Tanneurs, pelletiers, maroquiniers, dermatologues ou taxidermistes, tels sont depuis longtemps les travailleurs de la peau. Aujourd’hui, à l’heure des biotechnologies, ont surgi de nouveaux spécialistes : le peaussier du XXIe siècle est un scientifique, un ingénieur tissulaire, un biochimiste, un physicien des matériaux, un nano-informaticien, un entrepreneur innovant qui fabrique des peaux de synthèse, des épidermes in vitro et des e-skins. L’industrie épithéliale est florissante. Aux ateliers du cuir d’autrefois se sont ajoutés des laboratoires où trônent éprouvettes et bains nutritifs de kératinocytes. De son côté, la cybertechnique produit des peaux étirables en élastomère ou en silicone, pourvues de senseurs tactiles et de capteurs électroniques intuitifs.
Spectaculaires innovations : la peau se trouve décidément au cœur de profondes transformations biologiques et technologiques. Mais dans quelle mesure les revêtements cutanés artificiels sont-ils susceptibles d’altérer l’humain ?
En effet, tel un caméléon, l’homme occidental moderne semble capable de changer l’apparence de sa peau au gré de ses fantaisies ; il réinvente son enveloppe corporelle, s’émancipant de sa fragilité naturelle et primordiale (comme le rappelle le mythe grec d’Épiméthée). Peaux imprimées, siliconées, fluorescentes, transparentes, hybridées, transgéniques, recyclées, bioniques… Réelles ou virtuelles, ces peaux artificielles ou artificialisées sont le reflet d’un désir profond de faire muer l’humain — et surtout, de le faire muter.
Ce dossier montre comment les arts, la science et les biotechnologies nous poussent à questionner plus que jamais les nouvelles lisières de notre corps, modelables à l’envi comme un caoutchouc ductile, et mettent à l’épreuve la notion de « nature humaine », telle qu’elle s’est historiquement et philosophiquement sédimentée.
Irène Salas, coordinatrice du dossier thématique