La peaulogie

Revue de sciences sociales et humaines sur les peaux

La peau est un organe important qui ne se limite pas à une enveloppe superficielle, que ce soit pour nombre d’animaux et spécifiquement pour les mammifères. Par son entremise, les processus fondamentaux de réassurance et d’attachement se mettent en place, pour la survie tout d’abord, puis le bien-être. La peau participe ensuite et pour le restant de la vie et activement aux relations humaines et sociales. Parfois, au-delà de la vie, les téguments peuvent être conservés comme reliques, religieuses ou non… prolongeant d’autant le lien social. Loin de nous l’idée de faire ici l’apologie de la peau, au contraire, il s’agira de débattre le plus précisément possible de ses actions et réactions, de ses implications dans la vie des êtres vivants.

Au quotidien, les contacts, les plaisirs et déplaisirs, les soins, les irritations, etc., passent souvent par la peau et plus largement par les muqueuses. Ses caractéristiques comme son apparence, sa couleur, etc., participent à la conformité aux normes dominantes d’une société. Tout écart normatif distingue pour le « meilleur » (l’originalité, le look, la prestance, etc.) ou pour le « pire » (les évitements, les stigmatisations, les exactions) à l’intention du porteur de marques corporelles. Les connaissances biologiques, chimiques et médicales occupent une place importante qui mérite d’être complétée par des approches relevant d’autres disciplines scientifiques : anthropologie, économie, ethnologie, histoire, sociologie, psychologie, etc.

Les objectifs principaux de la revue
  • Permettre aux acteurs et actrices de différentes disciplines (scientifiques, esthétiques, philosophiques, etc.) de présenter et confronter leurs pratiques sur la peau humaine, voire sur la peau animale

  • Solliciter les acteurs et actrices de ces disciplines pour présenter et confronter leurs analyses de la peau (humaine, animale)

  • Valoriser les recherches sur la peau dans toutes ces/ses dimensions

  • Diffuser ces recherches spécifiques le plus largement (organisations de journée d’étude, de publications, d’enquêtes, etc.)

La dermatologie, associée à la vénéréologie, occupe une place scientifique désormais ancienne. Elle apparait dynamique à raison des nombreuses journées d’études, de formations, etc., qui se déroulent chaque année en France comme ailleurs dans le monde. Cette place est toutefois questionnée par le développement des soins et de la chirurgie esthétiques notamment (Le Hénaff, 2010). A côté des maladies de peau parfois gravissimes, ces actions et interventions esthétiques dérogent, interpellent. L’identité professionnelle des dermatologues est égratignée, « futilisée » en quelque sorte par ces interventions[1]. Cette place de la dermatologie est questionnée aussi pour ses relations, comme nombre de spécialités médicales, avec les laboratoires pharmaceutiques et le monde industriel en général. C’est notamment le cas de ses relations avec le monde de la cosmétique, parfois décrié pour sa futilité, voire sa nocivité (Cochennec, 2004 ; Mars, Depardon, 2008 ; Gue, 2010 ; Bellaje et al., 2016). Ces deux indications rapides soulignent que le domaine spécifique de la dermatologie laisse rarement indifférent tant les atteintes épidermiques sont courantes et la place de l’apparence humaine est prégnante dans chaque société (Amadieu, 2002 ; Andrieu et al., 2008).

Avec la dermatologie et en complément d’elle, La Peaulogie, comme nouvelle revue scientifique, a l’ambition de proposer un regard complémentaire sur la peau, les muqueuses et les téguments. La dermatologie a démontré l’importance de la peau qui n’est pas une enveloppe superficielle, et dont le traitement des atteintes ne se limite pas à des soins secondaires ou de confort. Notre démarche désire souligner l’importance de la peau sous l’angle de la vie sociale, au quotidien lorsqu’elle est manifestement malade, mais aussi lorsqu’elle est saine ou parait l’être. Surtout, le titre de la revue vise à la questionner, par conséquent il ne s’agira pas d’une apologie de la peau, mais bien d’un questionnement scientifique en complément des expériences et protocoles dermatologiques.

La peau, sous ses différentes formes issues de l’Évolution, est un organe actif pour les animaux. Elle l’est spécifiquement pour les mammifères qui ne possèdent pas de carapace, et par conséquent pour le « singe nu », l’être humain (Morris, 1968). Cette référence très critiquée et critiquable d’un point de vue méthodologique et en termes d’hypothèses, est un bon moyen de rappeler notre objectif de discussion des théories et des méthodes actuelles et passées. En outre, par l’entremise de la peau comme organe extérieur, des processus fondamentaux se mettent en place : la réassurance et l’attachement pour la survie tout d’abord, puis la complicité (amitié, amour), le plaisir, ensuite (Anzieu, 1985 ; Andrieu, 2006 ; Pierrehumbert, 2013). Car, la peau participe d’une manière permanente et active aux relations humaines et sociales dès la naissance et pour le restant de la vie. Pensons aux formes de parures, de maquillages, aux tatouages, aux épilations, aux blessures du visage, etc., qui complexifient considérablement notre peau vierge d’empreintes accidentelles, culturelles (Dargère, 2017 ; Grand Clément, 2016 ; Gherchanoc, 2011 ; Julien, 2010 ; Le Breton, 2002, 2006 ; Liotard, 2015). Cette activité (épi)dermique se prolonge à la fois au-delà de la vie d’une manière biologique et physicochimique puisque les téguments continuent de croitre plusieurs semaines après le décès ; à la fois d’une manière socio-symbolique car les téguments peuvent être conservés et utilisés comme ingrédients magiques, comme trophées, voire comme reliques, religieuses ou non… prolongeant d’autant le lien social avec les vivants, entre les vivants et les morts. Avec cette nouvelle revue scientifique il s’agit de présenter et de débattre le plus précisément possible de ses actions et réactions, de ses implications dans la vie des êtres vivants, aujourd’hui comme hier à partir de protocoles, de problématiques, explicités et confrontés.

Au-delà des contacts, des plaisirs et déplaisirs, des soins, des irritations, des douleurs, etc., la peau et plus largement les muqueuses, sont des actrices socioculturelles avec des caractéristiques essentielles, parfois fortement « impactantes ». Ainsi, la couleur de la peau participe toujours y compris dans les démocraties les plus avancées à la hiérarchisation socioéconomique et parfois politique (Cervulle, 2013 ; Fanon, 1952). Elle concourt à mesurer dans certains contextes, la conformité aux normes dominantes. Tout écart normatif distingue pour le « meilleur » (l’originalité, le look, la surprise, etc.) ou pour le « pire » (l’évitement, la stigmatisation, l’exaction) à l’intention du porteur ou de la porteuse… de ce qui devient alors une marque corporelle affichante.

C’est l’objectif initial de cette création collective  et de partage que constitue cet organe de diffusion scientifique : La PeaulogieIl s’agira en reprenant une expression de S. J. GOULD de « prendre tout l’éventail des variations » de l’analyse SHS des  peaux et des poils.

[1] … qui ne concernent pas uniquement les dermatologues, et ne se limitent pas à la peau puisque les cartilages, les os, etc., sont l’objet aussi des interventions les plus lourdes.

Bibliographie pour cette présentation

  • Amadieu J.F., (2002). Le Poids des apparences, Paris, Odile Jacob.
  • Andrieu B., (2006). « Le soin de toucher », Le Portique [En ligne], 3, Soin et éducation (I), mis en ligne le 08 janvier 2007, consulté le 07 août 2017.
  • Andrieu B., Boëtsch G., Le Breton D., Pomarède N., Vigarello G. (dir.) (2008). La peau. Enjeu de société, Paris, CNRS Editions.
  • Anzieu D., Le Moi peau, Paris, Dunod, 1985.
  • Bellaje R, Houda S., Doha B., Soulaymani A., Soulaymani Bencheikh R., (2016). « L’intoxication par les crèmes éclaircissantes au Maroc profil épidémiologique », European Scientific Journal, 12/12, 29-42.
  • Cervulle, M. (2013). Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias. Paris, Éditions Amsterdam.
  • Cochennec M., (2004). « Le soin des apparences. L’univers professionnel de l’esthétique-cosmétique », ARSS, 4/154, 80-91.
  • Dargère C., (2017). « Les gueules cassées de la Grande Guerre »,
  • L’Inqualifiable, n°3, Les cicatrices (dir. S. Héas).
  • Fanon F., (1952). Peau noire, masques blancs. [En Ligne]
  • Gherchanoc F., (2011). « Maquillage et identité : du visage au masque, de la décence à l’outrage, de la parure à l’artifice », in : L. Bodiou,
  • Gherchanoc F., Huet V., Mehl V. (dir.) Parures et artifices le corps exposé dans l’Antiquité, Paris, L’Harmattan, 23-44.
  • Grand Clément A., (2016). « L’épiderme des statues grecques : quand le marbre se fait chair », Images Re-vues [En ligne], 13, mis en ligne le 15 janvier 2016, consulté le 07 août 2017
  • Gue L., (2010). Ce qui importe le plus, c’est le contenu. Sondage sur les ingrédients toxiques contenus dans nos produits cosmétiques. [En Ligne]
  • Julien M., (2010). La mode hypersexualisée. Montréal, Québec, Sisyphe.
  • Le Breton D., (2002). Signes d’identité. Tatouages, piercings et autres marques corporelles, Paris, Métailié.
  • Le Breton D., (2006). La Saveur du monde. Une anthropologie des sens, Paris, Métailié.
  • Liotard P., (2015). « Darc Tattoo. Un corps marqué du rock : dialogue-s avec Daniel Darc », Corps, 1/13, 57-64.
  • Le Hénaff Y., (2010). L’entreprise morale en chirurgie esthétique. Un mandat aux marges de la médecine, thèse de sociologie (dir. S. Héas), université de Rennes 2.
  • Mars M.C., Depardon K., (2008). « Les cosmétiques biologiques : exploration d’une consommation alternative et résistante » [En Ligne]
  • Morris D., (1968). Le singe nu, Paris, Grasset.
  • Pierrehumbert B. (dir.), (2012). L’attachement, de la théorie à la clinique, Toulouse, érès.

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