Référence électronique
Cazes J, (2024), « Traiter et maquiller la peau des morts », La Peaulogie 11, mis en ligne le 28 octobre 2024, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/traiter-maquiller-peau-morts
Juliette CAZES
Chercheuse indépendante en thanatologie, autrice, enseignante à l’Université de Rouen Normandie, membre de la Société d’Anthropologie de Paris, Bourgogne.
Référence électronique
Cazes J, (2024), « Traiter et maquiller la peau des morts », La Peaulogie 11, mis en ligne le 28 octobre 2024, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/traiter-maquiller-peau-morts
Résumé
Pour les employés de chambre funéraire en France, l’apprentissage de la cosmétologie sur la peau des défunts n’est pas au cœur d’un cycle de formation défini. Il s’agit d’un savoir optionnel. Pourtant, ces professionnels, aptes à pratiquer une ligature de bouche, ou encore à déterminer si les corps nécessitent l’intervention d’un thanatopracteur, se retrouvent avec la lourde tâche d’inclure une part importante de cosmétique à leur travail de toilette funéraire. Face à l’absence de formation et l’absence de bibliographie spécialisée dans le domaine de la cosmétologie post‑mortem, le salarié devra, au sein de son laboratoire, apprendre en grande partie son travail au gré de ses propres expériences sur le terrain. Un sujet majeur considéré pendant longtemps comme secondaire voire futile en France, même dans les formations théoriques de thanatopraxie, alors qu’il s’avère fortement développé à l’étranger.
Mots-clés
Pompes funèbres, Cosmétologie, Soin post‑mortem, Maquillage post‑mortem, Toilette funéraire
Abstract
For funeral home employees in France, learning cosmetology on the skin of the deceased is not at the heart of a defined training cycle. It is an optional skill. However, these professionals, who are able to perform mouth ligations or determine whether bodies require the intervention of an embalmer, find themselves with the onerous task of including a significant cosmetic component in their funeral grooming work. Given the lack of training and the absence of specialist literature in the field of post‑mortem cosmetology, employees will have to learn much of their work in the laboratory through their own experiences in the field. This is a major subject that has long been regarded as secondary or even trivial in France, even in theoretical embalming training courses, whereas it is highly developed abroad.
Keywords
Funeral services, Cosmetics, Post‑mortem care, Morgue, Post‑mortem make up
Le sujet de la cosmétologie post‑mortem est un sujet d’actualité qui s’avère être très négligé au sein de la littérature dédiée aux professionnels du monde funéraire. S’il existe de la littérature technique pour les médecins légistes, les anthropologues médico‑légaux et bien entendu les thanatopracteurs (Durigon, Delestre, Guénenten, 2023), les agents de chambre funéraire, eux, ne disposent d’aucune littérature dédiée. Encore moins lorsqu’il est question de cosmétologie post‑mortem, étape importante au cours du traitement des défunts dont ils s’occupent. Par extension, les agents de chambre mortuaire et d’amphithéâtre ne possèdent pas d’ouvrage de référence non plus. Par conséquent, de nombreux salariés entrant dans la profession se sentent démunis par le manque de littérature qui leur est consacrée puisque cette dernière est, en 2025, toujours inexistante. Ils ne disposent d’aucun conseil accessible en amont de leur prise de poste pour mieux appréhender les gestes techniques, les gestes d’hygiène et surtout les gestes de la toilette se terminant par un maquillage post‑mortem. La toilette comprend un nettoyage complet du corps, un méchage[1] des orifices, une ligature de la bouche, un placement de coques en plastique sous les paupières, et enfin d’un habillage terminé par un passage au maquillage et à la coiffure. Ces gestes ne sont pas acquis non plus dans les métiers du soin puisque nous parlons de défunts et non plus de patients. Ce qui signifie que les nombreuses personnes entrant en chambre funéraire issues du monde du soin ne sont pas nécessairement au fait de l’ensemble de ces gestes techniques. La plupart du temps, la toilette post‑mortem réalisée par un soignant est une façon pour ce dernier d’apporter un dernier hommage et de s’assurer du bon départ d’un défunt. Or, les gestes du monde post‑mortem cités précédemment ne sont jamais effectués dans les établissements de soin. On observe une toilette simple de la part du personnel soignant. In fine, l’agent de chambre funéraire doit reprendre dans presque tous les cas les toilettes effectuées dans ces établissements puisque les trajets lors du transport du corps occasionnent des rejets de diverses natures venant souiller le corps. Et c’est après plusieurs étapes liées à l’hygiène qu’intervient le travail cosmétique. Un travail fait la plupart du temps à la suite d’un apprentissage empirique en l’absence de sources sur le sujet. Ainsi, l’agent de chambre funéraire, issu du monde du soin ou non, se retrouve dans une impasse d’apprentissage, en particulier lorsqu’il s’agit de maquiller les morts.
Ce travail autour de la cosmétologie post‑mortem est réalisé à partir d’un travail empirique lié à une pratique professionnelle menée depuis 2020 avec une méthodologie plurielle : une observation professionnelle directe, en tant qu’agent de chambre funéraire référent au sein d’un établissement du service public dans une grande ville, mais également grâce à des entretiens menés entre 2022 et 2024 tant en face à face qu’à l’occasion d’échanges téléphoniques programmés avec des professionnels du funéraire concernés par la pratique de la cosmétique post‑mortem, mais également des familles qui ont exprimé leur avis sur la question. Au total, 14 professionnels du funéraire amenés à maquiller les défunts ont été interrogés : des thanatopracteurs, des agents de chambre funéraire, des agents de chambre mortuaire, des conseillers funéraires et enfin, une responsable de chambre funéraire, composent cet échantillon de professionnels basés en France. Cette étude pourrait à terme, être complétée par de nouveaux interrogés, tant en France qu’à l’étranger.
L’observation de terrain qui compose ce travail, s’est faite au gré de mes expériences professionnelles au sein d’établissements funéraires disposant d’espaces techniques dédiés aux défunts, tant en zone rurale en Bourgogne qu’en zone citadine à Lyon. La mise en place de protocoles professionnels a été une prérogative puisque bien souvent inexistants, pour les agents et conseillers funéraires concernés par l’acte de la toilette.
La méthodologie employée pour répertorier des verbatim d’endeuillés qui ont été confrontés à la cosmétologie post‑mortem, s’est faite par la publication d’une vidéo en français intitulée « Maquiller les morts ? Pas que, détrompez‑vous » pour éclaircir la thématique du maquillage post‑mortem sur Youtube auprès du public français en 2021 sur ma propre chaîne Le Bizarreum. Le public était invité à exprimer son ressenti face à ces questions cosmétiques, permettant de regrouper 356 commentaires axés sur l’expérience bonne ou mauvaise d’endeuillés face à un maquillage réussi ou à l’inverse échoué.
Cette approche plurielle me permet de croiser les témoignages, sources et contextes professionnels, afin de dégager les problématiques existantes dans le domaine de la cosmétologie post‑mortem. Mon travail a pour but de montrer l’intérêt de la formation autour de cette thématique pour les agents de chambre funéraire, confrontés à cette pratique qui ne leur est pas enseignée.
Répartition des professionnels interrogés en entretiens en 2024
Lorsqu’un défunt est admis en chambre funéraire en vue de ses futures funérailles, ce dernier va passer par un certain nombre d’étapes entre les mains des professionnels de la mort. Un ensemble de gestes clés issus du soin ou de la tradition interviennent sur sa dépouille. Au sein de la chaîne des professionnels dédiés aux défunts se trouve l’agent de chambre funéraire. Ce dernier est, dans les établissements de grande taille, entièrement dédié aux défunts mais également aux familles qui viennent visiter leur proche. Dans les établissements de taille plus modeste où la chambre funéraire jouxte l’agence de pompes funèbres, c’est bien souvent le conseiller funéraire qui peut être polyvalent. Il aura à traiter ces corps qui sont sous sa responsabilité. Ainsi, l’agent de chambre funéraire travaille aussi bien en zone technique, composée du laboratoire de soin et des cases réfrigérées, qu’en zone publique au sein des salons de veillée. C’est la distinction de ces deux espaces qui définit aux yeux de la loi une chambre funéraire. C’est dans ces espaces que se côtoient un certain nombre de professionnels, avec des habilitations différentes.
Lorsque la prise en charge du corps d’un défunt comprend une toilette funéraire ou un soin de conservation, la question de la cosmétologie intervient presque automatiquement en point final de ces actes hygiéniques. Ce qui signifie qu’une toilette funéraire ou qu’un soin de thanatopraxie n’a pas pour vocation première de maquiller les morts. Alors que le thanatopracteur est le seul professionnel à être autorisé à effectuer des soins dits « invasifs » de conservation, où des instruments tranchants et perforants sont utilisés, l’agent de chambre funéraire, quant à lui, est en mesure de réaliser des toilettes dites « simples ». Les conditions d’accès aux métiers du funéraire et aux habilitations sont mentionnées dans le texte juridique de référence des professions des pompes funèbres, le Code Général des Collectivités Territoriales, appelé de façon abrégée le CGCT. Ce texte évolutif permet d’apporter des éclairages à propos des professionnels qui prennent en charge les disparus, tout en donnant des limites au rôle de chaque intervenant de la chaîne funéraire. Auprès des morts se retrouvent ainsi plusieurs professions en zone technique : le thanatopracteur qui est diplômé et habilité à mener des soins invasifs de conservation ainsi que des toilettes, l’agent de chambre funéraire qui suit le défunt de A à Z avec la possibilité de le toiletter, enfin le toiletteur cultuel qui peut être salarié ou bénévole[2].
L’agent de chambre funéraire n’est pas tenu d’avoir en sa possession un diplôme dans le domaine funéraire, ni une habilitation spécifique. L’entrée dans le métier est simplifiée, et les profils sont variés. Seule la formation à la toilette funéraire avec un thanatopracteur habilité est conseillée une fois la prise de poste effectuée. Cela permet d’apprendre les bons gestes et d’avoir de bons réflexes pour s’occuper des défunts. Les gestes techniques sont également enseignés lors de ce type de formation. L’agent de chambre funéraire est un maillon essentiel de la chaîne des funérailles, puisque c’est à lui qu’incombe la tâche d’admettre les défunts à leur arrivée, de déterminer s’ils ont besoin d’un soin, d’une toilette ou d’un placement en case négative[3]. Il constitue le premier regard technique porté sur un défunt au moment de son arrivée dans son lieu de repos, en l’attente de son enterrement ou de sa crémation. Les agents vont, dans leur quotidien, rester attentifs aux corps et aux signaux qui indiquent un besoin de soin particulier. Enfin, ils sont également amenés à pratiquer des toilettes selon les prestations d’obsèques. Or, l’apprentissage de la toilette funéraire se faisant uniquement sur un laps de temps restreint lors de la formation auprès d’un thanatopracteur habilité, la majorité du travail technique va s’apprendre sur le terrain au gré des cas. En particulier l’aspect cosmétique de leur tâche. Lors des entretiens menés avec les professionnels, les agents de chambre funéraire ou mortuaire ont été formés au mieux par un thanatopracteur, sinon par leurs collègues. Il y a une part de mimétisme dans le geste, plus qu’une réelle connaissance des enjeux cosmétiques ou colorimétriques.
Pour les novices du monde funéraire, l’idée de maquiller la peau des morts signifie souvent dénaturer l’individu décédé. Or, cet apport cosmétique n’a pas pour vocation de transformer, mais bien de sublimer la face ou encore les mains, tout en gardant un aspect naturel. Néanmoins, maquiller sans que cela ne soit visible demande un savoir‑faire technique poussé, aussi bien par rapport aux différentes peaux, qu’aux différents outils à disposition. La peau est soumise également à diverses marques, qu’elles soient ante, peri ou post‑mortem, et toutes ne se traitent pas de la même façon. C’est au fil des admissions que l’agent de chambre funéraire va emmagasiner tout son savoir technique, faisant parfois face à des lésions méconnues et difficile à aborder.
L’apprentissage pour un nouvel agent de chambre funéraire se déroule principalement sur le terrain. La transmission du savoir des plus anciens aux nouveaux est d’ailleurs le moyen majeur de formation dans ces métiers si particuliers. Une force de l’équipe, qui se retrouve aussi lors des moments les plus difficiles lorsqu’un soutien émotionnel est nécessaire (Bernard, 2007). La chambre funéraire est un espace régi par des lois, par des délais légaux, des gestes d’hygiène et techniques précis. Ce sont de nombreuses informations qui doivent être absorbées en peu de temps pour les nouveaux entrants afin d’être rapidement opérationnels. Lors des entretiens, un agent de chambre mortuaire en hôpital regrettait le fait d’être « livré à lui‑même » face à cet environnement méconnu. Au cœur des zones techniques, les agents vont se confronter à un univers sensitif très différent de leurs habitudes. Les deux sens les plus importants sont la vue et le toucher, puisqu’ils permettent une primo analyse post‑mortem, en particulier de la peau. C’est ici que l’agent doit prendre des décisions. Des décisions qui ne sont pas aisées lorsque l’agent est toujours débutant, puisqu’il va devoir s’adapter aux corps mais aussi à ses outils. L’usage de termes techniques revient beaucoup plus lors des entretiens auprès des thanatopracteurs, avec des évocations des ecchymoses, ictères, des termes médicaux précis, qu’auprès des agents de chambre funéraire et mortuaire. Pourtant, les derniers évoluent dans le monde hospitalier, les rendant en principe plus au fait des stigmates visibles sur les corps. Ainsi, la cosmétologie possède toute sa place dans le savoir technique funéraire puisqu’elle permet d’atténuer ou de cacher ce qui traduit la souffrance et la mort. Une notion importante au sein des habitudes funéraires françaises sur laquelle nous reviendrons.
Lors de mes entretiens, j’ai souhaité savoir comment ces professionnels avaient connu le monde de la cosmétologie post‑mortem. Sur le panel interrogé, tous métiers confondus, les expériences sont variées. Trois professionnels ont connu la pratique lors d’une expérience personnelle de deuil, constatant que leur proche était bien maquillé, ou à l’inverse méconnaissable par manque de technique. Deux personnes interrogées ont été initiées à la thématique en recherchant des vidéos ou des lectures sur le sujet. C’est sur internet qu’elles ont connu cette thématique avec des contenus américains sous forme de série télévisée ou de chaîne Youtube. Trois personnes étaient déjà formées et diplômées en esthétique ou en maquillage avant de débuter leur parcours dans le monde funéraire. Enfin, les autres ont appris lors du stage pratique pour les thanatopracteurs, ou bien directement à l’entrée dans le métier pour les agents de chambre funéraire et mortuaire.
Répartition des premiers contacts avec le sujet de la cosmétologie post‑mortem.
Tous les interrogés de mon enquête admettent, voire regrettent, que la question de la cosmétologie post‑mortem ait été inexistante ou presque dans leur formation. Aussi bien du côté des thanatopracteurs que des conseillers funéraires et bien entendu des agents. Le sujet a été survolé pour ceux ayant bénéficié d’un enseignement théorique, se contentant de présenter l’outil colorimétrique de base sous forme de cercle chromatique dans le meilleur des cas. La lecture du cercle permet de définir la couleur à utiliser en correction afin d’atténuer le défaut existant.
Le cercle chromatique se lit en choisissant une couleur et en observant sa couleur opposée en diagonale.
Ce cercle permet de repérer une coloration sur la peau, et de la contrebalancer, voire de l’annuler avec une couleur de cosmétique adéquate. En prenant l’exemple de la figure 3, la teinte violette possède la couleur jaune en opposé. Cet outil de base n’est néanmoins pas suffisant pour comprendre toutes les subtilités de la cosmétologie post‑mortem. En effet, la lumière des éclairages mais également des murs d’une pièce ont un rôle à jouer dans la perception du résultat final.
La plupart des thanatopracteurs interrogés affirment avoir pris connaissance des enjeux du maquillage lors de leur stage pratique obligatoire avec un thanatopracteur habilité. Quant aux agents de chambre funéraire ou mortuaire, la question de la formation à la cosmétologie est inexistante chez toutes les personnes interrogées. Seule la responsable de chambre funéraire interrogée a exprimé sa volonté de mettre en place une formation en interne grâce à un professionnel expérimenté en 2025. Mais elle se retrouve face à des difficultés pour trouver un intervenant répondant parfaitement à ses problématiques. En France il n’existe que deux formations dédiées à la cosmétologie post‑mortem.
La place de la cosmétologie post‑mortem au sein de l’apprentissage des personnes interrogées.
Une absence au cœur des formations qui va dans le sens de l’absence de littérature scientifique dédiée au sujet en France. Pour l’heure, il n’existe pas de manuel consacré à ce sujet technique, et les études sont peu nombreuses en France. Les traités de thanatopraxie ne consacrent que de très courtes lignes à la thématique. Ce que regrettent aussi les interrogés. Celles et ceux qui s’intéressent à la thématique utilisent des ouvrages dédiés aux vivants comme Le guide du maquillage publié chez Larousse.
Un autre point soulevé au cours des entretiens est la vision genrée du maquillage. Bien que je n’ai pas pu le constater lors de ma pratique professionnelle, plusieurs agents et thanatopracteurs m’ont fait part de leur désarroi quant au genre attribué à la question cosmétique. Homme ou femme, ces professionnels ont fait remonter plusieurs éléments montrant que le maquillage post‑mortem souffre de préjugés. Un des interrogés travaillant en chambre mortuaire m’a témoigné du fait qu’il se sentait mal quant à la partie cosmétique de son travail. Cette dernière est laissée à ses collègues féminines « se sentant plus à l’aise avec ce sujet ». Or, ce professionnel a manifesté son envie d’apprendre et de progresser, voulant dépasser le stade du « je ne suis pas maquillé, donc je ne peux pas maquiller ». Un argumentaire que plusieurs thanatopracteurs ayant reçu des stagiaires ont pu entendre, tant de la part d’hommes que de femmes, estimant que ce domaine n’était pas leur puisqu’ils n’étaient pas concernés. Un non‑intérêt argumenté par leur non‑utilisation du maquillage au quotidien sur eux‑mêmes. Un autre agent de chambre mortuaire interrogé m’a indiqué avoir demandé expressément du matériel à sa cadre, ainsi qu’une formation adaptée, et constaté également un blocage de la part d’autres collègues masculins. La motivation première de ces professionnels en quête de formation est de pouvoir assurer un service optimal pour les familles. Cet élément est le plus récurrent dans les réponses lors des entretiens.
Ainsi, l’idée de la polyvalence technique se bloque pour certains apprenants lorsqu’il s’agit de la cosmétologie. Une piste à explorer quant à la démystification du sujet et de son « genre », afin de permettre aux professionnels qui ne côtoient pas l’univers du maquillage dans leur quotidien de devenir plus performants et indépendants dans leur travail.
Au regard des derniers traités de thanatopraxie publiés, écrits par des hommes, la partie concernant la cosmétique des morts ne compose que quelques lignes au sein de centaines de pages techniques.
Face à un manque de formation évident, la question du matériel à disposition est un deuxième problème. Pour les salariés les plus chanceux, cela peut être au sein d’une mallette professionnelle personnelle. Au cours de mes entretiens, seules 4 personnes ont eu à leur entrée en poste en chambre funéraire une mallette pensée et financée par leur employeur. Libre à ces professionnels ou aux agents recevant les mallettes, d’agrémenter les produits à l’intérieur de leur choix en plus du matériel de base fourni.
Réponses du panel à la question concernant la disponibilité d’un matériel en libre usage au sein de leurs lieux de travail
Deux thanatopracteurs m’ont indiqué avoir le droit d’acheter des produits et d’être remboursés sur note de frais. Une des deux personnes interrogées m’a indiqué que son employeur ne lui demande d’acheter que des produits de supermarché pour limiter les coûts. Ainsi, celles et ceux qui optent pour des produits de meilleure qualité déboursent eux‑mêmes ces frais en accédant à des marques comme Nyx ou encore Make‑Up Forever d’après les personnes interrogées. Seule un thanatopracteur à son compte décide entièrement de ses produits. Pour les autres professionnels non équipés, en particulier en chambres funéraires ou en chambre mortuaire, le matériel se trouve en vrac sur un chariot roulant ou dans un placard, servant à tous les agents. A l’intérieur de ces chariots ou placards se trouvent des fonds de teint parfois périmés, des poudres usées, des pinceaux souvent hors d’usage. Lors des entretiens, plusieurs professionnels de chambre funéraire ou mortuaire, attestent que les produits mis à leur disposition sont des dons des familles, des produits parfois périmés, et même des produits de seconde main. Ainsi, leur direction tend à favoriser la dépense hygiénique, laissant les salariés face à des produits inadaptés, voire dangereux.
Question relative à l’état du maquillage en libre service.
En effet, dans des services où se côtoient de nombreux professionnels, il est important que chaque agent puisse bénéficier de son propre lot d’aiguilles à ligature par exemple, pour éviter tout problème avec un matériel contaminé. Idem pour les cosmétiques, tous les produits ne se travaillent pas de la même façon, un fard qui aurait été abîmé par un collègue peu soigneux est une perte matérielle et financière. Ne proposer qu’un fond de teint ne permet pas de maquiller toutes les peaux aux carnations et textures variées. Sans oublier l’apport de bactéries si les pinceaux utilisés ne sont pas bien désinfectés au gré de l’usage des palettes. Il y a une nécessité à mettre en place la responsabilisation du matériel d’hygiène et de beauté. Beaucoup d’agents, lorsqu’ils veulent s’équiper en termes cosmétiques, le font bien souvent par eux‑mêmes à l’instar des thanatopracteurs. C’est‑à‑dire que cette dépense est considérée par de nombreux responsables de chambres funéraires comme superflue, alors qu’elle constitue le point final d’une toilette réussie, et ce, peu importe le genre du défunt. En effet, l’usage de cosmétiques périmés ou utilisés avec un matériel non désinfecté a une fonction contreproductive : les dépenses d’hygiène de base sont annulées en partie lorsque les bactéries contenues sur le matériel usagé se déposer sur la peau des défunts. D’où l’intérêt pour les employeurs d’assurer un accès à des produits sains tout en responsabilisant leurs employés, en particulier dans les établissements où beaucoup de personnes travaillent en même temps à la prise en charge des morts. Les connaissances cosmétologiques sont nécessaires dès la prise en charge du défunt, lors des premières analyses visuelles du professionnel du monde funéraire concernant la personne admise dans son service.
L’admission du défunt est un moment important pour l’agent de chambre funéraire afin de visualiser les besoins du mort, et surtout ce qu’il devra mettre en place en termes de prise en charge et d’esthétique. La première étape de l’admission, une fois les vérifications d’identités et administratives faites, est de distinguer ce qui est du ressort de la mort en termes d’atteintes physiques, et ce qui était déjà présent du vivant de la personne. Ainsi, il y a un réel degré d’analyse entre l’ante‑mortem, le peri‑mortem et le post‑mortem. Or, cela n’a rien d’évident puisque le passif en termes de santé ou de vécu des individus décédés est inconnu des agents de chambre funéraire. Les causes de la mort doivent rester du domaine du secret médical. Si la famille ou encore le conseiller funéraire n’apportent pas d’informations sur les causes de la mort aux agents qui prennent en charge le corps, cet élément demeure un secret. Aucun antécédent médical n’est connu, d’où la difficulté de reconnaître ce qui est lié au domaine de la maladie lorsque ne nous ne sommes pas formés aux soins des vivants. De plus, la peau est sensible, les connaissances dermatologiques sont souvent limitées au sein des chambres funéraires. Seuls les agents provenant du monde médical comme les aides‑soignants ou les infirmiers ont une connaissance plus aboutie. Les signes de la maladie que les agents peuvent reconnaître sont les ictères qui colorent la peau en jaune ou encore les escarres, puisqu’il faut les désinfecter et les filmer en prise en charge post‑mortem. En revanche, de nombreux signes physiques sont quant à eux directement liés à la mort comme les lividités cadavériques, les marbrures de la peau, le noircissement des doigts, le changement de couleur des yeux et bien entendu la présence de potentiel tissu gaz. L’analyse des différentes lésions intervient à l’admission en vue de déterminer si un soin de thanatopraxie est nécessaire, ou s’il peut s’agir d’une toilette funéraire effectuée par un agent. Si la toilette funéraire est retenue, c’est un travail de précision qui attend l’agent, en particulier pour savoir comment traiter les lésions par la cosmétique suite à ce primo « diagnostic ».
Exemple avant‑après d’un maquillage post‑mortem effectué par Pauline Manouvrier.
La toilette funéraire peut se pratiquer en cas de refus du soin de thanatopraxie par le défunt. Ce même refus de soin de thanatopraxie peut également émaner de la personne qui a qualité de pourvoir les funérailles lors du choix de prestations. Ainsi, lors de l’analyse du défunt par l’agent de chambre funéraire, ce dernier peut orienter le conseiller funéraire et les proches du défunt vers une toilette simple si l’état du corps ne requiert pas de soin de thanatopraxie, et qu’il n’y a pas une exposition prolongée du corps, ni de déplacement longue distance[4]. Néanmoins, le thanatopracteur a aussi la capacité d’effectuer une toilette funéraire, par conséquent, la prestation sera réalisée par l’agent ou par un thanatopracteur selon la décision de la famille mais également des pompes funèbres. L’acte de la toilette a pour vocation d’apporter une nouvelle hygiène au défunt, tout en limitant les proliférations bactériennes pouvant provoquer un inconfort visuel et olfactif aux proches lors de la veillée. On retrouve souvent l’argument de la dignité lorsque l’on aborde la question du soin ou de la toilette funéraire. Or, de nombreuses cultures n’effectuent une toilette cultuelle que le jour du départ du corps, ce qui signifie un recueillement en amont auprès d’un corps qui n’a pas été touché. La dignité est présente, et il convient de comprendre les usages culturels autour de l’apparence des défunts pour éviter tout jugement ethnocentré.
En vue d’une toilette, il est important de sécuriser le laboratoire, la zone de travail, afin de pouvoir installer le plateau où repose le défunt sur une table adaptée aux actes à venir. La première étape, la plus importante est l’identification de l’individu par le biais de son bracelet d’identification obligatoire qui lui a été posé le jour de l’attestation de sa mort. Le défunt repose dans sa housse, il peut être habillé, semi habillé ou nu selon les circonstances. Ainsi, on veillera à respecter l’intimité de l’individu décédé tout au long de sa toilette. Les étapes peuvent varier légèrement selon les pratiques, mais, la majeure partie du temps, il est nécessaire de déshabiller la personne et d’établir un contact visuel permettant d’analyser quelles zones du corps ont besoin d’un travail d’hygiène, et lesquelles nécessitent un travail de protection de type filmage[5], et enfin lesquelles auront besoin d’un travail cosmétique. Avant de commencer le travail du corps, il faut détendre les membres par des assouplissements des articulations en vue de faciliter la manipulation du défunt. On détend les bras et les jambes par un jeu de forces tout en douceur. Constaté régulièrement au gré des toilettes, un apport de type massage au niveau du visage en insistant sur la zone de la tête du processus condylaire permet d’avoir des résultats encourageant quant à l’ouverture de bouche en vue du méchage, ainsi que pour un rendu de visage plus détendu. L’hygiène générale est l’étape la plus importante puisqu’elle permet d’assainir les zones susceptibles d’être souillées. La souillure provient majoritairement des orifices, ainsi, il est important de pouvoir nettoyer, désinfecter et mécher.[6] Pour les voies basses, la pose d’une protection hygiénique complète pour adulte est recommandée. L’hygiène inclut également la manucure à des fins nettoyantes, ainsi que le nettoyage de l’intérieur de la bouche et du nez avant leur méchage respectif. La pose de l’appareillage dentaire est importante, à condition que ce dernier ait été nettoyé en amont, pour ne pas apporter un nouveau foyer bactérien au corps désinfecté. Cette étape redonne la forme naturelle du visage à l’individu décédé. L’hydratation qui vient ensuite est une part non négligeable puisqu’elle permet d’apporter une souplesse à la peau qui tend à la perdre d’autant plus rapidement une fois la mort actée. Il est possible d’hydrater le visage mais aussi les mains car ces dernières sont visibles par les familles. Une fois les actes d’hygiène réalisés ainsi que le méchage, les yeux et la bouche vont être concernés par des actes légèrement plus invasifs. Les yeux retrouveront leur bombé naturel grâce à l’apposition de coques plastifiées. Pour ne pas blesser la peau, il est possible d’ajouter de la vaseline au crochet qui sert à soulever la paupière, et un peu de vaseline sur les coques également. Enfin, la bouche sera fermée par le biais d’une ligature invisible au fil à suture qui permet un résultat naturel du défunt à condition que les points d’accroche soient équilibrés pour éviter tout aspect pincé du nez ainsi que la création d’un rictus. Cette technique est hautement recommandée a contrario de l’usage de la colle, très courante aux Etats‑Unis, qui complique d’éventuelles retouches, et dont les finitions ne sont pas naturelles. Une fois toutes ces étapes effectuées, la part cosmétique termine l’ensemble. Or, si tous les gestes précédemment cités peuvent être enseignés sur le terrain, la cosmétologie quant à elle est bien plus personnelle à chacun. En revanche, ce qui est constaté, c’est qu’en l’absence notable d’une littérature de formation autour de la cosmétologie post‑mortem, de nombreux professionnels ne possèdent pas de savoir théorique. C’est là que le professionnel apprend au cas par cas à maquiller les défunts.
Nous l’avons vu, face au manque de littérature ou de formation en lien avec la cosmétologie post‑mortem, l’agent de chambre funéraire ou mortuaire, peut s’orienter pour la base de son travail, sur la cosmétologie liée aux vivants. Néanmoins, la peau des morts ne saurait réagir de la même façon que la peau des vivants. D’une part, la peau des défunts tend à perdre rapidement de son hydratation, d’où l’importance d’hydrater le corps. De plus, la texture de la peau et ses problèmes déjà présents au temps du vivant peuvent persister et s’aggraver. La desquamation peut être importante, la sécheresse également, sans oublier que la peau peut partir bien plus facilement au moindre contact. Elle est fragile, et un geste ou un instrument mal employé peut y faire des dégâts irréversibles difficilement rattrapables en vue d’une présentation à la famille.
Image de l’auteur : exemples de produits professionnels et de produits courants en vue d’un maquillage post‑mortem. Palette de correction de teint grand public, poudre libre professionnelle, fards à joues grand public, rouges à lèvres professionnels. 2023
Comme nous l’avons vu, il n’est pas rare que les thanatopracteurs et les agents de chambre funéraire ou mortuaire aient la charge de l’achat de leurs produits cosmétiques pour combler leur manque de matériel. L’équipement est par conséquent chamarré en termes de provenance, mais pour bien appliquer les produits cosmétiques, l’usage des doigts gantés est relativement proscrit puisqu’ils ne permettent pas une bonne application des produits sur la peau. L’agent doit se munir de plusieurs applicateurs tant sous forme d’éponge que de pinceaux. Les deux outils doivent particulièrement être nettoyés et désinfectés à chaque usage lorsque cela est possible pour assainir ces outils en vue des prochains maquillages. L’éponge quant à elle est utile, mais elle ne correspond pas à toutes les peaux. En effet, une peau qui tend à peler ne sera qu’aggravée par l’éponge qui, par effet de micro‑succion, peut fragiliser encore plus un terrain fragile. Ainsi, la trousse à maquillage post‑mortem est composée d’éléments variés tant en termes d’application qu’en termes cosmétiques.
La cosmétique post‑mortem n’a pas pour but de dénaturer ou de transformer le défunt, elle a pour but de redonner une colorimétrie naturelle au corps, tout en floutant les effets de la mort. Idem pour le camouflage des marques de tube suite à des hospitalisations. D’où l’importance d’une bonne maîtrise des outils et des ingrédients variés. La cosmétique est liée à plusieurs années d’enseignement pour les vivants, sans pour autant qu’elle soit considérée à sa juste valeur pour les défunts. Apprendre à manier les gels, les crèmes, les liquides ou encore les fards n’a rien d’aisé, en particulier lorsque les défunts présentent des marques liées à la mort, à la maladie ou encore à des problèmes de peau de leur vivant.
Au cours de la fin du XXe siècle, l’usage cosmétique se limitait au fond de teint et à la poudre libre transparente. Néanmoins, ces deux cosmétiques peuvent accentuer cet effet « masque de cire » que de nombreuses familles ont pu observer sur leurs proches, et dont elles ont témoigné lors des commentaires qui ont été recueillis pour cette étude. Trois éléments à ce propos, le fond de teint offre une couvrance forte et sans nuances, de plus ce dernier s’oxyde au contact de l’air, enfin, les teintes ne sont pas suffisantes pour convenir à toutes les carnations. On remarque d’ailleurs aisément que dans les produits post‑mortem professionnels, il y a peu de carnations, en particulier pour les peaux foncées. C’est pour cela que le professionnel de la toilette post‑mortem peut être amené à acheter des produits adaptés en boutiques classiques. Ainsi, le professionnel doit s’adapter à la peau qu’il a en face de lui, tant en état qu’en carnation mais aussi veiller à adapter son matériel. On usera davantage d’un travail au pinceau précis afin d’apporter les corrections nécessaires au visage zone par zone, sans chercher à apporter une couvrance complète source d’une uniformisation du teint qui n’est pas naturelle. Certains thanatopracteurs poussent leur formation dans le domaine de la reconstruction et en technique de maquillage airbrush[7].
Ces apports sont techniques, ils demandent un sens de l’observation et une bonne connaissance de la composition des produits. Les poudres s’adaptent moins à des peaux déjà sèches tandis que les peaux qui nécessitent une forte hydratation méritent d’utiliser des produits nourrissants. Ainsi, un travail par étape est souhaité pour permettre une bonne cohésion des produits ensemble, que ce soit pour de petites retouches, mais également pour les cas particuliers. En effet, l’agent de chambre funéraire n’est pas à l’abri de devoir exercer sur une peau très marquée à l’image de maladies de peau invasives laissant de nombreuses croutes aux textures variées, mais il peut également devoir traiter des cas impressionnants, à l’image des ictères laissant la peau jaune. Le choix de couvrir ou non les peaux doit aussi être discuté avec les familles par le biais du conseiller funéraire. En effet, s’il peut être tentant de couvrir certaines marques, il est possible aussi que le défunt de son vivant les assume comme étant une part de sa personnalité. Raison de plus pour instaurer un dialogue de confiance entre la famille et le conseiller pour que ce dernier puisse donner toutes les informations nécessaires à l’agent en charge du défunt.
Ainsi, face au manque de formation et de littérature professionnelle, l’agent devra tenter des techniques, tester par lui‑même ce qu’il souhaite mettre en place pour créer sa propre pratique professionnelle. Ces essais demandent du temps, mais aussi des fonds afin de pouvoir rassembler l’équipement nécessaire au bon soin des morts, peu importe leur carnation de peau. Cet enseignement est complexe et peut s’avérer hasardeux. En effet, dans le monde du soin et de la cosmétique post‑mortem, il est principalement conseillé de ne pas surcharger un travail fait au risque de le rendre moins beau qu’il ne l’était déjà. L’erreur n’est pas réellement permise puisque les proches sont les premiers juges de ce rendu cosmétique. Retrouver un défunt apaisé à la teinte naturelle favorise la reconnexion au mort dans un moment extrêmement complexe, celui de la première rencontre post‑mortem. Une image de qualité passant par un maquillage maîtrisé est essentielle pour les familles qui ont émis le souhait d’avoir ce type de prestation. Ainsi, un sujet considéré comme secondaire ou futile, parfois attribué à un savoir‑faire féminin, mérite une meilleure considération de la part des professionnels ainsi qu’une meilleure formation[8] financée par les employeurs. La cosmétologie post‑mortem n’est pas accessoire, elle a une véritable vocation : d’une part elle apporte de la satisfaction aux professionnels qui améliorent leurs compétences, d’autre part elle est bénéfique pour les familles et les proches des défunts afin de laisser une image positive. Un bon maquillage sous‑entend également un bon traitement puisque c’est le détail qui est recherché. De plus, à l’aube de potentielles lois liées à l’utilisation du formol planant dangereusement au‑dessus du métier des thanatopracteurs, il n’est pas exclu que la toilette post‑mortem reprenne du service, une raison supplémentaire pour se pencher davantage sur la formation cosmétique de celles et ceux qui prennent soin des morts.
L’autre part importante des entretiens menés auprès des endeuillés couvre les remarques liées au maquillage de leurs défunts. Les verbatim sont variés lorsqu’il s’agit d’un maquillage mal maîtrisé : « Masque de cire », « Traces de fond de teint », « Ils ont massacré ma mère», « Ma maman était si coquette, ma pauvre maman », « J’ai vu dépasser un fil de la bouche », des témoignages appuyant un traumatisme supplémentaire au deuil par le biais d’une dernière vision cauchemardesque pour les personnes interrogées. A l’inverse, un maquillage réussit permet de recueillir des témoignages bien plus enthousiastes : « Il était très beau », « Il avait l’air apaisé, comme si il dormait », « Il a beaucoup souffert sur la fin, il n’y avait plus de traces », « J’ai gardé un souvenir apaisé », « Il était coquet » et bien d’autres témoignages, mettant en avant la nécessité d’obtenir à la suite des toilettes un défunt apaisé, dont le souvenir s’apparente au sommeil. Cette vision de la mort apaisée n’est pas universelle, en effet, d’autres cultures ou religions en France ou dans le monde, vont privilégier un défunt qui n’est pas touché au moment de son décès. Dans le cadre de mon expérience professionnelle, c’est surtout dans les communautés musulmanes et catholiques traditionnelles que j’ai pu constater cette préparation culturelle à voir les affres de la mort. Yeux semi ouverts, bouche ouverte, mains crispées, teint non retouché, autant de visions qui sont redoutées pour de nombreux endeuillés et qui, pour autant, sont acceptées au cours de la veillée par ces communautés. La façon d’aborder les stigmates de la mort est toute autre lors des veillées. Ainsi, l’idée de la « dignité » souvent avancée pour promouvoir le maquillage post‑mortem ne peut être le seul argument en sa faveur. En effet, un défunt non maquillé peut aussi être digne au sein de son environnement, les usages funéraires changent dans un même pays selon les individus. Ce qui est certain, c’est que les professionnels interrogés sont tous convaincus des bienfaits de la cosmétologie post‑mortem dans le travail de deuil à venir des personnes touchées par la mort.
Au cours de mes entretiens professionnels, les personnes ont répondu d’une manière unanime « oui » à la question « Pensez‑vous que nous sommes en retard par rapport à d’autres pays ? ».
En tête des pays cités étant en avance sur les pratiques françaises se trouvent les Etats‑Unis, l’Angleterre et le Canada. En effet, la littérature technique et la mise en avant des métiers liés à la cosmétique funéraire sont plus importantes. Aux Etats‑Unis, les maquilleurs post‑mortem ont un métier à part pour certains et disposent de réelles formations, parfois associées à des formations de reconstruction pour leur équivalent des thanatopracteurs. Un des thanatopracteurs interrogés m’indiquait que pour faciliter la pratique cosmétique aux Etats‑Unis, la plupart de ces professionnels étaient sur un lieu de travail fixe, leur facilitant l’accès à leur matériel usuel. Ce que les thanatopracteurs en France n’ont pas puisqu’ils sont la plupart du temps itinérants avec des valises imposantes. De plus, les Etats‑Unis mettent l’accent sur la formation spécialisée et la création de produits adaptés à ce marché spécial pour des clients spéciaux. Mais la cosmétologie post‑mortem n’est pas uniquement un fait occidental. En Asie, cette discipline a toute sa place en Thaïlande, en Chine et au Japon. On retrouve des témoignages filmés de « post‑mortem cosmetologist » qui œuvrent pour le bien des défunts afin de permettre un recueillement apaisé aux familles. Un point commun entre les personnes interrogées en France, et les divers témoignages médiatiques liés à la pratique.
Ainsi, la cosmétologie post‑mortem reste un sujet de niche qui représente une part importante du travail des thanatopracteurs, mais également des agents de chambre funéraire ou mortuaire. Face à un manque de formation, les gestes techniques ne sont pas nécessairement acquis, sauf en cas de demande d’accès à de la formation ou bien en se formant soi‑même. Afin de permettre un meilleur accès à cette discipline pour les familles, il peut être envisagé de créer des protocoles définis par des professionnels du domaine, afin d’ouvrir des pistes pour les agents sur le terrain. Cette évolution, nous l’avons vu, pour le bien des endeuillés, ne pourra se faire sans la volonté des dirigeants de ces structures, de leur volonté de mieux connaître le monde funéraire et les problèmes existants. En attendant que la littérature technique et scientifique évolue, c’est aux professionnels d’être également force de proposition pour la reconnaissance de cette discipline de la cosmétologie post‑mortem qu’ils pratiquent au quotidien.
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[1].↑. Le méchage des orifices constitue en l’insertion d’un bouchon de coton afin d’éviter les écoulements tant au niveau des voies basses en matières fécales, qu’aux reflux au niveau du nez et de la gorge.
[2].↑. Parmi les toiletteurs cultuels se trouvent les hommes et les femmes de confession musulmane, mais également les hommes et les femmes de confession israélite au sein de la Hevra Kaddicha, une société religieuse dédiée à l’accompagnement des morts. Bien souvent, leur religion ne nécessite pas de prise en charge cosmétique du défunt.
[3].↑. La case négative est réservée aux corps très abîmés dont l’état ne permet pas de les placer à proximité d’autres défunts par peur des proliférations de bactéries, odeurs ou encore d’insectes.
[4].↑. Les soins de conservation (ou soins de thanatopraxie) ne sont pas obligatoires, sauf en cas de transfert de corps vers certains pays étrangers qui exigent que les corps qui entrent sur leur territoire aient subi ce type de soins. Source : Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
[5].↑. Le filmage consiste à protéger une zone suintante par l’application d’un film étirable en plastique permettant de retenir ces fluides.
[6].↑. Le méchage consiste en l’insertion profonde de coton au niveau de l’anus, parfois du vagin, de la gorge et du nez.
[7].↑. Le maquillage à l’aérographe dit airbrush est une technique plus fine et poussée d’application de produits cosmétiques tant sur les morts que les vivants.
[8].↑. Des formations professionnelles existent en France : L’établissement Hélène Brunelle ou encore Make‑Up Forever qui dédie une formation à cette thématique.