·euse·s constitue ainsi un marqueur social du travail, en témoignent les méticuleuses narrations de Thierry Pillon (2012 ; 2014a ; 2014b) sur la matérialité des corps des ouvrier·ère·s dont les mains craquelées, les ongles rongés, cassés ou usés et salis, les traces de crasse incrustée, mais aussi la peau collante, voire gluante, noircie par la poussière ou jaunie par la sueur, sans oublier le sang et les plaies visibles provoquées par le froid, font parfaitement état des conditions de travail et de la nature des activités réalisées, et permettent d’accéder aux différentes expressions du corps travaillé jusqu’à l’inscription du travail dans la peau (Jacquot et Volery, 2019).
Le corps portant les traces du travail éveille la curiosité, provoque des réactions, ou suscite de l’indifférence en fonction du partage d’expériences corporelles intimes dans le temps et dans l’espace par la communauté professionnelle (Pillon, 2014a). Le corps marqué, abimé voire meurtri n’est donc pas sans effet sur les camarades de travail (Pillon, 2012). Au sein du milieu équestre, le corps en mouvement des cavalier·ère·s a déjà été étudié : mis au service d’une activité sportive de performance, il devient progressivement invisible chez les pratiquant·e·s confirmé·e·s (Chevalier et Le Mancq, 2013) mais demeure omniprésent chez les non‑initié·e·s (Régnier, 2016). En revanche, le corps des travailleur·euse·s du monde du cheval n’a été appréhendé ni en prenant appui sur la description de sa matérialité et sur les valeurs qu’il renvoie, ni comme corps au travail, au sens de la réalisation d’une activité productive (et non de performance ou de loisir). Il est question dans cet article de déplacer le regard d’une analyse des activités motrices à cheval à une analyse de la matérialité des corps engagés dans des situations de travail plurielles.
En nous positionnant au cœur des situations d’interaction professionnelles, il s’agit d’étudier la signification et la valeur des marques corporelles du travail chez les moniteur·rice·s d’équitation. L’hétérogénéité des temporalités de cette activité professionnelle marquée par son double caractère agricole et sportif ouvre à des interactions plurielles du travail (impliquant les membres du collectif de travail) et au travail (impliquant les personnes extérieures à ce collectif qui participent néanmoins aux interactions professionnelles). En effet, sur les temporalités de la structure et du vivant, les moniteur·rice·s sont au contact de prestataires de service extérieurs à la structure équestre (par exemple des artisans agricoles) et de collègues (autres moniteur·rice·s, apprenti·e·s, palefrenier·ère·s, etc.). Elles et ils interagissent aussi avec des pratiquant·e·s, leurs parents ou des collègues sur la temporalité du marché. Puisque les animaux sont également des acteurs du travail (Porcher et Schmitt, 2010 ; Porcher et Lécrivain, 2012 ; Mouret, 2017 ; Deneux‑Le Barh, 2020), les moniteur·rice·s d’équitation interagissent avec eux[7] dans toutes les temporalités du travail traversées.
De précédents travaux se sont déjà intéressés aux traces du travail sur les corps des travailleur·euse·s du sport, qu’il s’agisse d’encadrant·e·s, de pratiquant·e·s ou les deux. L’analyse a souvent porté sur les effets et la valeur des blessures dans différentes disciplines au sein de situations d’interactions propres au travail et à l’emploi sportif (entrainé·e ‑ entraineur·euse, pratiquant·e ‑ professionnel·le du médical ou du paramédical, pratiquant·e ‑ recruteur·euse, etc.). Les études des blessures et des marques corporelles, que ce soit comme gages de légitimation de la professionnalité chez les éducateur·rice·s sportif·ve·s (Julhe, 2006) ou comme événements modifiant l’engagement dans une carrière sportive (Rasera, 2016 ; Forte, 2018), tiennent compte du contexte dans lequel elles se produisent ou apparaissent. Ce dernier s’y trouve cependant restreint au seul espace de la production sportive : la blessure ou les marques corporelles étudiées chez un·e footballeur·euse sont celles survenues lors de la pratique du football, et les traces observées sur les corps des éducateur·rice·s sportif·ve·s d’arts martiaux sont celles issues de la pratique de combat.
Le travail agricole est aussi susceptible d’entrainer blessures et accidents, et de marquer les corps. Dans des métiers de la relation étroite à la nature, ces maux endossent des significations spécifiques. Les entrepreneur·euse·s de travaux forestiers ont construit un univers symbolique autour de la forêt, conduisant à un déni des risques professionnels (Schepens, 2013). Lorsque l’accident survient, ces travailleur·euse·s vivent l’accident comme un simple rappel à l’ordre de la forêt. Il en est de même pour celles et ceux au contact d’animaux qui mettent en place des « stratégies de défense » – souvent subjectives – pour continuer de travailler dans un environnement professionnel à risques (Caudal, 2009) ou ne pas vivre de souffrances éthiques au travail (Molinier et Porcher, 2006 ; Mouret, 2005 ; Mouret, 2010). Comme la relation qu’elles et ils entretiennent avec les animaux « participe de leur bien‑être physique et psychique et du sentiment d’être présent au monde, c’est‑à‑dire d’être vivant, d’une manière essentielle et authentique », (Porcher, 2002, 121), les maux de santé ou les violences vécus dans le travail animal sont susceptibles d’être redéfinis pour ne pas remettre en cause le sens du travail (Mouret et Porcher, 2007), voire une existence toute entière (Porcher, 2003 ; Deffontaines, 2021).
La littérature montre qu’au‑delà du contexte de production, qu’il soit agricole, avec des animaux, ou sportif, le sens attribué aux marques corporelles est également tributaire du genre. Le vécu d’une socialisation corporelle genrée (Courtenay, 2000) résulte d’une inégale occupation des espaces et des temps entre femmes et hommes (Guillaumin, 2016). Les qualités morales et physiques associées aux corps masculins et féminins ne sont pas non plus les mêmes (Détrez, 2005 ; Garcia, 2007). La dissemblance des expériences socialisatrices entrainent des usages sociaux genrés des corps, qui atteignent la sphère professionnelle. La division morale et sexuée du travail (Arborio, 2009 ; Avril et Vacca, 2020) en est le principal marqueur. Ainsi, ce que Hughes appelle le « sale boulot » (1996), c’est‑à‑dire les tâches qui contreviennent à la conception de la dignité personnelle attachée au travail, est principalement assigné aux femmes (Benhayoune, 2010). Elles sont en outre stigmatisées lorsque leur conduite s’écarte des attendus virils, comme chez les salariées en production porcine industrielle (Mouret, 2010). Au regard de cette division morale du travail et des activités, l’usage des corps est différencié en fonction du genre, ce qui se répercute sur la matérialité des corps, inégalement marqués par le travail.
Le mélange d’activités sportives et agricoles des moniteur·rice·s d’équitation suscite de nouveaux questionnements. Le type de contexte professionnel dans lequel les traces corporelles apparaissent a‑t‑il une incidence sur la signification qui leur est accordée ? Ces significations diffèrent‑elles en fonction du genre ? L’hétérogénéité des activités de travail des moniteur·rice·s et la démultiplication afférente des acteur·rice·s avec qui et pour qui elles et ils travaillent produisent‑elles des significations spécifiques ? Et plus particulièrement, quelles sont les significations des traces infligées par les relations de travail avec l’animal ? Enfin, pour un métier caractérisé par la porosité des frontières entre sport et travail, il convient aussi de s’interroger sur la connaissance et la reconnaissance des marques corporelles par des acteur·rice·s inégalement socialisé·e·s aux mondes sportif et agricole, lorsque ces traces sont rendues ou laissées visibles.
Afin de traiter ces questionnements, nous appréhendons les marques corporelles comme des stigmates (Goffman, 1975). Défini comme un attribut corporel discréditable par autrui parce que non conforme à une norme locale, le stigmate, comme toute pratique d’étiquetage, n’est pas doté d’une signification univoque et prend sens en situation. En effet, « des signes qui veulent dire telle chose au sein d’un groupe peuvent fort bien avoir un sens différent au sein d’un autre groupe, sans que change la catégorie désignée, mais seulement sa caractérisation » (Goffman, 1975, 62). Goffman donne l’exemple des épaulettes portées par des prisonniers susceptibles de s’évader. D’un côté, les gardiens de prison les utilisent comme un outil de régulation sociale qui assigne ses porteurs à la position péjorative de détenus « à risques ». De l’autre, elles deviennent un symbole de prestige pour les prisonniers : le stigmate prend alors la valeur positive d’un outil de revendication (Dubuis, 2018) et génère des stratégies d’affichage (Goffman, 1973). Alors que tout·e acteur·rice produit des traces et en interprète d’autres (Galinon‑Mélénec, 2015), leur valeur est susceptible d’évoluer dans le temps, tels les signes laissés sur les réseaux sociaux dans le cadre d’une procédure de recrutement professionnel (Galinon‑Mélénec et Monseigne, 2011). En tant qu’appareil de contrôle social (Goffman, 1974), le stigmate favorise la lisibilité entre acteur·rice·s dans l’interaction, en affirmant pour soi, mais aussi et surtout en renvoyant à autrui, une identité sociale spécifique (Tourreil et Jacqueline, 2018).
En considérant le corps dans une acception symbolique, non pas comme un instrument utile à la réalisation technique mais bien comme une porte d’entrée dans la relation à l’autre (Pillon, 2012) et à l’animal (Porcher et Lécrivain, 2012 ; Deneux‑Le Barh, 2020), le stigmate devient un indice de la reconnaissance mutuelle de la corporéité du métier à travers des signes qui participent à connaitre et à reconnaitre une profession – et donc des professionnel·le·s – au sein d’un espace de significations sociales (Boussard et Noûs, 2020).
Nous soutenons que les marques présentes sur les corps des moniteur·rice·s d’équitation, symboliquement reconnues selon un référentiel professionnel commun, sont dotées de significations plurielles en interaction, à l’aune de leur contexte de production, sportif ou agricole. D’une part, les traces produites par le travail sportif, qui apparaissent quasi exclusivement sur les corps masculins, endossent une valeur positive dans les interactions avec l’ensemble des acteur·rice·s du milieu équestre professionnel, et témoignent d’inégalités entre moniteurs et monitrices. D’autre part, si l’on pouvait penser que les traces corporelles issues du travail de la relation à l’animal seraient reconnues et valorisées, l’affirmation de la professionnalité dans ce type d’activités passe plutôt par la reconnaissance d’une disposition sociale à la « disponibilité au care ». Cette disposition sociale apparait particulièrement féminine. En revanche, d’autres traces produites sur les temporalités agricoles sont reconnues en situations d’interaction sociale. En effet, celles laissées sur les mains par des activités agricoles dévalorisées sont reconnues et stigmatisées, mais seulement par les relations du travail sur la temporalité de la structure et sur une partie de la temporalité du vivant. Bien qu’apparentées au « sale boulot », ces marques sont revendiquées par celles et ceux qui les portent en ce qu’elles témoignent d’un engagement dans le travail physique. Elles indiquent simultanément la position privilégiée dans la division du travail de celles et ceux qui ne les portent pas, l’absence de ces traces témoignant d’une capacité à déléguer ce travail agricole ou à s’en affranchir par des reconfigurations entrepreneuriales.
La construction de l’objet de recherche
La genèse d’un intérêt pour la matérialité des corps des moniteur·rice·s d’équitation : du (non) recueil de discours produit sur les questions de santé au travail au recueil des traces corporelles visibles
Le travail de recueil de données relatif aux marques corporelles et aux discours produits sur leurs significations s’inscrit dans le cadre d’un travail de thèse de doctorat[8] en cours. Il constitue le résultat d’un processus méthodologique semé d’embuches. Le dispositif méthodologique a initialement été construit pour recueillir par entretiens des récits sur les questions de santé au travail (pénibilité du travail, soutenabilité du travail, douleurs du travail, etc.). Cependant, la population d’enquête s’avère taiseuse sur le sujet : les moniteur·rice·s d’équitation ne considèrent comme événements de santé que peu d’épisodes qui impactent pourtant objectivement leurs corps (fractures, hématomes, entorses, blessures articulaires, etc.). Ce rapport spécifique à la santé a engendré des difficultés pour récolter des discours sur l’objet initialement visé. Le codage des entretiens grâce au logiciel MAXQDA[9] a permis d’objectiver la fréquence d’apparition des différentes thématiques dans le corpus, et notamment celle de la santé au travail. Par exemple, pour l’un des entretiens exploratoires réalisés, seuls 16,36 % du discours de l’enquêtée concernait la santé au travail (197 items codés sur un total de 1204), alors que la grille d’entretien y était à 50 % dédiée. Face à ce déséquilibre, le dispositif méthodologique a été adapté et des observations des corps des enquêté·e·s ont également été réalisées. L’objectif n’étant plus de récolter du discours sur les événements de santé objectifs et leur mise en récit mais de récupérer quelques traces de santé produites par le travail sur les corps. En tant qu’enquêteur, l’application de cette démarche hasardeuse d’objectivation de la santé sur les corps[10] – car toute trace corporelle n’est pas nécessairement le fruit du travail, et toute marque corporelle du travail, lorsqu’elle est définie comme telle, ne fait pas nécessairement santé – s’est rapidement transformée en un premier recueil rigoureux et attentif d’observations des traces visibles sur les corps des moniteur·rice·s d’équitation. Cette salve d’observations a ensuite été complétée par un recueil de récits pour distinguer les marques produites par le travail de celles de natures différentes. Les discours nous ont ensuite permis d’accéder à l’origine contextuelle et situationnelle de ces traces corporelles du travail, puis de connaitre leur signification sociale. Il s’agissait de questionner les enquêté·e·s sur les observations réalisées sur leur corps et sur ceux de leurs pairs (ce qu’elles et ils en disent), pour saisir la valeur accordée à ces traces du travail dans les différentes interactions professionnelles.
Cet article s’appuie sur 43 entretiens et sur une centaine d’heures d’observations ethnographiques réalisées auprès de 33 moniteur·ice·s d’équitation : 20 femmes et 13 hommes travaillant dans différentes configurations professionnelles, soit 16 dirigeant·e·s de leur structure, 11 salarié·e·s et 6 indépendant·e·s proposant des prestations de service à domicile ou dans des centres équestres. Tou·te·s travaillent dans la région Occitanie ou dans l’Aube, dans des territoires ruraux ou périurbains, et réalisent de l’animation, de l’enseignement, du tourisme ou de la préparation à la compétition équestre. La majorité des dirigeant·e·s et salarié·e·s rencontré·e·s ont la particularité de travailler dans de « petites » structures[11]. La plupart des dirigeant·e·s interrogé·e·s sont en situation d’auto‑emploi ou avec un·e voire deux salarié·e·s à leur charge. Les salarié·e·s enquêté·e·s travaillent pour leur part régulièrement au sein de collectifs composés de trois professionnel·le·s ou moins, dont un·e dirigeant·e. La population d’enquête n’intègre ni les salarié·e·s des « grosses » structures[12] équestres proches des villes, ni leurs dirigeant·e·s, celles et ceux catégorisé·e·s en tant que « dirigeants‑managers » (Salaméro et Le Mancq, 2022). Ces dernier·ère·s n’ont pas été intégré·e·s à notre échantillon d’enquête car ces centres équestres sont relativement rares[13], d’autant plus dans les régions de l’Occitanie et de l’Aube. De plus, ces « dirigeants‑managers » et les salarié·e·s des structures qu’ils pilotent n’exercent pas tout à fait les mêmes activités que nos enquêté·e·s, ce qui rend leur inclusion dans la population peu pertinente au regard des enjeux de la recherche évoqués en introduction. En effet, les premier·ère·s effectuent très peu de travail de terrain et sont quasi exclusivement cantonné·e·s au travail de « bureau », tandis que les second·e·s répètent des activités d’animation et d’enseignement équestre, sans vraiment traverser les temporalités du vivant et de la structure. Enfin, les moniteur·rice·s observé·e·s puis interrogé·e·s ont la spécificité d’avoir vieilli dans le travail[14] (Jolivet et Volkoff, 2016) avec une moyenne d’ancienneté dans le métier supérieure à 25 ans[15]. Elles et ils sont donc expérimenté·e·s, et maitrisent les codes et les significations sociales de leur milieu professionnel.
La collecte de données s’est principalement déroulée sur le lieu de travail des enquêté·e·s, permettant de les observer en situation (Arborio et al., 2008) pour accéder aux traces corporelles du travail et de recueillir du discours à ce sujet. Pour 14 moniteur·rice·s sur 33, deux entretiens et plusieurs séries d’observations ethnographiques ont été réalisés. Le contenu des entretiens, et notamment les récits produits sur les significations accordées aux marques corporelles lors des interactions, a été codé puis analysé par thématiques (Bardin, 2013) selon une approche inductive : les thématiques ont été élaborées à partir des discours, ce qui a nécessité de retravailler les codes et les sous‑codes constitués lorsque de nouvelles thématiques émergeaient, jusqu’à saturation des données (Glaser et Strauss, 2017). Si les observations réalisées ne permettent pas de retracer la trajectoire sociale et de décrire un « corps de classe », puisqu’elles n’ont pas été suffisamment étalées dans le temps (Lahire, 2019), leur répétition sur certains individus a tout de même permis d’étayer ou de renforcer les données recueillies au préalable. Des portraits qualitatifs déchargés de théorie (Becker, 2002) des corps des moniteur·rice·s d’équitation ont ensuite été réalisés, et ont servi de point de départ aux analyses puis aux catégorisations. Puisque « ce sont surtout les doigts qui souffrent, transpercés, écrasés, ou bien toute la main, happée par les mouvements rapides des outils automatiques, des presses mal protégées ou mal conçues », (Pillon, 2012, 139), une attention particulière a été accordée aux mains des moniteur·rice·s. En tant que partie du corps exposée et facilement visible par l’enquêteur, le visage des enquêté·e·s a aussi été scruté avec minutie[16]. Les catégories de l’observation se sont affinées au fur et à mesure de l’enquête de terrain, avant d’être figées. Pour les mains : les ongles, les phalanges et les métacarpes mais aussi les blessures visibles ainsi que la terre et/ou la boue présentes[17], ont été finement observés. Chacune de ces catégories a été subdivisée en éléments précisément observables après de premières analyses des descriptions corporelles. Par exemple, la « terre et/ou la boue » sont qualifiées selon leur fraicheur, leur sécheresse, leur incrustation dans la peau, ainsi que leur généralisation ou leur localisation sur les mains. Ensuite, pour le visage, les cheveux et/ou la barbe, les blancs des yeux, les pommettes et les paupières, ainsi que les cernes ont été observés avec soin. Là aussi, des subdivisions ont été effectuées. À titre illustratif, pour les « cheveux et/ou barbe », la texture, le volume, l’épaisseur, la présence de matières organiques et/ou végétales (moucherons, copeaux de feuilles, etc.), les signes de soin et d’entretien mais aussi de protection font partie des sous‑catégories sélectionnées empiriquement au cours du temps. En complément des observations des mains et des visages, les morphologies des corps (dimension, taille, robustesse, largeur des épaules, musculature, etc.), ainsi que les vêtements (chaussures, pantalon, bonnet, veste, etc.) ont été observés. Le regard s’est ici porté sur le type d’habillement des moniteur·ice·s d’équitation (tenues de sport, agricole, de ville, etc.) mais aussi sur la saleté (Vigarello, 1985) ou sur les éléments attestant d’un travail en extérieur (terre, boue, eau, crottin, etc.) ainsi que sur les signes d’usure (trous, décoloration, etc.) présents ou non sur leurs vêtements. En plus de ces observations des corps comme matérialité, des situations de travail ont aussi été analysées (séances d’enseignement équestre, activités de travail agricole et sportif, interactions sociales entre les moniteur·rice·s et d’autres acteur·rice·s, etc.).
Le partage d’un référentiel commun permet aux moniteur·rice·s d’équitation, socialisé·e·s à leur métier et plus largement au milieu professionnel dans lequel elles et ils évoluent, de connaitre et de reconnaitre tout un ensemble de signaux. C’est le cas des marques corporelles sur soi, mais aussi sur autrui, que les moniteur·rice·s ont appris à décrypter avec le temps grâce à une socialisation corporelle marquée par la répétition de blessures (souvent peu ou pas soignées), alors apparentée à de la polyaccidentabilité de routine (Hélardot, Gaudart et Volkoff, 2019). Selon la MSA (2023a), en 2021, le taux de fréquence d’accidents du travail des salarié·e·s du secteur « entrainement, dressage, haras »[18] est de 82,9 accidents avec arrêt de travail par million d’heures travaillées, ce qui en fait le secteur le plus accidentogène du régime agricole chez les salarié·e·s. L’indice de fréquence d’accidents du travail des non‑salarié·e·s[19] dans ce même secteur est de 43,2 accidents du travail avec un premier arrêt de travail indemnisé pour 1000 chefs d’exploitation, ce qui en fait le second secteur le plus accidentogène tous secteurs agricoles confondus chez les non‑salarié·e·s. Ainsi, à l’instar des travailleur·euse·s manuel·le·s (Morlet, 2011), les moniteur·rice·s d’équitation sollicitent leur corps de manière intense : le corps est un outil de travail dont l’usage social peut être qualifié d’instrumental, comme c’est le cas chez les maréchaux·les‑ferrants (Crasset, 2017). Loin d’un rapport au corps homéostasique, sensible voire hygiéniste, le rapport au corps entretenu par les moniteur·rice·s engendre une faible écoute de soi, jusqu’à la dénégation des atteintes du travail sur la santé. Alors que les signaux corporels internes (sensations organiques, douleurs, courbatures, etc.) semblent avoir peu d’effets si l’on s’en tient aux discours des moniteur·rice·s, les marques corporelles visibles peuvent les amener à un processus réflexif. Inversement, l’absence de marque corporelle visible contribue à entretenir l’inattention à soi et à son corps.
« Et puis physiquement il n’y avait rien quoi… Enfin, extérieurement, il n’y avait rien du tout […]. Je me suis dit que je n’allais pas m’arrêter pour ça parce que ce n’était même pas enflé mais j’avais très mal »
(Estelle, 62 ans, monitrice salariée)
Dans un métier rude qui réclame, façonne et entretient des dispositions corporelles similaires à celles de certaines catégories populaires (Schwartz, 1989), et qui favorise une culture du « dur au mal », les signes corporels visibles sont les déclencheurs privilégiés d’une réflexion sur les origines et les conséquences des atteintes corporelles. Pour autant, si la marque corporelle constitue bien le signal d’alerte, elle ne suscite pas systématiquement une grande vigilance. La prise de conscience de l’existence d’un mal de corps n’entraîne pas toujours de soin ; tout dépend de son caractère invalidant, mais également de l’origine qui lui est attribuée. Boltanski rappelle en effet que l’identification et la sensation des maux de corps « sont d’abord fonction du nombre et de la variété des catégories de perception du corps dont dispose le sujet, c’est‑à‑dire de la richesse et de la précision de son vocabulaire de la sensation et de son aptitude, socialement conditionnée, à manipuler et à mémoriser les taxinomies morbides et symptomatiques » (Boltanski, 1971, 212).
Acculturé·e·s aux attendus et aux exigences physiques de leur métier, mais aussi et surtout aux effets du travail sur les corps, les moniteur·rice·s rencontré·e·s attribuent l’origine d’une marque corporelle à l’utilisation d’un outil (fourche par exemple), à une saison de travail, au travail animal au climat, voire à une quantité de travail ou une tâche spécifique. Assujetti·e·s à un travail en extérieur pour réaliser les activités agricoles et satisfaire les besoins des chevaux, elles et ils reconnaissent par exemple les effets des agressions de l’environnement sur leur corps, et notamment les répercussions d’un travail réalisé dans le froid.
« J’ai des varices par exemple qui sont apparues… [enquêteur : Comment ça se fait ?] Le travail dans le froid, c’est génétique aussi, ma mère avait ça, mais ça a été amplifié par le travail au froid. Euh… par le travail au froid, par le travail dehors tout le temps ! »
(Samantha, 55 ans, monitrice dirigeante)
Pour un métier qui requiert disponibilité physique et temporelle pour les besoins des équidés, l’injonction professionnelle à être endurant·e dans le temps, en répétant des activités en extérieur dans un environnement froid, marque la peau de Samantha. Les moniteur·rice·s entretiennent un rapport à la santé où celle‑ci apparaît « négative‑somatique », c’est‑à‑dire définie « essentiellement par l’absence de maladie » et « se référant pour ainsi dire exclusivement à la dimension corporelle » (Longchamp, 2014, 4). Elles et ils n’ont ainsi pas l’habitude de solliciter des professionnel·le·s de santé, hormis les ostéopathes dans une recherche de prise en charge ponctuelle (sans besoin de suivi dans le temps à contrario d’autres professionnel·le·s de santé comme les kinésithérapeutes) et d’effets bénéfiques immédiats sur le corps (au contraire de bénéfices sanitaires différés dans le temps)[20]. Comme le recours aux ostéopathes n’est pas reconnu par le système assurantiel collectif de prévention et de réparation de la santé, la gestion du corps des moniteur·rice·s devient une affaire individuelle. En ce sens, le corps s’apparente à un « capital humain » (Sorignet, 2006, 61). Si ce rapport aux professionnel·le·s de santé est l’une des composantes de la socialisation professionnelle, certaines monitrices d’équitation se distinguent par un engagement dans des pratiques d’entretien corporel personnelles (étirements, respiration, Pilates et yoga parmi les plus citées), qui apparaissent genrées du fait d’une dissemblance d’observance des corps (Courtenay, 2000), ce qui se traduit par un inégal traitement corporel entre femmes et hommes.
« Ça décontracte, en fin de compte ça décongestionne les muscles parce que comme on a une douleur, on va faire ça donc on va se tendre encore plus alors qu’avec la respiration, en fin de compte on va tout filtrer. »
(Nathalie, 56 ans, monitrice indépendante)
Le non‑recours aux professionnel·le·s de santé, principalement motivé par la crainte de recevoir une injonction à s’arrêter de travailler (peu compatible avec l’astreinte du travail animal, surtout chez les dirigeant·e·s), entraine un apprentissage individuel de l’identification des causes des marques corporelles mais aussi de l’attention qu’il faut ou non leur accorder. Le sens attribué à ces maux de santé est gouverné par le devoir du travail envers les animaux. Ces résultats rejoignent ceux de Sorignet (2012) qui montre que travailler avec la douleur chez les danseurs est une compétence professionnelle, et même un devoir artistique. D’autres discours de moniteur·rice·s, celles et ceux notamment spécialisé·e·s dans le tourisme équestre, dont le travail s’intensifie en période estivale, font le récit de marques corporelles qu’elles et ils associent à la saisonnalité de leur activité professionnelle. Dans ce cas, la définition subjective de l’origine des marques corporelles visibles (souvent un ensemble de petites blessures) ne concerne pas tant le climat que l’intensification du travail (Gollac, 2005) en période touristique, de fin juin à début septembre. Si les traces corporelles causées par le travail sont comprises dans leurs causes et leurs conséquences, ce n’est pas forcément le cas de celles produites dans d’autres sphères sociales. Ainsi, les traces apparues hors contexte professionnel ne font pas partie du référentiel commun des moniteur·rice·s : elles sont moins comprises et suscitent des interrogations chez les collègues.
« C’est comme la maladie de peau que j’ai : ça fait ces taches blanches de partout, c’est une maladie auto‑immune qui s’est développée au moment de ma première grossesse, avant je n’avais pas de tache. Depuis ça s’est encore développé avec la deuxième grossesse. On me pose des questions et alors, c’est comme ça, c’est ma particularité et je le vis très bien, ça ne me gêne absolument pas. »
(Cindy, 42 ans, monitrice indépendante)
Les traces visibles du travail sont ainsi dotées de significations partagées dans le référentiel professionnel commun des moniteur·rice·s d’équitation. Ces marques connues et reconnues lorsque socialisé·e au métier n’endossent cependant pas les mêmes significations au regard de leur contexte de production et des situations d’interaction sociales.
Nos données montrent que la situation dans laquelle la marque corporelle s’est formée oriente la signification qui lui est attribuée. Tout d’abord, ce sont les « corps sportifs » dans leur morphologie globale qui sont connus et reconnus. Plusieurs personnes interviewées témoignent de ce que doit être – ou ne pas être – le corps d’un·e cavalier·ère participant ou ayant participé à des concours équestres. La reconnaissance est d’autant plus marquée après une carrière sportive professionnelle. L’idéal‑type corporel des cavalier·ère·s de concours performant·e·s est un corps plutôt mince et léger, musclé et gainé, et aux épaules développées. En situations d’interactions avec d’autres camarades de travail ou d’autres cavalier·ère·s, les injonctions au « corps sportif » se font ressentir.
« Une fois j’étais tombé en concours et il y a un cavalier que je connais depuis longtemps qui est venu me taper dans le dos et qui m’a dit : “si tu étais moins gros, tu tomberais moins vite’ »
(Stefan, 50 ans, moniteur dirigeant)
Le corps fait l’objet d’un discours moralisateur : le « corps sportif », en opposition au « corps gros » (Carof, 2017), est un attendu de la pratique du concours d’équitation ou du moins d’une équitation réservée aux initié·e·s dont Stefan fait partie.
Cependant, cette matérialité corporelle forgée par la compétition équestre se retrouve quasi exclusivement chez les hommes, ce qui n’est pas étonnant lorsque l’on sait que les sports équestres professionnels restent principalement masculins (Le Mancq, 2007), y compris dans le milieu des jockeys (Nouiri‑Mangold, 2019). Les récits des interviewé·e·s mobilisent même parfois des exemples d’athlètes à la double carrière professionnelle (en tant que moniteur·rice) et sportive ou à minima au double investissement professionnel et sportif, à l’instar de ce que décrivent Chevalier et Le Mancq (2010), mais ceux‑ci sont quasi‑exclusivement masculin.
Le Mancq (2007) a parfaitement montré que la construction d’une carrière sportive ne dépend pas que des compétences à cheval, mais aussi du capital économique et du statut professionnel : accéder aux meilleures montures, et aux espaces de valorisation sportive, est principalement le lot des dirigeant·e·s doté·e·s de reconnaissance et de légitimité dans la sphère professionnelle, plutôt que celui des salarié·e·s dominé·e·s dans la division morale du travail. De plus, nos analyses montrent que les dirigeant·e·s bénéficient d’autonomie en maitrisant leur temps de travail, ce qui favorise l’articulation des temps de travail et de loisir sportif, surtout chez celles et ceux qui emploient des salarié·e·s.
« C’est chez moi, mais parce que aussi, je savais que ça allait me permettre de continuer à monter à cheval, moi, d’avoir mes chevaux. Parce que moi, je monte quand même beaucoup. Je suis quand même beaucoup autodidacte. J’aime bien monter tout seul, essayer des choses et tout ça. Donc là, j’allais avoir les moyens de le faire, le temps de le faire si je voulais, parce que du coup, j’étais autonome, je n’avais personne au‑dessus de moi. Donc, je savais aussi que ça me donnait les moyens de continuer à monter à cheval. »
(Lilian, 34 ans, moniteur dirigeant)
Bien loin de Lilian, les salarié·e·s des centres équestres sont assujetti·e·s à un temps de travail prescrit, les rapprochant d’une norme temporelle « flexible hétéronome » (Bouffartigue, 2012). Elles et ils travaillent souvent sur les mêmes moments que les concours équestres, limitant de fait leur engagement sportif personnel.
Si nous avons déjà rappelé que près de sept travailleurs sur dix du monde du cheval sont des femmes (cf. introduction), la plupart sont salariées, alors que les hommes dirigent plus souvent un centre équestre (Le Mancq, 2007). Nos propres données confirment cette division sexuée dans les statuts d’emploi : deux hommes figurent parmi les 11 salarié·e·s interviewé·e·s (dont un avec des fonctions de gérance, et un autre pluriactif avec une seconde activité de moniteur indépendant). De plus, au cours des observations réalisées au sein des établissements équestres des dirigeant·e·s interviewé·e·s, la totalité de leurs salarié·e·s (non rencontré·e·s en entretien), lorsqu’elles ou ils en avaient, étaient des femmes, majoritairement jeunes. Ainsi, rares sont les monitrices enquêtées avec un engagement dans une pratique équestre de loisir.
« Je n’ai jamais fait trop de compétition, j’aimais bien quand j’étais ado et tout ça, j’en ai fait beaucoup étant ado, avant de passer mes examens, j’en ai fait beaucoup mais une fois que l’on rentre dans le métier de monitrice il faut vraiment choisir quoi. »
(Fanny, 45 ans, monitrice salariée)
En plus de ce statut salarié qui limite déjà l’engagement sportif des femmes, le travail domestique s’ajoute et contraint encore plus les monitrices. Sur ce point Chevalier (1996) et Le Mancq (2007) ont déjà mis en évidence que les événements du cycle de la vie des femmes étaient à l’origine d’une mise en sommeil, voire d’une rupture des carrières équestres amateures. Ainsi, les monitrices n’ont « plus le temps » de s’investir dans une carrière équestre même amateure.
« Ça a été très dur parce qu’il a fallu que je reprenne un rythme à plein temps avec deux gamins : j’en emmenais une à la crèche et l’autre à l’école, je courais tout le temps… […] Vraiment je n’arrivais plus à gérer ça, c’était dur hein ! »
(Estelle, 62 ans, monitrice salariée)
La difficile articulation entre vie privée et professionnelle, ajoutée à la division sexuée du statut d’emploi dans le milieu équestre, limitent l’investissement sportif des femmes. C’est le cas de Béatrice qui cumule les deux contraintes.
« Comme je travaille un dimanche sur deux, le dimanche où je ne travaille pas, je suis avec mon fils donc je ne peux pas monter »
(Béatrice, 40 ans, monitrice salariée)
Cet inégal investissement dans la carrière équestre personnelle entre monitrices et moniteurs peut aussi se comprendre par un désengagement corporel volontaire des activités à risques dans le but de prioriser des projets familiaux (Routier, 2013), dont l’investissement apparait genré. En retour, les matérialités corporelles entre hommes et femmes sont dissemblables puisque la pratique sportive façonne les corps (Schotté, 2016).
Les discours sur les corps des cavalier·ère·s peut aussi être accompagnés d’une admiration pour le rôle sportif des individus décrits. Les qualités physiques d’un·e moniteur·rice cavalier·ère ou ex‑cavalier·ère sont alors mises au service de son activité professionnelle (Chevalier et Le Mancq, 2010) : elle ou il en fait usage de « vitrine » (pour reprendre un terme utilisé par plusieurs enquêté·e·s) pour être légitime devant sa clientèle et ses pairs. Par exemple, Marc a vécu une carrière équestre de jockey professionnel, et bénéficie de cette reconnaissance : lors d’un rassemblement organisé entre des dirigeant·e·s de centres équestres, plusieurs professionnel·le·s ont en effet associé la morphologie de Marc avec sa carrière sportive antérieure et valorisé ses compétences à cheval. Un autre cas permet également d’illustrer que l’affichage des marques corporelles produites en contexte sportif participe à la reconnaissance dans le milieu équestre. Lors de l’entretien avec Donovan, il exhibe une cicatrice entre sa lèvre supérieure et sa narine droite. L’enquêteur ne l’ayant pas remarquée, c’est l’enquêté lui‑même qui profite d’un moment de répit au début de l’entretien pour mettre en avant ce trophée (Dubuis, 2018) inscrit sur son visage.
« À la partie reprise de dressage il m’arrive un problème, heureusement je crois que c’était la dernière de mes épreuves à passer. Il faisait très froid le matin et une demi‑heure avant de passer, avec ma tenaille, je veux régler la gourmette de ma jument qui est trop serrée, je dérape avec le froid et je me l’envoie dans la figure et je m’ouvre la lèvre : j’ai toujours la cicatrice…, là ici… (il me montre sa marque en s’approchant de moi) [enquêteur : ouais effectivement] et j’ai la lèvre complètement…, comme ça…, ouverte, avant de passer [l’épreuve] ! » (Donovan, 68 ans, moniteur indépendant). L’enquêté se lève, il exhibe sa marque corporelle avec fierté à l’image d’une blessure de guerre. Il me montre sa cicatrice et s’installe debout devant moi en prenant le temps (en témoignent les « … » dans la retranscription) comme pour savourer le moment. Il s’assure que je puisse contempler sa marque corporelle en passant son doigt autour de sa trace au visage (en atteste le « comme ça » de son récit). Comme pour se rappeler au bon souvenir du passé, il met sa blessure en scène en mâchant ses mots sur quelques phrases pour me mimer la façon de parler avec une lèvre à moitié ouverte.
(Extrait de notes de terrain)
Donovan glorifie la trace inscrite sur son visage apparue lors d’un concours équestre au cours de son ancienne carrière sportive de cavalier. Sa mise en scène lui permet de vivre de nouveau l’incident mais aussi de faire ressentir la situation à l’enquêteur. Sa cicatrice, comparable à un vestige, témoigne de son passé : elle est devenue signe de reconnaissance et même de notoriété auprès des clients et des confrères ou consœurs, comme Christine, monitrice dans une structure située dans la même zone de chalandise. Elle sollicite les services de Donovan pour des prestations équestres, et ne manque pas de rappeler son passé sportif glorieux lorsqu’elle parle de lui[21].
« Il nous est arrivé aussi de proposer à nos élèves de prendre un cours avec Donovan sur notre structure parce qu’il apporte quelque chose à des élèves de différent de nous, tu leur dis que c’est un cavalier professionnel, tu le sais, les élèves le savent. »
(Christine, 58 ans, monitrice salariée)
Au même titre que ses victoires en concours ou que sa morphologie, la cicatrice de Donovan agit comme un capital sportif incorporé doté de vertus symboliques aux yeux d’autrui (Gasparini et Pierre, 2008 ; Hidri Neys, 2013). Elle fait foi d’un passé glorieux de cavalier ayant de la valeur sur le marché du travail, lui permettant d’intervenir dans des structures équestres.
Certaines chutes, qui engendrent parfois des blessures visibles, ont même été filmées et conservées sous la forme de vidéos comme des trophées (Dubuis, 2018). Tout se passe comme s’il fallait se remémorer les détails de situations sportives passées, d’autant plus lorsque le concours apparait prestigieux.
« On a pris une vraie bûche parce qu’au lieu de sauter par‑dessus l’obstacle mon cheval a décollé trop tôt si tu veux et donc il a sauté dans l’obstacle…, je dois avoir la vidéo. »
(Chris, 37 ans, moniteur indépendant)
Les récits de ces chutes peuvent aussi s’accompagner de détails contextuels précis (matériels sportifs, déroulement du concours équestre, etc.[22]). Ils témoignent de la valorisation des blessures produites dans un contexte sportif. Ces récits ne sont pas rares sur le terrain mais sont quasi‑exclusivement présents chez les hommes, sauf chez Nathalie, seule femme qui valorise les blessures sportives.
« J’ai eu un tassement des vertèbres, les cervicales, j’ai eu une grosse chute…, aux Antilles mais je ne m’en rappelle pas…, sur une grosse épreuve…C’était à l’inter Caraïbes […]. J’ai vu la vidéo parce que comme c’était filmé, moi je n’avais pas la vidéo moi. »
(Nathalie, 56 ans, monitrice indépendante)
Nathalie se distingue des autres monitrices de notre population par sa formation pour devenir jockey professionnel puis par sa carrière sportive. Cependant, son cas apparait isolé. En effet, comme expliqué supra, ce sont les hommes, plus que les femmes, qui ont connu une carrière sportive professionnelle et qui poursuivent un engagement dans une pratique équestre personnelle. Les femmes subissent alors une inégalité d’accès aux espaces sportifs (Ottogalli‑Mazzacavallo, 2006 ; Gilenstam, Karp et Henriksson‑Larsén, 2008) (d’autant plus lorsque le sport se professionnalise), ce qui les empêche d’acquérir et de valoriser un capital corporel symbolique au regard de l’impossibilité de valoriser des expériences sportives dans la sphère professionnelle. Si le rapport à la blessure entre monitrices et moniteurs n’apparait pas différent, les femmes ont moins la possibilité de valoriser leurs stigmates sportifs.
Malgré tout, dans une ère où les usages sociaux et les cultures des pratiques équestres se diversifient (Guibert et Pickel‑Chevalier, 2014), la majorité des moniteur·rice·s enquêté·e·s revendique une équitation dite « sportive », voire virile[23], et ce indépendamment de dimensions genrées. En effet, à l’instar des employées en production porcine industrielle (Mouret, 2010), les femmes adoptent des conduites viriles pour être reconnues dans leur métier, à une nuance près : la production porcine industrielle est décrite comme un « job d’homme » (Mouret, 2010, 82). Les femmes qui travaillent dans ce milieu masculin tendent à être stigmatisées, tandis que la stigmatisation est moindre dans un milieu fortement féminisé comme le milieu équestre. L’adoption de pratiques viriles ne s’inscrit donc pas tant dans une logique de « défense stratégique », comme pour les femmes en production porcine, que dans une visée identitaire consécutive à la socialisation équestre amateure et professionnelle.
« J’ai l’impression que j’ai besoin d’avoir mal pour être bien. Ça ne me fait pas peur d’avoir des courbatures, ça ne me fait pas peur et limite ton corps existe encore, tu as des muscles qui sont encore là même si ce n’est pas du quotidien parce que matériellement je n’ai pas le temps. Je ne peux pas tous les jours aller faire du sport mais j’aime bien, c’est sado‑maso un peu, tu aimes bien te faire mal, j’aime bien me faire mal. »
(Cindy, 42 ans, monitrice indépendante)
Dans cette culture équestre, la dénégation des maux de santé physique, comme c’est le cas chez les jockeys (Dessors et L’Hotellier, 2005), devient un outil identitaire pour affirmer son appartenance à un modèle équestre dont l’expérience professionnelle, alors gage de compétences, s’acquiert en prenants des « coups ».
« C’était des chevaux qui étaient dans les prés qui étaient vraiment sauvages, c’est un peu délicat. Là Je prends beaucoup de métier, je prends quelques coups et beaucoup de métier avec des chevaux difficiles. »
(Donovan, 68 ans, moniteur indépendant)
Bien que l’ensemble des moniteur·rice·s rencontré·e·s partagent la culture virile de leur métier, la matérialité des « corps sportifs », et la présence de marques corporelles forgées dans un contexte sportif apparaissent inégalement réparties en fonction du genre. Les traces corporelles formées dans un contexte sportif sont visibles sur les corps masculins. Elles sont affichées et valorisées dans la sphère professionnelle, ce dont les femmes n’ont guère la possibilité.
Après avoir présenté les significations sociales des marques corporelles formées en contexte sportif, nos analyses mettent évidence des significations bien différentes pour les traces issues des contextes de travail agricole, qu’elles aient été produites sur la temporalité de la structure lors de l’entretien du centre équestre[24], ou sur la temporalité du vivant, en situation de travail animal[25]. Tout d’abord, des traces et des blessures qui, à l’observation, paraissent semblables à celles produites dans un contexte sportif (comme la cicatrice de Donovan, cf. supra), sont dotées de significations sociales bien différentes lorsqu’elles sont apparues sur la temporalité de la structure. Michel, lors d’un premier entretien, n’a pas abordé les marques visibles sur son visage (peau meurtrie et rouge vif entre la lèvre supérieure et les pommettes), et ce malgré les questions de l’enquêteur sur sa santé (blessures, vécu d’accidents, etc.). Après avoir laissé en coulisses les informations relatives à ces traces, Michel en dévoile l’origine et la signification à la fin du second entretien : exposition au soleil lors du pansage des chevaux de propriétaires et de clubs, réparation des clôtures, allers‑retours réguliers entre les extrémités de son terrain en pente ou encore bricolage agricole, sont autant d’activités responsables de son état corporel visible, mais aussi invisible (douleurs, blessures anciennes, etc.). Michel minimise largement ces maux de corps, en témoignent son récit et les quelques rires moqueurs du couple (entretien réalisé en présence de Samantha, 55 ans, monitrice co‑dirigeante).
« L’exemple parfait c’est quand elle [Samantha] a voulu désherber avec une serpette [les deux rigolent], voilà, elle a pris la serpette, elle a mis la jambe devant, la serpette est rentrée […]. Je suis tombé bêtement : je nettoyais le pare‑brise de mon camion [Samantha rigole] et j’ai mis le pied au mauvais endroit [Michel rigole], je suis parti en arrière, je me suis récupéré sur le poignet…, heu cassé heu donc plâtre mais ça n’a pas changé ma vie […]. Et puis je n’en ai rien à foutre, retirez‑moi ce plâtre. »
(Michel, 58 ans, moniteur co‑dirigeant)
Ces différents maux corporels produits en situation de travail d’entretien agricole n’apparaissent pas importants pour le couple interrogé. Les deux entretiennent un éloignement émotionnel à ces altérations du corps, avec même une forme de banalisation via la redéfinition des événements responsables comme des non‑événements (Hélardot, Gaudart et Volkoff, 2019). Elle et il montrent aussi une distance aux conséquences de l’atteinte corporelle (pas de nécessité de soin ou de réparation). Les moniteur·rice·s d’équitation sont ainsi moins attentif·ve·s aux marques corporelles survenues lors de situations de travail d’entretien agricole qu’à celles issues du travail sportif. Dans le même sens, Cindy affiche un certain éloignement vis‑à‑vis d’une trace[26] laissée par le travail agricole (après la narration d’une journée à entretenir ses ânes).
« Le soir tu prends ta douche et putain tu as un sacré bleu, tu te demandes ce que tu as fait… Je ne me rappelle même plus parce que tu es dans l’action, tu es dans ton truc. »
(Cindy, 42 ans, monitrice indépendante)
Le discours de Cindy reflète la manière dont la signification accordée à la marque corporelle dépend du contexte dans lequel elle s’est formée. Elle demeure distante voire indifférente à ce mal du corps issu du travail d’entretien agricole. Dans tous les discours, le peu d’attention prêtée aux blessures survenues dans ce contexte, par opposition à celles provenant des compétitions sportives, fait apparaître la dimension agricole des activités de la temporalité de la structure comme le « sale boulot ».
En situations d’interactions sociales avec la clientèle, ces stigmates du travail agricole ne sont pas affichés, mais ils ne sont pas masqués pour autant. Face à celle‑ci, les moniteur·ice·s doivent simplement adopter une image de professionnel·le sportif·ve.
« Il faut lui donner une image à ton club… au début j’avais abandonné ça, je n’avais pas d’image, je fumais des joints, j’avais les cheveux longs… »
(Maxime, 44 ans, moniteur dirigeant)
Les activités relationnelles avec les pratiquant·e·s et leurs parents, intégrées à la temporalité du marché, nécessitent un travail de présentation de soi (Hidri Neys et Louveau, 2005) qui passe d’abord par l’habillement. Tou·te·s les enquêté·e·s rencontré·e·s sur leur lieu de travail étaient vêtu·e·s d’un pantalon d’équitation, et la quasi‑totalité portait aussi des vêtements sportifs sur le haut du corps. Ce travail corporel a sa propre logique. Comme l’apparence sportive légitime le rôle d’expert·e d’une activité sportive auprès des client·e·s (Hidri Neys, 2004), les moniteur·rice·s se montrent en tenue de sport pour affirmer leur professionnalité. Cette tenue de sport constitue leur tenue de travail quotidienne. Elle leur permet aussi de monter à cheval sur les temps creux journaliers pour travailler les chevaux des propriétaires et de club, mais également en situations pédagogiques si le besoin s’en fait ressentir.
« À un moment si votre élève il n’y arrive pas…, bah votre élève il vous dit ’montre‑moi’, vous devez être capable de lui montrer. »
(Nathalie, 56 ans, monitrice indépendante)
Avec cette tenue, elles et ils se présentent aux client·e·s dans une perspective « commerciale » et « professionnelle » mais n’apparaissent pas pour autant soigné·e·s (ongles abimés voire cassés et absence de vernis, cheveux attachés, coupés très courts et/ou recouverts d’un bonnet, chapeau ou casquette pour les femmes, cheveux et barbes peu entretenus pour les hommes, vêtements parfois troués) pour des raisons pratiques dans un métier physique et en extérieur. Si les femmes ont intériorisé des dispositions sociales au travail corporel, au sens du « travail que les individus entreprennent pour gérer et modifier eux‑mêmes leur apparence » (Couvry, 2021, 3), le poids de la socialisation professionnelle (Demazière, Morrissette et Zune, 2019) apparait plus important que celui de la socialisation de genre dans les efforts déployés pour se présenter aux autres. Autrement dit, l’attention portée à soi en contexte de travail est moins tributaire de dimensions genrées que des exigences et des attendus agricoles du monde professionnel dans lequel les monitrices travaillent[27].
En plus de la rareté des signes de soin corporel, les moniteur·rice·s d’équitation se désintéressent des marques de saleté (Vigarello, 1985) face aux client·e·s. La plupart des enquêté·e·s ont les chaussures tachées de terre, incrustée au fil de la répétition des temporalités du travail. La présence sur les vêtements de traces laissées par des matières d’origine naturelle n’a pas d’effet dans les interactions observées entre les client·e·s et les moniteur·rice·s. En effet, les pratiquant·e·s des clubs équestres se sont acculturés à un environnement agricole (Chevalier, 1998) caractérisé par des parkings rarement goudronnés et souvent boueux, des chemins/sentiers terreux, des odeurs de crottin et de fumier, dans lequel les matières agricoles présentes sur les vêtements sportifs des moniteur·rice·s d’équitation ne dépareillent pas. Réciproquement, les moniteur·rice·s n’imposent pas aux pratiquant·e·s une tenue intégrale et n’exigent que deux éléments obligatoires : un pantalon et un casque.
« Si on ne monte pas avec la tenue, on monte quand même, on n’est pas regardé depuis les pieds. »
(Christine, 58 ans, monitrice salariée)
Racontant son parcours sportif antérieur, Christine, aujourd’hui monitrice, évoque le peu de contrôle social exercé sur la tenue portée en situation de pratique équestre, hormis les éléments sécuritaires obligatoires. Ce discours généralisable à quasiment l’ensemble des enquêté·e·s rencontré·e·s s’explique par le vécu d’une carrière sportive amateure au sein de clubs ruraux ou périurbains, dont l’ambiance est décrite comme « familiale », en opposition aux clubs qualifiés de « prout‑prout » situés en milieu urbain, et non représentés dans notre population d’enquête.
D’autres marques formées dans un contexte de travail agricole, non plus sur la temporalité de la structure mais sur celle du vivant, endossent encore des significations différentes. Les blessures et accidents infligés par des chevaux (lors de leur manutention ou des soins par exemple) prennent un sens spécifique. Dans ces cas, les discours des moniteur·rice·s ne portent pas directement sur les traces corporelles visibles mais sur les sens qu’elles et ils y attribuent : le caractère « imprévisible » (Emma) de la réaction du cheval est alors exprimé, soit explicitement soit sous les formes du « manque de bol » (Thierry) ou d’une « réaction inattendue » (Louise) d’un cheval de « 400/500/600 kilos » (Isabelle). Selon les moniteur·rice·s enquêté·e·s, les maux de santé physique vécus dans la relation à l’animal ne s’anticipent pas.
« Attention, il est gentil, il ne reste qu’un animal donc moi j’ai toujours dit…, c’est mon cheval il est adorable ouais mais le jour où il pète un plomb il peut te mordre. »
(Nathalie, 56 ans, monitrice indépendante)
Cependant, les discours se différencient entre les individus qui entretiennent un rapport utilitariste aux équidés, déléguant la responsabilité de l’accident à l’animal, et celles et ceux qui ont un rapport affectif aux chevaux, et qui endossent toute la responsabilité des blessures liées au travail avec eux. Le premier groupe reste marginal dans notre échantillon d’enquête. Ce sont majoritairement des hommes en position de chef d’entreprise aux logiques d’action professionnelles guidées par des rationalités en finalité (Colliot‑Thélène, 2011). Ils considèrent principalement les chevaux comme des outils de production au service de l’économie de leur centre équestre. Pour eux, les traces infligées par les animaux endossent la même signification (celle d’un éloignement émotionnel) que celles produites sur la temporalité de la structure. Le second groupe est à l’inverse composé d’hommes et de toutes les femmes de notre population. Les logiques d’action de ces enquêté·e·s suivent des rationalités en valeurs (Chevalier, 1998). Elles et ils présentent le cheval comme un animal imprévisible, tout en prenant la responsabilité des accidents, sans incriminer l’équidé.
« Pour moi, ce n’est jamais la faute du cheval c’est toujours celle du cavalier. On nous a formés comme ça, donc c’est toujours à nous de nous remettre en question. »
(Béatrice, 40 ans, monitrice salariée)
Dans leurs discours, les risques du travail animal ne sont pas tant déniés que maitrisés grâce à des savoir‑faire de prudence intériorisés (Cru, 2015), par exemple « ne pas passer derrière les chevaux » (Ludivine), ou rester attentive dans le « moment présent » (Louise), etc.
« J’ai fait un tibia cassé parce que je me suis trop rapprochée du cheval qui était devant donc c’était complétement de ma faute. »
(Isabelle, 35 ans, monitrice salariée)
Les risques du travail animal, susceptibles d’entrainer accidents et blessures, apparaissent dans les récits comme « mesurés ». Lorsque l’accident se produit, les moniteur·rice·s – notamment les femmes – dédouanent les chevaux de toute responsabilité malgré leurs potentielles réactions imprévisibles, et ce pour conserver l’origine du goût pour le métier dans un métier aux multiples pénibilités. Accuser le cheval lors du vécu d’accidents reviendrait à remettre en question ce pourquoi ces monitrices sont plus souvent entrées dans le métier que les hommes, c’est‑à‑dire le partage d’une relation avec l’animal. Ainsi, la construction d’un rapport singulier aux maux de santé physique vécus dans la relation à l’animal s’inscrit dans un processus genré de maintien de sens du travail (Porcher, 2003 ; Molinier et Porcher, 2006). Il s’agit de préserver le « vrai boulot » (Bidet, 2011), entendu comme la part des activités que les acteur·rice·s souhaitent poursuivre pour inventer ou réinventer un accord avec le travail, en l’occurrence la relation aux équidés dans le métier de monitrice.
« J’essaie de prendre conscience des petits plaisirs, voilà, s’occuper d’un poulain, le faire bien. Tout à l’heure, j’ai dit c’est bien, quand même. J’étais de nouveau dans la relation à l’animal »
(Louise, 54 ans, monitrice dirigeante)
Le travail de la relation à l’animal correspond au travail du care, défini à travers les efforts réalisés pour s’occuper de l’autre (Molinier, 2012). Celui‑ci apparait particulièrement féminin dans le milieu équestre. Il peut être valorisé par la clientèle, lorsque des monitrices apparaissent comme de « bonnes professionnelles » grâce à leur travail de soin. Si nous n’avons pas interrogé les pratiquant·e·s des centres équestres, le récit d’Isabelle sur sa socialisation équestre juvénile est particulièrement éclairant à ce sujet.
« J’ai eu la chance, là clairement, je ne suis pas sûre que j’aurais continué…, de tomber sur une nana, sur une monitrice avec un très bon rapport à l’animal, voilà, c’était…, la facilité dans ce milieu c’est de donner raison aux cavaliers pour les garder et du coup de…, d’incriminer le cheval quand il y a un problème, certainement une philosophie à laquelle je n’aurais pas adhéré et j’aurais surement fait du tennis l’année d’après. »
(Isabelle, 35 ans, monitrice salariée)
Cependant, nos données ne nous permettent pas d’affirmer que des marques corporelles peuvent être connues et reconnues par autrui comme des « traces du care » ou des « traces du soin ». Afficher sa professionnalité sur le travail relationnel à l’animal auprès d’autrui passe plutôt par l’acquisition d’une reconnaissance, sur ce que l’on qualifie de « disponibilité au care », dans le prolongement des travaux de Bouffartigue (2012) sur la disponibilité temporelle.
« Oh bah de toute manière moi elle [la dirigeante du centre équestre] le sait…, voilà, s’il faut faire une demi‑heure de plus pour remettre de l’eau ou quoi, je le ferai quoi…, je ne partirai jamais sans…, même s’il est l’heure… »
(Fanny, 45 ans, monitrice salariée)
À l’image de Fanny, la reconnaissance de la professionnalité liée à la satisfaction des besoins des chevaux passe par une forme de reconnaissance « d’astreinte morale », pour reprendre les termes d’une autre monitrice. L’engagement pour les besoins des chevaux, et la responsabilité morale qui s’ensuit « se traduisent au niveau temporel par notamment deux aspects importants inhérents au système de genre […] : d’une part le sens de l’anticipation qu’implique un ajustement constant à l’autre, d’autre part un ancrage dans la durée et une disposition à la temporalisation » (Bessin et Gaudart, 6, 2009). Au contraire, les quelques moniteurs dirigeants agissant davantage selon des rationalités économiques n’ont pas intériorisé ces dispositions sociales au « don de soi » pour les besoins des équidés.
« Moi le cheval est malade, je lui fais les premiers soins et encore de moins en moins parce que tu te prends des procès donc moi les chevaux de propriétaires il vaut mieux…, euh…, donc j’appelle le vétérinaire et le vétérinaire il dit “on fait ça et on fait ça’, ça ne va pas c’est la clinique hein…, bien‑sûr que le temps de l’amener à la clinique et de revenir, il est minuit mais bon, d’être là toute la nuit à côté du cheval, c’est bon hein…, c’est fini ! Il y en a c’est leur boulot, ce sont les vétos… »
Léopold (32 ans, moniteur dirigeant)
Bien que la santé du cheval nécessite une disponibilité physique toute la nuit, ou plutôt une « disponibilité au care », l’enquêté décide de rentrer chez lui et de déléguer cette tâche à un professionnel du soin, indice que cette partie du travail serait pour lui du « sale boulot » (Hughes, 1996). L’intériorisation ou non de cette disposition sociale apparait en partie genrée, entre d’un côté certains moniteurs dirigeants engagés dans des rationalités économiques, et la plupart des enquêté·e·s (dont toutes les monitrices) engagé·e·s pour les besoins des animaux.
Les significations des marques corporelles diffèrent selon leurs contextes de production. Celles créées au cours d’activités dévalorisées sur la temporalité de la structure font l’objet d’une inattention, voire d’un mépris. Elles sont tues et même banalisées. L’éloignement émotionnel porté aux stigmates du travail d’entretien agricole se retrouve dans les interactions sociales avec la clientèle où la norme de présentation de soi consiste simplement à porter une tenue sportive. En revanche, le sens attribué aux traces produites sur la temporalité du vivant en réalisant le « vrai boulot » (Bidet, 2011) est fortement enchevêtré à la volonté de maintenir un engagement dans le travail. Enfin, si le travail du care auprès des chevaux est principalement réalisé par les femmes, la reconnaissance de cette activité ne passe pas tant par l’exhibition de traces corporelles en situations d’interactions sociales, que par la valorisation, auprès de la clientèle et des collègues, d’une disposition sociale à la « disponibilité au care ».
Un cas particulier de construction du sens des marques corporelles se présente lorsque les moniteur·rice·s d’équitation sont engagé·e·s dans les situations de travail agricole sur la temporalité de la structure, et sur la temporalité du vivant, et qu’elles et ils interagissent avec des collègues sur leur lieu d’activité (apprenti·e·s, autres moniteur·rice·s, palefrenier·ère, etc.). Précisons que seules les activités de la temporalité du vivant qui s’inscrivent dans un rapport instrumental au travail, lorsque les conditions de leur réalisation se dégradent, sont concernées par cette étude de cas. Il s’agit par exemple de l’action de nourrir ou d’entretenir les chevaux de propriétaires au rythme des injonctions de la clientèle, de déplacer les chevaux de clubs ou les poneys en début et surtout en fin d’une longue journée de travail, ou encore de répéter quotidiennement les activités d’entretien des chevaux.
« C’est tous les jours, c’est tous les jours, c’est comme lâcher les chevaux, j’aime bien, mais des fois des matins je me dis que je n’en finis plus. »
(Louise, 54 ans, monitrice dirigeante)
Ces activités de la relation à l’animal sont éloignées d’un rapport expressif au travail lorsque leurs conditions temporelles de réalisation transforment le sens qui leur était initialement accordé, faisant basculer le plaisir initial au travail en travail pénible (Gaudart et Volkoff, 2022). Ainsi, dans cette étude de cas, nous nous intéressons aux activités de la temporalité du vivant non pas en fonction de leur nature mais du sens que les moniteur·rice·s leur confèrent à l’aune des conditions temporelles dans lesquelles elles et ils les réalisent.
Dans ces situations de travail de la temporalité de la structure et du vivant, les mains des moniteur·rice·s sont reconnues par les relations du travail comme les mains du « paysan » selon les termes de certain·e·s, c’est‑à‑dire qu’elles sont marquées par le travail au point de devenir un marqueur social local. Réciproquement, les moniteur·rice·s désignent de la même manière les mains de leurs collègues assigné·e·s à ce même travail. Ce type de mains, que nous rebaptisons les mains du ou de la « travailleur·euse agricole » pour éviter les connotations péjoratives parfois associées au terme « paysan » sur le terrain, est caractéristique de moniteur·rice·s dirigeant·e·s en situation d’auto‑emploi ou employant un·e un ou deux salarié·e·s au maximum, qui ne peuvent quasiment compter que sur leur corps, et sur leur unique paire de mains, comme outil de travail. Il est également présent chez les salarié·e·s les plus polyvalent·e·s embauché·e·s dans de « petites » structures, celles et ceux qui se distinguent par leur assignation à toutes les temporalités du travail de moniteur·rice d’équitation et pour qui les temporalités de la structure et du vivant occupent une place importante au quotidien. Une grande partie de leurs tâches nombreuses et diverses sont manuelles et surtout agricoles. C’est par exemple le cas de Béatrice, une salariée qui réalise aussi bien des cours d’équitation que des activités de curage des boxes ou d’entretien des chevaux (lorsqu’il s’agit de les nourrir, de les sortir au pré, de les soigner, ou de les monter pour les travailler) dans des conditions temporelles de travail extensives, susceptibles de générer des maux de corps.
« Je commençais à 8 h, je faisais à… je finissais à 20 h et ça n’allait toujours pas […]. Il y a un cheval qui s’est arrêté, il [son doigt] s’est déboîté. C’est moi qui l’ai remis toute seule. Donc c’est pour ça qu’il est tout tordu. »
(Béatrice, 40 ans, monitrice salariée)
Béatrice amène les chevaux à la carrière (lieu de pratique équestre) depuis les prés (lieu d’hébergement des équidés de club) dans une structure équestre périurbaine dotée de vastes paddocks (20 hectares dont 7 vraiment exploités). Le long déplacement à pied avec des animaux pas toujours dociles à la fin d’une longue journée de travail peut ainsi engendrer blessures et marques corporelles.
Cependant, les mains du ou de la « travailleur·euse agricole » ne se résument pas à des blessures aux doigts causées par l’intensification de l’entretien des chevaux : elles méritent d’être décrites dans toute leur matérialité. Des observations répétées et des photographies[28] des mains des moniteur·rice·s d’équitation ont été effectuées. Nous en avons réalisé par exemple auprès de Maxime, alors en situation d’auto‑emploi dans une « petite » structure rurale. Partant de ces données brutes, nous avons finement décrit ce type de mains rencontré chez tou·te·s les acteur·rice·s effectuant un travail agricole régulier.
Les mains du ou de la « travailleur·euse agricole » : le cas des mains de Maxime (44 ans, moniteur dirigeant)
« On a le même métier que les paysans »
Visuellement imposantes et volumineuses, avec les doigts rentrant légèrement vers l’intérieur, et les creux de ses paumes particulièrement dessinés, les mains de Maxime sont assimilables à deux gants de baseball, voire à de petites pelles rondes dont les godets relevés permettraient de saisir avec poigne divers matériaux. La coloration des mains de Maxime se distingue des autres parties visibles de son corps (ses avant‑bras et son visage) par son aspect noirci (même si ses avant‑bras et son visage demeurent bronzés par l’exposition répétée au soleil). Ses mains sont assombries par des traces diffuses de terre séchée à l’épaisseur infime, notamment sur les parties qui servent à la prise. Seuls ses carpes (os situés au bas des doigts, particulièrement visibles lorsque le poing est fermé) sont légèrement rougeâtres, comme si ces petits os avaient frotté des matériaux solides et irritants. Quelques zones localisées de la face dorsale des mains sont marquées par des épaississements, ce qui donne à la peau un effet gondolé, voire boursouflé. Les parties articulaires entre les phalanges et les métacarpes sont les zones les plus marquées : ces parties sont particulièrement épaissies, présentent de multiples reliefs irréguliers et mitoyens, dont l’un prend naissance sur l’autre et se termine sur le relief suivant, ce qui donne une impression de souplesse à la peau, comme un enchevêtrement de petites collines lâches sur lesquelles on pourrait presque s’enfoncer. De fines stries blanchâtres sont également visibles sur ces parties épaisses, reflétant sûrement la sécheresse de sa peau. Les mains de Maxime sont aussi marquées par d’innombrables plis de petite taille dont la répétition donne un effet visuel d’encombrement, un peu comme des gribouillis serrés qui couvriraient une feuille entière. Loin d’être droits et homogènes, les plis présents se croisent, se chevauchent, et sont inégalement profonds selon les divergences d’épaisseur de la peau de ses mains. Comme ses mains, les ongles de Maxime sont noircis de façon homogène jusqu’à ne plus distinguer la lunule – petit croissant habituellement blanchâtre à la base de l’ongle – de la couche cornée – partie médiane et supérieure de l’ongle habituellement rose pâle. En plus des quelques rayures localisées sur quelques ongles, les extrémités sont rongées de façon irrégulière selon les doigts. Les cuticules – petits bourrelets de peau latéraux encadrant et protégeant les ongles – sont abimés, laissant ainsi visibles des bouts de peau morte sur les côtés. Enfin, certaines plaies non soignées sont identifiables, dont une coupure séchée sur la face dorsale de l’index de sa main gauche, formant un petit cratère autour duquel des traces blanches circulaires se sont formées.
Ces mains du ou de la « travailleur·euse agricole » ne sont pas neutres, mais prennent des significations particulières dans les interactions avec des relations du travail sur les temporalités de la structure et du vivant.
Ce type de marques présentes sur les mains des dirigeant·e·s ou des salarié·e·s de « petites » structures, celles et ceux qui ont la particularité d’être les plus polyvalent·e·s, sont reconnues comme des signes d’assignation à du travail agricole par les autres membres du collectif de travail, qu’il s’agisse d’apprenti·e·s, palefrenier·ère·s, salarié·e·s, dirigeant·e·s voire de moniteur·rice·s indépendant·e·s. Les collègues identifient et associent ces marques à différentes tâches de la temporalité de la structure : fabrication ou réparation des clôtures, coupe ou taille de végétaux, fenaison pour celles et ceux qui produisent leur propre foin, bricolage des abreuvoirs ou déplacement de bottes. Elles et ils associent également ces traces corporelles à des tâches de la temporalité du vivant, celles réalisées dans des conditions temporelles pénibles (répétition, intensité, superposition ou extensivité des activités) : principalement l’entretien et le déplacement des chevaux.
Léopold (32 ans, moniteur dirigeant) est l’un des rares dirigeant·e·s enquêté·e·s qui occupent la « place douce » (Cribier, 1983) en déléguant la plupart des tâches agricoles à des salarié·e·s. Puisqu’il ne réalise pas ce travail, ses mains ne possèdent pas les stigmates du ou de la « travailleur·euse agricole ». Questionné sur ses mains peu abimées, Léopold évoque les traces laissées sur les mains de ses salarié·e·s et les attribue à la réalisation de tâches agricoles : le fait « de tenir la fourche » pour curer des boxes produit certaines marques tandis que « la charge de travail » liée à la répétition du curage en crée d’autres. En tant que donneur d’ordres, Léopold peut établir un lien entre le travail agricole qu’il prescrit et le travail réel à l’aune des marques corporelles présentes sur les mains de son équipe[29]. Les mains du ou de la « travailleur·euse agricole » sont alors connues et reconnues comme la conséquence d’un engagement dans ce type de travail entre les membres du collectif de travail.
Réciproquement, l’absence de ce type de traces sur les mains d’un·e moniteur·rice signifie pour ses pairs qu’elle ou il n’effectue pas les tâches agricoles de la temporalité de la structure et échappe aux conditions temporelles de travail les plus pénibles de la temporalité du vivant. En effet, comme « le corps marqué de l’ouvrier apparait dans le contraste avec « les gens du bureau qu’on croise dans la rue », avec les chefs et les patrons lorsqu’ils inspectent l’usine en blouses blanches et cravates », (Pillon, 2012, 117), les corps des moniteur·rice·s d’équitation – et notamment les marques sur leurs mains – reflètent une position sociale privilégiée au sein de la division du travail. Celles et ceux qui possèdent les mains du ou de la « travailleur·euse agricole » associent d’ailleurs des « mains douces » à celles du « branleur », qui a la liberté économique d’embaucher des salariés en quantité suffisante et de leur déléguer le travail agricole. Par cette opération de transfert des tâches, ces dirigeant·e·s préservent leur santé physique d’un travail particulièrement usant. Elles et ils s’affranchissent par la même occasion d’activités d’entretien agricole peu valorisées, apparentées à du « sale boulot » (Hughes, 1996 ; Arborio, 2009), mais aussi des activités de la relation au cheval réalisées dans des conditions temporelles pénibles.
Les moniteur·rice·s indépendant·e·s sont également préservé·e·s du travail agricole. Nombre d’entre elles et eux exercent d’ailleurs le métier dans cette configuration professionnelle, moyennant des ressources économiques personnelles ou institutionnelles[30], après des expériences éprouvantes en tant que dirigeant·e ou salarié·e d’une « petite » structure alors assigné·e au travail pénible. C’était notamment le cas de Chris, qui associe le travail d’entretien agricole de la temporalité de la structure à des tâches ingrates avant de réaliser sa mobilité professionnelle.
« Je suis enseignant donc moi ce que j’aime c’est d’enseigner et je ne suis pas palefrenier donc moi, entretenir les boxes toute la journée, tous les jours, ce n’est pas mon boulot. »
(Chris, 37 ans, moniteur indépendant, anciennement salarié d’une « petite » structure)
Les dirigeant·e·s doté·e·s de main d’œuvre et les indépendant·e·s ont diminué leur engagement sur la temporalité de la structure et, dans une moindre mesure, sur celle du vivant, pour limiter le travail agricole et prioriser les enseignements équestres de la temporalité du marché. En effet, ces professionnel·le·s encadrent des reprises de dressage, prioritairement auprès de cavalier·ère·s confirmé·e·s et/ou de compétiteur·rice·s. Elles et ils privilégient une clientèle adulte dotée de compétences techniques à cheval et délaissent les cours pour débutants. Apparait ainsi un clivage entre deux figures de moniteur·rice·s à l’aune d’un engagement différencié dans le travail et d’une inégale répartition des tâches – ce dont les mains témoignent.
Les mains du ou de la « travailleur·euse agricole », reflet d’un travail souvent dévalorisé, sont tout de même revendiquées par celles et ceux qui les possèdent, et opposées aux mains des individus qui occupent la « place douce » (Cribier, 1983). Elles s’apparentent à un capital culturel objectivé, symbole de l’incorporation d’une culture du travail manuel et agricole, et même d’une culture « paysanne » (Vassort, 1999), propre à l’identité professionnelle du ou de la « travailleur·euse agricole ». Elles légitiment à leurs propres yeux leur position professionnelle pourtant dominée de dirigeant·e et de salarié·e de « petites » structures, dans une logique de distinction vis‑à‑vis d’autres qui ont la possibilité de sélectionner leurs activités.
« J’ai les doigts dégueulasses… tu me montreras les mains de Romain… Je veux voir s’il travaille. »
(Maxime, 44 ans, moniteur dirigeant)
Maxime valorise le caractère « sale » de ses mains et en profite pour délégitimer l’activité professionnelle de son confrère Romain, dirigeant d’une « grosse » structure, en anticipant l’absence de traces sur les siennes. Son discours rejoint finalement la dualité classique entre le corps et l’esprit. Dans cette optique, si l’on envisage l’opposition comme un continuum, les moniteur·rice·s de type « travailleur·euse agricole » seraient situé·e·s près du pôle « corps », tandis que les indépendant·e·s et les dirigeant·e·s des plus « grosses » structures seraient plus éloigné·e·s de cette extrémité[31]. Les traces sur les mains sont d’autant plus mises en avant comme la conséquence d’un engagement dans le travail lorsque la relation entre deux moniteur·rice·s est marquée par de la concurrence professionnelle, comme le montre le cas de Maxime et Romain qui se partagent le vivier local de pratiquant·e·s. Les mains de « travailleur agricole » de Maxime prennent alors un rôle d’affirmation de sa professionnalité, faite d’engagement dans les temporalités de travail agricole face aux concurrent·e·s qui y échappent.
En revanche, aucun·e des moniteur·rice·s rencontré·e·s ne produit de discours sur les mains et leur matérialité pour évoquer la pratique équestre personnelle ou celle des cours d’équitation, activités sportives des temporalités du loisir et du marché. Les discours ne contiennent pas non plus de liens entre les marques corporelles et les activités de la relation au cheval éloignées de contraintes temporelles, celles qui s’inscrivent dans un rapport expressif au travail. En effet, affirmer sa professionnalité dans le travail animal passe par la reconnaissance d’une disposition sociale à la « disponibilité du care », et non par la reconnaissance de la matérialité des corps (cf. supra). Les mains servent ainsi à valoriser un engagement dans les activités des temporalités de la structure et du vivant. En outre, cette valorisation est situationnelle. D’une part au regard du contexte de production : la signification attribuée à une marque corporelle issue de la temporalité du vivant ne dépend pas de la nature de l’activité réalisée, mais des conditions de sa production, qui varient en fonction de l’organisation du travail. D’autre part au regard des individus engagés dans la situation : la marque corporelle est comprise par des relations du travail, mais pas par des acteur·rice·s extérieur·e·s à ce collectif. Sur ce dernier point, lorsque l’enquêteur a demandé à Maxime la permission de photographier ses mains (dont le portrait a été dressé supra), ce dernier, se souciant soudainement de leur apparence et des marques visibles, a répliqué par une autre question : « as‑tu peur de mes mains ? ». En interaction avec une personne qui ne travaille pas dans le centre équestre et qui s’intéresse à cette partie de son corps, il perçoit les marques sur ses mains comme un signe pouvant provoquer de la peur, voire du dégoût[32]. Elles sont également dépossédées des significations liées à l’engagement dans le travail lors d’interactions avec les personnes qui, sur les temporalités du travail sportif, ne font pas partie du collectif de travail : bénéficiaires des activités équestres, parents de pratiquant·e·s, etc., auprès desquel·le·s ces marques ne sont pas mises en avant.
Ainsi, les marques sur les mains sont un signe d’acquisition des attendus corporels pour être – ou ne pas être – un·e professionnel·le engagé·e dans le travail auprès des relations du travail sur les temporalité de la structure et du vivant. Elles permettent de « passer de l’autre côté du miroir » (Hughes, 1996), c’est‑à‑dire d’un novice à un professionnel reconnu, comme le dit Maxime.
« Je veux faire progresser le gars mais un mec qui a envie d’avoir les mains un peu abimées, qui veut donner de sa personne… »
(Maxime, 44 ans, moniteur dirigeant)
Maxime, qui évoque le recrutement d’un apprenti, sera particulièrement attentif à l’état de ses mains, d’autant que les tâches assignées à ces travailleur·euse·s non‑initié·e·s sont principalement agricoles et requièrent un engagement dans le travail (Slimani, 2014). Les mains marquées du ou de la « travailleur·euse agricole », revendiquées par celles et ceux qui en sont doté·e·s, et reconnues sur et par les relations du travail sur les temporalités de la structure et une partie de celle du vivant, agissent comme un capital professionnel symbolique. Elles participent à la segmentation entre sous‑mondes professionnels (Strauss, 1992) entre, d’un côté, des dirigeant·e·s et des salarié·e·s polyvalent·e·s de « petites » structures rurales, et de l’autre, des moniteur·rice·s indépendant·e·s et des dirigeant·e·s de plus « grosses » structures doté·e·s de ressources supplémentaires. Ces ressources sont principalement d’ordre économique. Elles leur permettent de sélectionner leurs tâches et d’opérer un glissement de l’agricole vers l’enseignement équestre auprès de cavalier·ère·s confirmé·e·s. Le capital économique des dirigeant·e·s leur offre la possibilité de recruter une main d’œuvre à laquelle le travail dévalorisé et pénible est délégué, tandis qu’il permet de pérenniser une activité de moniteur·rice indépendant·e en compensant le faible temps de travail afférent, rempli quasi‑exclusivement par des prestations d’enseignement équestre.
En prise avec des tâches agricoles et sportives, le travail de moniteur·rice d’équitation marque les corps. Les marques corporelles constitutives d’un référentiel commun sont reconnues par les personnes socialisées au milieu équestre professionnel. Des significations leur sont ensuite attribuées dans l’interaction : elles témoignent d’un travail sportif ou agricole. La pluralité des relations du et au travail, avec des acteur·rice·s présent·e·s dans les contextes agricole, sportif ou les deux, est au cœur des différents rites d’interaction.
Les traces laissées par le travail sportif sont dotées d’une signification positive dans toutes ces interactions, mais elles apparaissent presque exclusivement sur les corps masculins. Les femmes font face à une inégalité d’accès aux espaces sportifs étant donné leur position dominée dans la division morale du travail et leur charge de travail domestique, ce qui les empêche d’acquérir et de valoriser un capital sportif corporel. Ainsi, les moniteurs jouissent d’un capital symbolique à mettre au service d’une activité professionnelle, tandis que les monitrices en sont démunies. Quant aux marques façonnées par les activités agricoles, elles oscillent entre indifférence, significations négative et positive selon les situations. Elles sont la plupart du temps masquées ou ignorées lorsqu’elles sont produites sur la temporalité de la structure. Celles qui interviennent sur la temporalité du vivant sont subjectivement redéfinies, essentiellement par les femmes, pour ne pas remettre en cause l’engagement dans le travail, en conservant l’origine du goût pour le métier à travers l’entretien d’un rapport expressif au travail dans la relation aux chevaux. Cependant, la reconnaissance de ce travail animal ne passe pas tant par la valorisation de traces corporelles que par la reconnaissance par autrui d’une disposition sociale à la « disponibilité au care ».
Seules les marques produites sur la temporalité de la structure, et sur les activités de la temporalité du vivant vécues sous l’angle de la pénibilité temporelle, endossent une signification spécifique dans certaines interactions sociales. Le plus souvent masquées ou ignorées, elles deviennent valorisées auprès des membres du collectif de travail lorsqu’elles sont présentes sur les mains : la peau meurtrie par le travail agricole devient dans ce contexte le reflet d’un engagement de soi, tandis qu’elle est dénuée de signification dans les interactions en‑dehors des collègues de travail. Les marques corporelles sur les mains visibles et mises en avant par les moniteur·rice·s de type « travailleur·euse agricole » témoignent d’une diversité de profils de professionnel·le·s exerçant pourtant un même métier. Celles et ceux qui les possèdent sont assigné·e·s au travail physique usant, et se différencient des moniteur·rice·s plus éloigné·e·s de ces contraintes du travail. Ces dernier·ère·s regroupent les dirigeant·e·s doté·e·s de main d’œuvre, et les indépendant·e·s qui ont déjà vécu des expériences de travail éprouvantes dans une autre configuration d’emploi.
L’appréhension des marques corporelles des moniteur·rice·s d’équitation comme des stigmates dans les situations d’interaction pour identifier différentes figures du métier reste à poursuivre sur des corps en mouvement, en mettant les chutes à cheval dans différentes situations et devant différent·e·s acteur·rice·s au cœur de l’étude. A l’instar de l’existence d’une pluralité de figures de dirigeant·e·s de structures équestres (Salaméro et Le Mancq, 2022), notre analyse montre qu’il n’existe pas un·e moniteur·rice d’équitation mais plusieurs, les marques présentes sur les mains jouant le rôle de différenciateur en situation d’interaction entre celles et ceux qui mettent la main à l’agricole et celles et ceux qui s’en lavent les mains.
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[1].↑. Nous remercions Delphine Azéma et Cynthia Flambard pour leurs relectures précieuses des premières versions de ce texte.
[2].↑. Est entendu par configuration professionnelle, la forme d’emploi (indépendant·e, dirigeant·e ou salarié·e), le territoire d’implantation, la taille et la labélisation de la structure équestre employeuse, dirigée ou sur laquelle des moniteur·ice·s indépendant·e·s interviennent.
[3].↑. Cette cohorte est représentative de tou·te·s les professionnel·le·s qui travaillent avec des animaux (éleveur·euse·s d’ovins, bovins, équidés, etc.). Nous avons isolé tou·te·s les professionnel·le·s en activité principale de la production et de l’utilisation du cheval qui font partie des milieux équestre et hippique. Pour ce faire, nous avons croisé les codes de l’Activité Principale Exercée (APE) avec la déclaration de travailler dans les « sports et loisirs équestres ». Nous ne pouvons affirmer que ce sous‑échantillon constitué est représentatif des « moniteur·rice·s d’équitation » mais il offre tout de même de bons indicateurs sur les professionnel·le·s des sports et des loisirs équestres.
[4].↑. Seulement 46,4% des moniteur·ice·s d’équitation âgé·e·s de plus de 49 ans sont des femmes. Ceci a une importance sur notre terrain, les enquêté·e·s étant ancien·ne·s dans le métier (cf. partie méthodologique).
[5].↑. Entre autres diplômes agricoles possédés par les moniteur·rice·s d’équitation : baccalauréat professionnel agricole, baccalauréat professionnel conduite et gestion des exploitations agricoles, brevet professionnel responsable d’entreprise agricole, brevet d’études professionnelles agricole activités hippiques.
[6].↑. Les « cours d’équitation » regroupent l’encadrement de reprises de dressage collectives et individuelles, de « balades » à cheval, de cours de « baby‑poneys », de prestations de tourisme équestre, et dans une moindre mesure de coachings individualisés.
[7].↑. Dans le cadre de cet article, l’analyse des interactions entre humains et chevaux se limite au point de vue des moniteur·rice·s à travers l’analyse des discours et des observations ethnographiques réalisées. Dans une perspective pluridisciplinaire, il aurait néanmoins été intéressant de travailler avec des éthologues pour également recueillir le « point de vue » des chevaux.
[8].↑. Cette thèse de doctorat fait partie du programme plus vaste de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) « Soutenabilité physique et psychique du travail. Vulnérabilisation, transitions et modes d’accompagnement – SPPT ».
[9].↑. MAXQDA est un logiciel d’analyse de données qualitatives, quantitatives et mixtes. Il permet d’analyser des entrevues, des rapports, des tableaux, des sondages en ligne, des groupes de discussion, des vidéos, des fichiers audio, de la littérature ou encore des images. En plus de sa fonction d’analyse, le logiciel favorise l’organisation de données mais aussi leur présentation grâce à des outils de visualisation des documents (nuage de mots, carte des codes et des documents, diagramme de comparaison des documents, portraits des documents, etc.). Bien que MAXQDA autorise des entreprises méthodologiques variées et l’analyse de documents de nature plurielle, notre usage du logiciel ne permet pas d’explorer l’ensemble de ses fonctionnalités. Sans nous en tenir à un usage élémentaire pour autant, nous avons exploité les outils d’analyse thématique des données qualitatives en codant les entretiens par thématiques. Dans un second temps, nous avons utilisé les fonctionnalités de représentation visuelle des documents de façon à saisir les fréquences d’apparition des thématiques de recherche dans l’entretien.
[10].↑. Des variables (différentes parties des mains et du visage) avaient initialement été sélectionnées pour objectiver la santé sur les corps des enquêtés. Cependant, nous avons modifié notre dispositif méthodologique face à l’impossibilité de hiérarchiser les valeurs (exemple : pas de marques, marques modérées, marques sévères) attribuées à ces variables qualitatives ordinales. Les catégories d’une échelle de ce type ne sont en effet ni séparées par des intervalles clairement définis ni par des intervalles fixes.
[11].↑. Dans un milieu professionnel composé quasi exclusivement de très petites entreprises, les « petites » structures sont entendues dans notre article comme des centres équestres composés de trois professionnels (un dirigeant et deux salariés) ou moins (dirigeant en situation d’auto‑emploi ou un dirigeant avec un salarié).
[12].↑. Sont entendues par « grosses » structures, tous les centres équestres situés en milieu urbain, fréquemment constitués de quatre professionnel·le·s ou plus, à savoir un collectif de travail formé d’un·e dirigeant·e et d’au moins trois salarié·e·s (dont souvent un·e palefrenier·ère assigné·e au travail agricole).
[13].↑. Selon notre traitement statistique secondaire de la COSET MSA, le paysage équestre et hippique n’est composé que de 17% de structures dotées d’un·e dirigeant·e et d’au moins trois salarié·e·s. En réalité, le taux de de « grosses » structures dans le milieu équestre est encore plus faible lorsque l’on sait que les établissement hippiques (écuries de course notamment), également représentés dans la base de données MSA, sont davantage fournis en nombre de salarié·e·s que les centres équestre (données récoltées lors d’entretiens informels auprès de membres du Groupement Hippique National).
[14].↑. Seule une enquêtée de notre échantillon vient de rentrer dans le métier depuis moins de trois ans. Cet entretien se voulait exploratoire, et a été réalisé lors d’une première vague de terrain.
[15].↑. Comme cet article s’inscrit dans un travail de thèse sur la soutenabilité du travail, avec une analyse des parcours professionnels, seuls les moniteur·rice·s d’équitation assez ancien·ne·s dans le métier ont été sélectionné·e·s. Autrement dit, nous avons uniquement enquêté sur les individus qui, avec un parcours professionnel avancé, sont en mesure de faire le récit des modes de soutenabilité du travail et de raconter « comment elles ou ils ont duré dans le métier ». De plus, comprendre les significations sociales de traces corporelles issues d’une activité professionnelle nécessite d’être socialisé au métier.
[16].↑. Les enquêté·e·s ont été avertis des observations réalisées en amont de la rencontre, et des photographies ont même parfois été prises avec leur accord. Nous avons suivi une éthique de non‑nuisance à autrui, une éthique dite « relationnelle » de manière à « reconnaître et valoriser le respect mutuel, la dignité et les liens sociaux avec les enquêtés, en accord avec les règles déontologiques de la profession » (Paccaud, 2020, 50).
[17].↑. La terre et/ou la boue et les blessures visibles se différencient des autres catégories sélectionnées pour regarder finement les mains par leur caractère exogène. La quasi‑systématisation des blessures (même minimes telles que des éraflures ou des ampoules), et de la terre et/ou de la boue sur les mains des enquêté·e·s, nous a conduits à les considérer non pas comme des subdivisions des autres catégories mais comme des catégories à part entière. En d’autres termes, nous ne regardons pas si – oui ou non – de la terre et/ou de la boue sont présentes sur les ongles, les métacarpes ou les phalanges, mais nous attribuons des valeurs construites après observation à ces variables omniprésentes (la terre et/ou la boue peuvent se présenter comme incrustées, sèches ou fraiches, diffuses ou localisées, etc.).
[18].↑. Ce secteur correspond aux travailleurs et travailleuses des milieux équestre et hippique. Il n’est pas représentatif des moniteur·rice·s d’équitation mais il offre de bons indicateurs sur les travailleur·euse·s des sports et des loisirs équestres.
[19].↑. Sont compris les exploitants agricoles, aides familiaux et conjoint·e·s collaborateur·rice·s. En revanche, les moniteur·rice·s indépendant·e·s ne sont pas présenté·e·s dans cette catégorie des personnes « non‑salariées ».
[20].↑. Nous ne disposons pas de données sur le financement de ces pratiques de soin qui ne sont pas prises en charge par la sécurité sociale. Nous pouvons simplement affirmer que la fréquence du recours aux ostéopathes varie entre une et deux visites par an chez les moniteur·rice·s rencontré·e·s, le plus souvent à la suite du vécu d’une blessure physique.
[21].↑. Christine s’est spontanément mise à parler de Donovan lorsque nous avons évoqué les relations du travail.
[22].↑. Lors de ces récits, le cheval n’est pas mis en avant, ni même forcément évoqué. Dans le cadre de la conduite d’entretien biographique professionnel (Demazière, 2003), comme nous l’avons fait lors de notre enquête, les discours des enquêté·e·s suivent une volonté de « se raconter », voire de « se produire » face à un·e enquêteur·rice (Bourdieu, 1986). Nous faisons l’hypothèse que les enquêté·é·s ont mis en avant leurs prouesses sportives pour revendiquer un capital sportif davantage que celles du « cheval‑athlète » (Chevalier et Le Mancq, 2013).
[23].↑. Une piste explicative se trouve dans le système de formation et ses évolutions. En effet, tou·te·s les enquêté·e s ont été formé·e·s avant des changements dans les politiques institutionnelles de formation en 2010 qui visaient à ne plus banaliser la chute. Nous ignorons si cette réforme a produit des rapports aux blessures différents parmi les nouvelles générations de moniteur·rice·s.
[24].↑. Selon les données de la MSA (2023b), qui indiquent les causes des accidents déclarés par les professionnel·le·s des sports et des loisirs équestres, entre 2015 et 2019, 26,5% des accidents du travail vécus par les salarié·e·s du secteur « entrainement, dressage, haras » sont de la responsabilité des « installations », du « matériel et des accessoires » ou des « éléments des bâtiments ». Nous ne disposons cependant pas de données sur les personnes non‑salariées. Comme les moniteurs et les monitrices entretiennent un éloignement émotionnel à leurs maux de santé (cf. infra), il se peut que ces accidents ne soient pas systématiquement déclarés, ce qui nous laisse penser à une minimisation des effets de la temporalité de la structure sur la santé des moniteur·rice·s.
[25].↑. Selon les données de la MSA (2023b), entre 2015 et 2019, 54,3% des accidents du travail déclarés par les salariés du secteur « entrainement, dressage, haras » sont de la responsabilité des équidés. Nous ne disposons pas non plus de données à ce sujet sur les non‑salariés.
[26].↑. Cette trace corporelle n’a pas été observée. Les données à son sujet proviennent uniquement du récit de l’enquêtée.
[27].↑. Nous insistons sur le fait que nos propos ne concernent que les contextes de travail. En ce qui concerne ceux hors‑travail, nous avons observé très peu de dirigeantes ayant réalisé un travail corporel (maquillage, coiffure, etc.) lors d’un événement de deux jours, comprenant une soirée festive, rassemblant des dirgeant·e·s de la région. Nous pouvons émettre l’hypothèse que le peu d’attention portée au travail corporel en contexte de travail chez les monitrices dirigeantes se poursuit en contexte extra‑professionnel, à l’inverse des boxeuses qui jouent l’hyperféminité en dehors du ring (Mennesson et Clément, 2009). Cela peut être mis en perspective avec les discours des monitrices dirigeantes sur la socialisation enveloppante qu’elles ont connue (Bertrand, 2011), et sur leur absence de loisirs en dehors du milieu équestre (faible investissement dans des espaces extra‑professionnels). De plus, au contraire de la boxe, comme le milieu équestre est fortement féminisé et non stigmatisé comme extrêmement viril, les monitrices n’éprouvent pas autant que les boxeuses le besoin de relégitimer leur féminité. En revanche, nous ne disposons pas de données sur les signes d’attention corporelle en dehors du contexte de travail chez les monitrices‑salariées et indépendantes (d’autant que seules trois monitrices salariées ont été rencontrées en dehors de leur lieu de travail, et que nous ne disposons pas d’assez de monitrices indépendantes dans notre population pour proposer une piste interprétative sur la question du travail corporel).
[28].↑. Nous n’avons pas systématiquement réalisé des photographies des mains des enquêté·e·s. Nous l’avons seulement fait avec les moniteur·rice·s avec qui nous avions des relations d’enquête privilégiées (climat de confiance, contact social facilité, etc.).
[29].↑. Bien que l’association entre travail agricole et traces présentes sur les mains ressorte des discours, aucune donnée ne permet de savoir si les dirigeant·e·s utilisent ces traces comme un outil de contrôle hiérarchique afin de déterminer si les salarié·e·s ont fait – et bien fait – leur travail.
[30].↑. Dans la majorité des cas, la pérennisation de l’activité de moniteur·rice d’équitation indépendant·e nécessite l’appui de dispositifs institutionnels (par exemple France Travail sur un laps de temps) ou d’un patrimoine économique personnel. Ces ressources garantissent une sécurité financière pour des professionnel·le·s qui ne travaillent pas à temps plein du fait de la demande. Cependant, rares sont les indépendant·e·s qui durent dans cette activité. La majorité sont en situation de multiactivité, retournent vers le salariat, voire sont évincés du métier.
[31].↑. Cette dualité suggérée dans le discours des acteur·rice·s et explicitée ici pour la clarté de l’argumentation ne doit pas être prise au pied de la lettre et, a fortiori, comme un cadre d’analyse dont les auteurs feraient la promotion. En opposant le corps et l’esprit, les sociologues resteraient prisonniers de la perspective intellectualiste qui promeut un sujet transcendantal et souverain, ainsi que de toutes les hiérarchies qu’elle véhicule (concret‑abstrait, émotionnel‑rationnel, grossier‑élevé etc.). La compréhension sociologique des comportements passe au contraire par le rejet de cette distinction métaphysique, qui empêche de concevoir que toute socialisation s’effectue par corps et que ce sont toujours des corps socialisés qui « pensent » (voir en particulier Bourdieu, 2003).
[32].↑. Seul Maxime a eu cette réaction spontanée pendant l’enquête et, faute d’avoir interrogé les acteur·rice·s spécifiquement sur ce sujet, l’interprétation de ce cas précis relève davantage d’une hypothèse.