Le langage des poils. Ce qu’il nous dit des Hommes

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  • Description

    Anne MONJARET

    Ethnologue, directrice de recherche au Laboratoire d’anthropologie politique – LAP (EHESS –CNRS), Présidente de la Société d’ethnologie française (SEF)

    Federica TAMAROZZI

    Ethnologue, conservatrice responsable du Département Europe au Musée d’Ethnographie de Genève – MEG.

    Référence électronique
    Monjaret A., Tamarozzi F., (2022), « Le langage des poils. Ce qu’il nous dit des Hommes », La Peaulogie 9, mis en ligne le 11 juillet 2022, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/langage-poils

    Résumé

    Grâce aux expressions populaires associées aux poils et aux cheveux, nous pouvons saisir l’individu au plus près de son être. S’inscrivant dans la lignée des travaux précurseurs de Françoise Loux et Philippe Richard (1978), Anne Monjaret et Federica Tamarozzi ont choisi de prendre au sérieux la rhétorique (ca)pillaire. Les cheveux et les poils tiennent lieu de la personne toute entière. À travers eux, et leurs expressions, son caractère, son âge, sa sexualité, son rapport à l’autre, aux autres sont donnés à entendre. Leur analyse permet de mieux comprendre la façon dont la sémantique des poils et des cheveux agit et participe d’une vision et d’un classement du monde, nourrit un imaginaire passé ou présent tout en renvoyant à des pratiques et des normes que les contemporains ne soupçonnent plus tant certains gestes appartiennent à l’histoire, tant les registres sont ancrés dans l’inconscient collectif.

    Mots-clés

    Poils, Cheveux, Langage, Expressions Populaires, Corps Humain, Cycle De Vie, Normes

    Abstract

    Thanks to the popular expressions associated with hair, we can grasp the individual as close as possible to his or her being. Following the pioneering work of Françoise Loux and Philippe Richard (1978), Anne Monjaret and Federica Tamarozzi have chosen to take hair rhetoric seriously. Hair and body hair take the place of the whole person. Through them, and their expressions, one’s character, age, sexuality, relationship with others, are given voice. Their analysis allows us to better understand the way in which the semantics of hair act and participate in a vision and classification of the world, nourishing a past or present imaginary while referring to practices and norms that our contemporaries no longer suspect, so much so that certain gestures belong to history, so much so that the registers are anchored in the collective unconscious.

    Keywords

    Hair, Language, Popular Expressions, Human Body, Life Cycle, Norms

    Nous trouvons des poils dans tous les règnes du vivant (Gudin, 2007). « En fait, la pilosité est une réalité incontournable, et l’on ne peut faire l’économie d’une pensée et d’une pratique du poil, pour distinguer humain et animal, homme et femme…, les choix étant propres à chaque société » (Paz Obrega, 1989, 165) et à chaque période de l’histoire aussi (Bertou, 1987). Ici nous nous intéresserons aux poils des humains et aux expressions populaires qui leur sont associées. Grâce à ces expressions langagières, nous pouvons saisir l’individu au plus près de son être, les poils incarnant la « partie pour le tout ».

    Si, depuis les années 2000, la littérature en sciences humaines et sociales s’est étoffée sur le sujet de la pilosité[1], peu de travaux anthropologiques, du moins en France, traitent des formes idiomatiques que le langage associe aux poils et aux cheveux. Les recherches de Françoise Loux et Philippe Richard (1978) font exception. À partir d’un corpus de proverbes recueillis dans les campagnes françaises du début du XXème siècle, ils proposent une analyse du corps et de sa place dans l’ordre du monde. Une décennie plus tard, de Jimena Paz Obregon (1989) et Anne Monjaret (1989), se sont intéressées aux métaphores, précisément filées autour des poils et des cheveux, la première s’attachant à un corpus espagnol, la seconde, à un corpus français. Plus récemment, Michel Doulet (2017) s’est proposé de scruter notamment le registre botanique des métaphores capillaires.

    Ce constat nous a incités à inscrire notre réflexion dans la lignée de ces travaux précurseurs, car il nous semble qu’il faut prendre au sérieux la rhétorique pilaire et capillaire. Les jeux de mots, sous toutes leurs formes (locutions verbales, dictons, proverbes, métaphores, comptines, jeux de mots, blagues, sentences, comparaisons, jugements, stéréotypes nationaux, etc.) sont de bons outils pour saisir le sens attribué aux poils et aux cheveux, et ce même si certaines expressions apparaissent désormais désuètes, ou témoignent de pratiques ponctuelles et passagères. Dans les discours de tous les jours, cheveux et poils restent présents, et c’est cette « langue parlée » qui souligne et accompagne les distinctions corporelles de la pilosité.

    À travers la langue des poils, et en particulier à partir d’un corpus d’expressions françaises et italiennes[2], nous chercherons à dégager leurs logiques intrinsèques, celles qui s’attachent à caractériser les êtres, hommes et femmes, dans nos sociétés occidentales. Autrement dit, celles qui visent à traduire les différents rapports sociaux et sexués qui en découlent – non de « race » ici ‑, autant que l’impact des normes sociales sur les comportements et les tempéraments. Parce que les poils et les cheveux nous disent du façonnage des Hommes ‑ en effet de nombreuses des expressions qui les concernent convoquent cette dimension ‑ et ils en deviennent les symboles.

    Nous chercherons également à mieux comprendre comment la sémantique des poils et des cheveux agit et participe d’une vision et d’un classement de ce monde occidental, à l’établissement de normes sociales. Elle renvoie parfois à des pratiques que nos contemporains ne soupçonnent plus. Mais si elle appartient à l’histoire, son ancrage dans l’inconscient collectif continue à nourrir un imaginaire. Ce faisant, le langage des cheveux et des poils peut encore nous aider à cerner la place des individus dans sa dimension culturelle et sociale.

    DU DUVET AU POIL RENTRER DANS LE RANG AU FIL DES AGES

    Le corps humain est couvert de poils : cheveux, cils, sourcils, barbes, moustaches, poils du torse, poils des aisselles, poils pubiens, poils des jambes… Visibles et moins visibles, ils se répartissent suivant une géographie morphologique précise qui varie selon l’âge, le genre et l’origine ethnique. Avec la chevelure, les poils sont imputrescibles et ils représentent la seule partie du corps, qui pousse, repousse et est malléable à merci (Arasse, 2000, 117). Ainsi grâce aux poils, nous pouvons suivre l’individu au fil de la vie, du berceau à la tombe.

    L’ENFANCE

    À la naissance, le corps de l’enfant présente déjà des zones où une manifestation pileuse est perceptible. Certains nouveau‑nés franchissent le seuil de la vie, dotés d’une chevelure fournie, d’autres ont le corps et les membres couverts par les poils. Au début des années 1970 en Italie, le duvet transparent des tout petits était vu positivement. Couverts de cette « lanuggine » (petite laine), les bébés étaient comparés à des fruits beaux et fragiles. L’expression « peau de pêche » indique cet incarnat parfait et velouté et se rapproche de « peau de bébé », autre parangon de l’épiderme sans défaut.

    Les adultes qui recueillent (et accueillent) les enfants à la naissance (pour la plupart des femmes) considèrent encore la pilosité comme un signe qui donne des renseignements sur la « matière humaine » de l’enfant. Ces signes permettent de choisir la manière la plus appropriée de le manipuler et de le façonner. La chevelure, pensée comme un atout majeur dans les jeux de la séduction, fait l’objet d’une attention particulière. En Italie, dans plusieurs régions, des coupes régulières et répétées des cheveux sont réalisées, et ce jusqu’aux trois ans révolus de l’enfant. Les mères qui sacrifient les boucles des petites filles dans ces tontes précoces souhaitent s’assurer qu’elles aient par la suite une « belle crinière ». Il n’est pas rare que pour compenser ce « manque » de féminité, les mères choisissent de parer les fillettes d’autres marqueurs du genre comme de petits bijoux, les « boccole » (petites boucles d’oreilles) dont le terme renvoie aux boucles de cheveux coupées. Dans le canton de Tessin en Suisse, on explique aux enfants que leurs boucles sont « enroulées sur les doigts de leur mère » et que chacune d’entre elles « porte l’empreinte d’un de ses baisés ».

    En France, au contraire, la coupe des cheveux primaires appelés « cheveux des anges » est repoussée le plus longtemps possible pour en conserver ensuite précieusement une mèche dans une enveloppe ou un médaillon. Les premiers cheveux de l’enfant rappellent son état de nature, mais ‑ comme ses premiers poils ‑ ils sont aussi le signe de sa jeunesse, de sa naïveté et de son inexpérience. En italien, l’expression « di primo pelo » (de premier poil) renvoie aux jeunes gens et aux débutants de tous âges qualifiés aussi de « bleus » ; c’est seulement après de nombreuses coupes (des années de vie), après avoir fait ses preuves que les jeunes accèdent à la maturité.

    DES POILS EN DEVENIR…

    C’est à la puberté, que les jeunes gens, garçons et filles, font la découverte de leur particularité pilaire qui annoncent un mûrissement sexuel, le passage à la maturité sociale qui implique une possible reproduction. En Turquie, les jeunes qui n’ont pas encore commencé leur mue sont définis comme « açi bitmedik » (ceux qui n’ont pas encore de cheveux). L’arrivée de leurs poils marque d’importants changements intimes qui chamboulent autant le corps que l’esprit. Une expression italienne caractérise bien cette période de la vie : « con i primi peli le idée impazzano » (avec les premiers poils les idées s’affolent). Mais « maintenant c’est fini, poil au zizi ». La découverte « du poil à son pissou » ou « du poil au cul » ou la pousse de la barbe pour les garçons sonne la fin de l’insouciance de l’enfance. À ce moment‑là, les pubères commencent à prendre soin de leurs pilosités de manière autonome. Pour les jeunes musulmans, « avoir de la barbe au menton » implique une longue liste de devoirs, dont le rasage n’est que le premier : d’après Gudin « les jeunes Tunisiens offrent à Allah les poils de leur premier rasage à la mosquée » (2007, 127). Consacrer sa pilosité ou sa chevelure à la Divinité signifie se soumettre à sa volonté, rentrer dans les rangs. Ces pratiques nous rappellent que l’état pubère est donc autant biologique que social et prépare aux étapes futures de la vie (Tamarozzi, 2010, 178).

    LES POILS DE LA MATURITE… SEXUELLE

    Adulte, ce qui est anormalement doux n’appartient pas à la nature des choses. Passé donc un certain âge, il n’est pas forcément heureux d’« avoir le poil tendre ». De même, le fait de « rougir jusqu’à la racine des cheveux » manifeste une sensiblerie incongrue pour l’homme d’expérience. Surtout dès le passage à l’état d’adulte, le langage des poils nous révèle la part intime des individus, celle qui touche à leur sexualité. Ainsi, en étudiant le langage de la pilosité, nous accédons aux représentations des jeux et rôles sexués, la sensualité attribuée aux femmes faisant écho à la virilité attribuée aux hommes (Monjaret, 1989, 2011).

    Plus que les cheveux, ce sont les poils qui situent l’homme. Ils sont l’expression de la virilité et des valeurs qui l’accompagnent (Monjaret, 1989 ; Bromberger, 2005). En espagnol, « un hombre de pelo en pecho » (un homme qui a du poil sur la poitrine) est un « vrai » homme, c’est‑à‑dire sexuellement actif et puissant (Paz Obrega, 1989). Ce sont les poils du visage masculin qui possèdent le langage le plus diversifié. Les moustaches sont l’une des armes masculines de séduction. L’expression « un baiser sans moustache, c’est un dîner sans sauce ou un dimanche sans soleil » est en cela révélatrice. Au grès des modes, elles sont nommées « charmeuses » ou plus encore « bacchantes ». Les moustaches façonnent également les stéréotypes nationaux : par exemple, les Anglais, les Turcs sont de ceux qui les arborent volontiers. Leur réputation en fait l’objet de formulette ludique : « t’as une tache, moustache ! ».

    La barbe, quant à elle, appartient plus fortement encore aux clichés masculins. Elle est à la fois marque de spiritualité, de puissance, de sagesse, de paternité. Elle a été portée fournie, par des politiques et des religieux (Fliche, 2000 ; Bromberger, 2005) autant que par des intellectuels et des savants. Pourtant une expression grecque dit « Une barbe peut dire poux, pas cerveau ». Pendant les années 1990, on la préférait naissante et on la nommait de « trois jours » pour l’associer à la décontraction du week‑end. Elle revient en force, chez les « hipster » qui lui consacrent temps et argent.

    Dans tous les cas, un homme doit « avoir du poil » car un « homme à poil » est énergique, brave, courageux. « L’homme poilu est fort et vertueux », dit le proverbe normand ; « l’homme poilu a grand courage », dit le proverbe gascon. De même, les soldats de la Première Guerre mondiale, n’étaient‑ils pas nommés « les poilus » en écho à leurs difficiles conditions de combat et d’hygiène ? C’est peut‑être pourquoi le poil du courage n’est pas un poil de surface, il apparaît au plus profond de l’être, de ses entrailles. On peut d’ailleurs aussi « avoir du poil au ventre », « avoir du poil au cœur ». D’autres parties du corps sont concernées : « avoir du poil aux yeux », ou encore « courageux, il a du poil aux dents », dit‑on en Alsace.

    Si les poils sont masculins, les cheveux se placent eux du côté des femmes. Ils sont l’un des attributs phares de la féminité, la « manifestation de son corps femelle » (Arasse, 2000, 101). En Occident depuis plusieurs siècles, une longue chevelure est perçue comme un signe « irréfutable de féminité » mais les cheveux vont bien plus loin puisque dans l’imaginaire collectif, ils expriment la sensualité, la sexualité (Monjaret, 1989, 138‑140) et ses excès. Les cheveux longs, dénoués, et surtout visibles, sont synonymes de « sexualité sans contrainte » (Leach, 1980, 337). On s’attend moins à ce que : « Chignon monté et talons hauts manifestent peu de raison » (Loux, Richard, 1978, 272).

    Grâce aux langages des cheveux et des poils, nous accédons aux codes sociaux qui modélisent les sexes, travaillent le genre. Ces codes semblent séparer les genres, comme pour mieux exprimer la norme sociale, les canons de beauté de la société. Nous pourrions alors croire qu’il existe une frontière franche entre les féminins et les masculins[3]. Mais cette frontière est‑elle si étanche ? Probablement pas autant qu’on pourrait le croire.

    LES FLEURS DU CIMETIERE

    Les poils permettent de deviner les âges de la vie et nous renseignent sur l’étape à laquelle se trouve l’individu : le dicton gascon « menton noir poilu, bel âge. Menton blanc poilu, dernier âge » en est un bel exemple. Le poil qui blanchit semble indiquer la perte de la vigueur (Loux, Richard, 1978, 344). En Roumanie, « în doi peri » (en deux cheveux) indique la tête grisonnante entre deux âges ; et par extension, cela veut dire « imprécis ». Car vieillir n’est pas affaire d’un instant mais est une longue histoire émaillée de fatigue et de soucis (« à force de penser ses cheveux ont blanchi » (arabe) ou « se faire des cheveux blancs », « rêves et illusions rendent les cheveux blancs », « canne et cheveux blancs ne viennent pas avec l’âge mais avec les soucis »). Jean Cazeneuve (1984, 31) raconte que la formule : « le temps c’est de l’argent » pouvait parfois s’accompagner d’une apostille : « oui, sur nos cheveux ». Le dicton ainsi détourné devenait aphorisme, soulignant amèrement la triste progression de l’âge.

    Les cheveux blancs sont un signal d’alarme, ils indiquent qu’il faut limiter les excès, multiplier les précautions, faire preuve de sagesse. D’ailleurs, l’expérience des personnes ayant cette couleur de cheveux est recherchée : « per il consiglio prediligi, i capelli bianchi o grigi » (chercher le conseil de ceux qui ont les cheveux blanc ou gris). Gare à qui ne prête pas attention à ces avertissements : quand « les cheveux gris sont le signe de vieillesse, pas de sagesse » (Grèce), on peut s’attendre au pire.

    L’apparition du gris ou du blanc dans la chevelure contraint à de nouvelles conduites à tenir, si les plaisirs de la table sont encore permis, ceux de la chair ne sont plus de saison : « quando il capello tira al bianchino, lascia la donna e tieniti il vino » (quand les cheveux commencent à blanchir, laisse la femme et prends le vin). Quand on est « un vieux pelé », quand on « se déplume », l’heure de la renonciation a sonné. Ce sont surtout aux amours qu’il faut renoncer : « Les lunettes et les cheveux gris sont des quittances d’amour » (Loux, Richard, 1978, 335).

    Il ne faut pas oublier que les sociétés paysannes européennes jugeaient ridicule l’union entre un/une marié/e et une/un jeune épouse/x (Loux, Richard, 1978, 274). Les jeunes gens devaient pouvoir s’appareiller dans leur classe d’âge pour s’accompagner tout au long de la vie. Une sexualité qui mêlait deux personnes d’âge éloigné cachait forcément d’autres intérêts, sonnait alors le charivari, rituel collectif, qui ridiculisait et sanctionnait ces unions. Aujourd’hui ces intromissions dans les choix amoureux des individus nous paraissent totalement obsolètes, car nous avons perdu l’habitude de considérer que nos relations amoureuses ou sexuelles puissent être jugées à la une du collectif. Les interdits valaient donc aussi bien pour les hommes que pour les femmes. C’est seulement à partir de la fin du XVIIIème siècle que l’on assiste à un changement de paradigme en faveur du masculin.

    De cette époque, il nous reste l’usage de certaines expressions : par exemple « je ne suis pas Sainte Élisabeth, j’ai le cheveu blanc ». Cette formule déclinée à la première personne indiquait une maternité tardive qui n’était pas vraiment souhaitée dans la vie réelle. À partir de la fin des années 1980, l’épithète « Sainte Elisabeth » est devenu synonyme de « primipare âgée ». Il existe un équivalent masculin de cette expression : « je n’ai pas la patience ni la barbe de saint Joseph ». La formule était autrefois utilisée par les conjoints qui voulaient mettre un terme aux badineries de leurs épouses ou pour signifier poliment le refus de se caser avec une femme trop jeune. Elle s’explique par les récits qui constituent l’hagiographie du Saint. Mêlant le sublime et le ridicule, on lui attribue les plus exquises vertus, mais on glose également sur le fait qu’il a épousé une jeune femme, déjà enceinte. Il est question encore ici de normes sociales à suivre.

    Avec la ménopause et l’andropause, les métamorphoses capillaires et pilaires se font plus saillantes, la distribution des poils se modifie : pousse de poils au menton pour les femmes, perte des cheveux, blanchiment et raréfaction des poils pour les deux sexes. La part masculine des femmes est d’une certaine manière rendue visible ainsi que l’affaiblissement des hommes. Dans le conte du Petit Chaperon rouge, le célèbre motif qui joue sur la confusion entre la grand‑mère et le loup, et par là sur celle de l’a‑sexualité et de la sexualité, renvoie à cette transformation physiologique (Verdier, 1980). Fille, mère, grand‑mère, la trilogie reprise dans ce conte reprend à merveille ce cycle de la vie traversé par l’histoire des cheveux et des poils.

    Avançant dans l’âge, les cheveux blancs annoncent l’acheminement vers la fin de la vie : « i capelli grigi sono i fiori dell’albero della morte » (les cheveux gris sont les fleurs de l’arbre de la mort). C’est ce qui fait dire aussi : « cheveux blancs, mauvaise augure ». D’autres expressions vont dans ce sens : « les têtes grises sont l’aurore de la mort », ou encore « les poils blancs sont les fleurs de cimetière »[4]. Des expressions mêlent cheveux, mort et mémoire, certaines d’entre elles soulignent la nature sélective du souvenir : « i capelli bianchi son testimonj falsi » (les cheveux blancs sont des faux témoins) indique que le travail de mémoire peut réécrire l’histoire, surtout quand on approche du moment où on va « assentar o cabelo » (asseoir un cheveu) et donc, mourir.

    Dans les chansons populaires, la mort happe ses proies parfois par les cheveux (Di Nola, 2007) confirmant la perception que la vie est un état fragile « qui ne tient qu’à un cheveu ». Et si « s’arracher les cheveux » est devenue l’expression d’une douleur intolérable ou d’un souci majeur, c’est que notamment dans l’Antiquité grecque, les femmes sacrifiaient parfois quelques poignées de leurs cheveux, en les éparpillant sur les cadavres (Monjaret, 1989, 133). La proximité entre notre vie intérieure et notre chevelure est si étroite que la psychologie a nommé trichotillomanie la pathologie de ceux qui par angoisse « s’arrachent les cheveux parfois jusqu’au dernier » (Bertou, 1987, 185).

    Si les cheveux blanchissent, s’éclaircissent et parfois tombent, ils survivent à la mort de son propriétaire : en Bretagne, on disait d’un décès récent que « les poux ne sont pas encore morts dans sa tête » (Loux, Richard, 1978, 305) ou encore que le bruit que fait la barbe (des morts) qui pousse sera finalement couvert par celui de l’herbe qui pousse.

    La pilosité accompagne et facilite la prise de conscience de l’âge, elle donne à voir les normes et ceux qui par nature ou volonté s’en écartent.

    FAIRE LE POIL DRESSER LES CORPS

    Chaque individu doit en effet rentrer dans un moule, à l’image de la société à laquelle il appartient. Ce faisant, il doit être dressé, aussi facilement que l’on dresse les poils et les cheveux, matières malléables à merci (Monjaret, 1989, 136‑144). Les analogies qui existent entre l’homme et sa pilosité servent à transmettre les codes sociaux ayant trait à la façon de se comporter en société. Face à des comportements excessifs, il arrive néanmoins que l’on « passe l’éponge » ; pour cela, les Espagnols considèrent « hechar pelos a la mar » (jeter des cheveux à la mer). Mais on cherchera surtout à « faire le poil », c’est‑à‑dire à mater le caractère de l’individu récalcitrant.

    DOMPTER LES MECHES

    Les individus doivent apprendre ce que l’ordre moral et social veut dire. L’hygiène des corps et des esprits appartient à l’exercice. La qualité des cheveux, brillants ou ternes, renvoie à la qualité de son propriétaire, relatent l’état de l’individu, parfois sa dégradation physique. Nombreuses sont les expressions qui rappellent une absence de propreté : « les rousses (et les roux) sentent mauvais », « sale comme un peigne », « coiffé avec un pétard », « coiffé avec un gant ». Cheveux en bataille, en broussaille, décoiffés, dépeignés, ébouriffés, échevelés, hirsutes, embrouillés, etc., sont autant de qualificatifs utilisés pour signifier la négligence physique des individus.

    En Belgique, les cheveux emmêlés sont attribués aux « macrales », aux sorcières. « Cheveux enchevêtrés, mal rangés », confie le proverbe gascon (Loux, Richard, 1978, 264). Ici plus que les cheveux, il est question de l’état de l’individu. En corrigeant ses cheveux, c’est l’homme que l’on cherche à corriger. Dans la société rurale traditionnelle française, on dit par exemple : « Cheveux tirés, homme corrigé » ou « cheveux en ordre, rangés » (Loux, Richard, 1978, 264, 305). Ainsi, les hommes doivent prendre soin de leurs poils ou les combattre. Pour cela, il y a d’ailleurs des moments plus propices que d’autres : « se faire la barbe le vendredi porte malheur » (Loux, Richard, 1978, 218). Les autres jours, ils peuvent « se faire le poil », « se raser ». Les cheveux sont nettoyés, coiffés, coupés, épouillés. Pour autant, on se méfie des hommes et des femmes trop apprêtés, trop coquets : « cheveux parfumés regarde ce fat » (Loux, Richard, 1978, 306) car ils sont mauvais travailleurs.

    Toujours dans la société rurale traditionnelle française, les « cheveux blonds, cheveux pouilleux », dit‑on. Pourtant, les poux comme la crasse n’ont pas la réputation qu’on leur connaît aujourd’hui : « les poux entretiennent la santé » (Loux, Richard, 1978, 305), « la crasse nourrit les cheveux », pense‑t‑on en Auvergne (Loux, Richard, 1978, 306, 332). Les « cures de sébum » – vieilles recettes – ont été remises au goût du jour pendant le confinement. Le cheveu reflète son état de santé. Il n’est pas rare d’entendre le personnel infirmier inciter les patients au repos en leur disant : « bien dormir épaissit les cheveux ».

    Le langage des cheveux nous parle d’éducation. Au Togo, le proverbe « etablabla, ahoe ye oklpanae so » (bien se coiffer s’apprend chez soi) renvoie au fait que les bonnes manières s’acquièrent à la maison. Des expressions équivalentes sont utilisées en Italie pour se moquer des jeunes femmes incapables de tenir leur foyer[14] car mal éduquées. Cependant, l’éducation ne se reçoit pas seulement à la maison. Les institutions, comme les écoles, les casernes, souvent disciplinaires comme la prison, la prennent également en charge. L’intégration dans certains de ces milieux passe par l’adoption de l’uniforme et la tonte ou la coupe des cheveux. « Tête tondue, homme allégé » (Loux, Richard, 1978, 275). Est‑ce parce « on ne peut prendre un homme rasé aux cheveux » qu’il est protégé de toutes attaques ?

    La discipline commence par celle des corps mais elle ne s’arrête pas seulement à cette transformation physique, elle peut passer par la réprimande : « faire changer le poil » ; « faire dresser le poil à quelqu’un », « flanquer un poil à quelqu’un » renvoient à l’idée de correction, avec ou sans coups (Monjaret, 1989).

    TOUCHER AUX CHEVEUX

    Ce dressage des corps et par là des êtres humains prend des formes parfois excessives qui vont jusqu’à porter atteinte à l’intégrité de l’individu. La force des mots et des actes auxquels ils se référent tient au fait que les cheveux symbolisent l’être en son entier et ce qui constitue sa vitalité, sa sexualité. Selon un procédé bien connu en sorcellerie en touchant la « partie », on touche le « tout ».

    « Ne pas toucher un cheveu » ou encore « ne pas lui tordre un cheveu », préserve l’individu. « Ne pas ôter un cheveu (à une personne) » signifie « ne rien lui ôter de son mérite ». En revanche, s’attaquer à ce symbole est une marque de violence, voire de domination.

    La tonte, forcée et publicisée, apparaît comme une sanction extrême, difficilement soutenable (Perrot, 2005, 78‑79). À la Libération, les femmes qui l’ont subie ont été victime d’une violence machiste qui visait, leur « désexualisation » et leur bannissement.

    Le dressage disciplinaire est fait de brimades, de châtiments et de déshonneurs (Monjaret, 1989, 143). Les individus n’en sortent pas forcément indemnes. Ils subissent la peur au ventre, jusqu’à la racine de leurs poils et de leurs cheveux. « Cheveux dressés, homme transi » (Loux, Richard, 1978, 264). La peur s’observe grâce aux poils : « ne pas avoir un poil de sec » soit transpirer abondamment par peur ; « avoir le poil dressé » par la peur ; « faire dresser les cheveux sur la tête »[15] ou inspirer un sentiment d’horreur.

    La langue capillaire et pilaire nous parle de la fragilité humaine. Toucher aux cheveux, c’est mourir un peu. Dans les années 1960‑1970, la mode des cheveux longs qui fait fureur chez les jeunes hommes ne s’est pas imposée sans difficulté. Dans les entreprises, ces derniers sont menacés d’exclusion (Perrot, 2005, 67). Derrière les motifs d’hygiène et de sécurité, se cache l’obligation de se conformer à la norme sociale. Certains jeunes seront donc amenés à se couper les cheveux. Antoine immortalise cette injonction dans une chanson « Ma mère m’a dit Antoine, va te faire couper les cheveux ». Mais ici il ne s’agit pas d’une simple coupe, d’un geste anodin. Cette coupe est l’expression brutale d’une forme de censure des idées progressistes, d’une reprise en main sociale de la jeunesse. Pour ses promoteurs, elle symbolise une rentrée dans le rang tandis que pour les jeunes, elle symbolise la mort d’une identité voire la mort, tout court. Ainsi, le protagoniste du film « La Coupe à dix francs » réalisé en 1975 par Philippe Condroyer d’après un fait divers, finit par se suicider à la suite de son passage chez le coiffeur (Bertou, 1987, 185, 186) ; « mit Haut und Haaren » (avec peau et cheveux) dirait‑on en Allemagne, c’est‑à‑dire à corps perdu. À cette mort violente, s’oppose celle que connaissent les hommes de grand âge qui « meurent eux avec tous leurs cheveux », qui meurent de leur belle mort.

    DES POILS EN TROP ETRE HORS NORME

    Les expressions liées aux cheveux et aux poils soulignent quand les normes se brouillent, notamment celles du genre. Elles renvoient alors à d’autres états et à d’autres pratiques.

    FEMME A POILS

    « Elle s’était fait couper les cheveux », dit la chanson de Dréan datée de 1924. Certaines y renoncent, en effet, pour entrer dans les ordres. Dans la première épître aux Corinthiens de Saint Paul, on peut lire « femmes aux cheveux coupés ou rasés portent le voile ». D’autres sacrifient leur chevelure par nécessité économique. Par exemple, les cheveux coupés sont vendus aux perruquiers. Brisant la formule machiste d’Arthur Schopenhauer « la femme est un animal à cheveux longs et à idées courtes », dans les années 1920, des femmes oseront porter haut et fort les cheveux courts. La mode à la « garçonne » est devenue le symbole d’une revendication sociale et de nouvelles mœurs (Perrot, 2005, 75‑78). Si les femmes se sont masculinisées en adoptant la coupe à la « garçonne », pour autant sont‑elles devenues des hommes ? Que fait‑on des poils féminins ? (Monjaret, 2011).

    « Femme velue, courageuse et intelligente » dit le proverbe gascon : deux vertus habituellement attribuées aux hommes. La « poilue », figure sortie du roman de Joseph Delteil « Les Poilus » (1926) est une « femme zélée, forte et déterminée qui soutient son homme parti au front et contribue à sa façon à la victoire » (Paz Obrega, 1989, 148). Selon le principe des vases communicants, elle adopte les traits de caractère de l’homme absent.

    Les femmes ont du poil, quoi de plus normal ! C’est leur excès qui est suspecté être la conséquence d’un dysfonctionnement. Par exemple, l’excès de pilosité sur le visage d’une femme œuvre à sa métamorphose, la masculinise, la fait devenir homme.

    Les femmes à moustache[5] prêtent moins systématiquement à la critique que les femmes à barbe mais elles n’y échappent pas non plus. On dit dans le Languedoc : « une lune de mercredi et une femme moustachue, chaque cent ans il y en a assez d’une ».

    Les « femmes à barbe[6] » ou Èves barbues (Gudin, 2007, 116) sont de celles qui ont le plus intriguées, au point d’être exhibées dans les foires, comme une espèce monstrueuse aux allures de bête sauvage. Elles suscitent des questionnements sur leur ambiguïté sexuelle et les ambivalences sociales que cet état engendre : sont‑elles seulement des femmes déguisées en homme ? Sont‑elles des hommes déguisés en femme ? Sont‑elles stériles ou capables d’assurer la reproduction ? (Loux, Richard, 1978, 36‑37). Troublant l’ordre social, elles inspirent méfiance et suspicion de sorcellerie. En Gascogne, on a coutume de dire : « femme barbue, on la salue de loin ». On évite son regard comme celui du sorcier[7]. Il aura fallu attendre le spectacle « Éloge du Poil » créé par Jeanne Mordoj (2007) pour s’en amuser.

    Les excès de pilosité féminins nourrissent les histoires drôles ou prétendues drôles, bâties sur des stéréotypes nationaux. Certaines nationalités plus que d’autres auraient la réputation d’être poilues, en particulier les Albanaises, les Turques, les Italiennes, les Portugaises, les Allemandes… Les Français ne sont pas les derniers à jouer avec ces ethnotypes. Les scandinaves (et les Allemandes) ont la réputation d’avoir les jambes velues. Les Italiennes auraient les aisselles fournies (en signe de fécondité) et porteraient un « tablier de forgeron » (poil pubien remontant jusqu’au nombril). Mais ce sont les Portugaises dont les Français se moquent le plus crûment. Moustaches, aisselles, jambes, poils pubiens, chaque partie est disséquée, scrutée pour fournir les arguments à la structure d’une devinette. Par exemple : « pourquoi les Portugaises sont‑elles si fières de leurs cheveux ? Parce qu’ils sont assortis à leur moustache. », ou encore « quel est l’objet le plus vendu au Portugal, pour la fête des mères ? Le rasoir électrique ».

    Trop de poils tue la féminité, c’est peut‑être ce qui explique que de nombreuses femmes se soucient encore et toujours particulièrement de leur épilation, tentent de dompter cet excès qui les place du côté de la masculinité voire de l’animalité (Monjaret, 2011).

    DES HOMMES EN CHEVEUX

    Alors que les femmes prennent du poil (de la bête), les hommes peuvent arborer une longue chevelure, signe, pour certains, de la décadence du poil comme symbole de virilité (Paz Obrega, 1989, 147) et signe, pour d’autres, de la force des cheveux comme puissance guerrière, d’une force qui peut néanmoins devenir faiblesse, car si l’on en croit le mythe de Samson et Dalila, il suffit de les couper pour que l’ardeur masculine s’effondre. Les soldats épuisés par les combats ne finissent‑ils pas la « tête pelée », seule la barbe qui résiste s’enracine dans leur courage. La faiblesse du cheveu le place d’emblée du côté du féminin. Un homme en cheveux pouvait être considéré comme homme efféminé (Monjaret, 2011). Les années 1960‑1970 qui ont vu les cheveux longs devenir objet de contestation, immortalisé dans « Hair », une comédie musicale créée en 1967 et adaptée au cinéma en 1979 par Milos Forman, n’ont pas suffi à effacer ces représentations.

    Aujourd’hui, les poils sont, quant à eux, de plus en plus malmenés, les hommes aspirent à une peau lisse et pratiquent à présent l’épilation ou le rasage partiel ou total du corps, dans le secret des salons de beauté afin de se débarrasser de leur toison. Le poil, considéré sale et odorant, serait un remède contre l’amour. Les homosexuels, soucieux de leur pilosité, ont porté et revendiqué cette tendance, adoptée depuis longtemps déjà, pour des raisons différentes, par les cyclistes et les nageurs (Paz Obrega, 1989, 155‑158). D’un extrême à l’autre, au sein de la communauté gay, les « bears » (ours) revendiquent la part sauvage de leur virilité, valorisant leur toison drue, symbole d’une sur‑masculinisation[8].

    Masculin ou féminin, surmasculinité ou surféminité, masculin féminisé et féminin masculinisé, les frontières des genres sont bousculées, remettant en question l’ordre bipolaire du monde. Tous les caractères sexués semblent interchangeables. Il reste que le hors norme, l’entre‑deux et l’étrange intriguent voire sèment le trouble : « les deux plus vilains hommes qu’il y ait : garçon sans barbe et fille barbue ». Quand ils n’effraient pas : « homme sans barbe, femme barbue, prends‑y garde » (Loux, Richard, 1978, 37), préviennent les dictons (Monjaret, 2011). Le rire semble présent pour rendre supportable l’insupportable désordre des choses. Parmi les excès condamnés, ceux qui entourent la sexualité sont sans doute les plus communs et connus. Les expressions ne manquent pas.

    PILOSITE EN EMOI DESIRER ET SEDUIRE, DE L’AMOUR ET DU SEXE

    De l’approche amoureuse à l’acte sexuel, les différentes étapes construisent la relation sexuée et ce dans un cadre qui n’est jamais dépourvu de considérations éthiques et/ou morales. Les poils, les mèches, les boucles, l’ondulation, la brillance, la douceur, la coiffure et la couleur également appartiennent au langage de l’amour et de ses excès.

    JEUX D’APPROCHE

    La séduction fait appel à une gestualité sensuelle et sexuelle. La littérature est inépuisable à ce sujet. Robert Bartlett, dans Symbolic Meanings of Hair in the Middle Ages (1994) montre comment les cheveux longs et courts ont été identifiés, tour à tour, comme une marque visible d’intégration ou de subversion de la norme en vigueur. Mais ici ce qui nous intéresse, c’est de souligner combien les expressions populaires associées à la pilosité manient ce registre de l’amour. « L’acte de relâcher sa longue chevelure auparavant attachée est souvent interprété comme (…) un relâchement des inhibitions, un signal de disponibilité sexuelle » (1984, 60‑62), nous prévient Susan Brownmiller, dans son ouvrage Feminity dans lequel elle fait état des débats féministes qui ont défendu, au contraire, qu’il s’agissait là d’un stéréotype soumis à une sexualisation culturelle.

    Ces actes deviennent des messages : en France, les femmes signalaient leur disponibilité sexuelle en ne portant pas le chapeau que la convenance ordonnait, celui‑là même qu’elles arboraient depuis leurs 15 ans et les festivités de la sainte Catherine (Monjaret, 1997, 2008). « Elle jettent leur bonnet par‑dessus les moulins ! », disait‑on. En dévoilant leur chevelure, elles prennent le risque d’être considérées comme des femmes faciles. « Fille en cheveux, viens si tu veux », rappelle le proverbe normand ; « cheveux frisés, retourne‑toi jeune homme », rappelle le proverbe gascon (Loux, Richard, 1978, 264). Le caprice d’amour peut se transformer en jeux impudiques.

    Dans les expressions françaises que nous avons relevées, on flatte, en « passant la main dans les cheveux à quelqu’un ». On attire, les boucles de cheveux deviennent des « accroches cœur », les moustaches se transforment en « charmeuses », puis « frisent » de plaisir. On prévient alors les jeunes gens que « ogni riccio un capriccio » (pour chaque boucle un caprice) pour les alerter sur le risque d’un amour tumultueux. Dans tous les cas, le langage des cheveux et des coiffes informe d’une attirance envers l’autre : on dit ainsi « avoir un cheveu pour une femme » ou « avoir le béguin ».

    Ces amours volages ne sont pas les amours sérieux qui préparent au mariage. Placé du côté du désordre, l’échevelée n’aurait donc aucune chance de trouver un promis, et devra se limiter aux jeux des amours insouciants. Les futurs élus doivent faire bonne impression : « bien chaussé, bien coiffé, on est à moitié marié » (Loux, Richard, 1978, 270). D’ailleurs, la qualité du cheveu signe la force de la relation : « en amour, un beau cheveu est plus fort que quatre bœufs », dit le proverbe gascon (Loux, Richard, 1978, 268). « Cheveux bouclés, aimé ! » (Loux, Richard, 1978, 264).

    Un amour se scelle en échangeant des mèches de cheveux, une « partie » de soi. Cet échange est une étape dans l’engagement réciproque du couple. Si les fiançailles sont rompues, les mèches, comme d’autres cadeaux, sont alors restituées au donateur. Parfois pour y arriver, il faut contourner les règles. Un scioglilingua (virelangue) sicilien nous dit : « cu lu tuppu `un t`appi, senza tuppu t`appi. Cu lu tuppu o senza tuppu, basta chi t`appi e comu t`appi t`appi. » (avec le chignon je ne t’ai pas eu, sans le chignon je t’ai eu. Avec ou sans chignon l’important c’est que je t’ai eu). La formulette résume l’histoire d’un jeune homme amoureux d’une jeune femme à la belle chevelure coiffée en chignon. La mère de la belle n’était pas favorable à leur union et la demoiselle, de douleur, se coupa alors les cheveux. Face au gâchis de la beauté de sa fille la mère, repentie, donna sa bénédiction et le fiancé put prononcer la formule qui est restée dans la mémoire comme exemple de l’affrontement intergénérationnel.

    Mais les jeux de l’attirance peuvent devenir des jeux de duperie. Les Canadiens alertent sur les possibilités de se « faire jouer dans les cheveux » (se laisser enjôler en amour). Séduire, c’est un peu tromper son homme. Quand une femme « coiffe son mari », c’est qu’elle le trompe. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, quand un homme « va se faire couper les cheveux » (Commerson, 1854), c’est qu’il se rend au bordel.

    Peut‑on dire la même chose des poils ? Bien plus nombreux et différemment repartis sur le corps les poils sont aussi moins visibles dans les expressions vernaculaires. Ceci s’explique en partie par le fait que les cheveux sont un motif qui appartient depuis toujours à la narration esthétique figurative, alors que les poils ont longtemps subi la censure[9]. La toison pubienne, celle qui couvre le « mont de Vénus »[10], est sans doute celle qui attire le plus de remarques. Le proverbe gascon « Plus poilue, plus désirée » insiste sur l’influence du poil féminin dans l’éveil sexuel. Pour les femmes ou les hommes, le poil génital semble être source de plaisir : « là où il y a du poil, il y a de la joie » (Loux, Richard, 1978, 38, 275). Aujourd’hui, il semble que pour nombres de contemporains, l’érotisme ne se cache plus dans le poil qui leur apparaît odorant, vulgaire, sale, sans doute trop animal et sauvage (Auzépy, Cornette, 2011).

    HAUT EN COULEURS…

    Les couleurs résonnent davantage aux oreilles de nos contemporains. Si l’expression « Les hommes préfèrent les blondes mais épousent des brunes » se réfère aux stéréotypes féminins courants, elle a surtout l’intérêt d’introduire une distinction entre les pratiques sexuelles dans et hors foyer conjugal.

    L’utilisation en écho des cheveux blonds et des cheveux noirs sert à souligner un contraste entre les féminités. Les hommes épouseraient donc plutôt les brunes, « les filles de paysan, si elles ne sont pas brunes, elles ne valent rien » ; la « femme brunette est de nature nette » quand elle n’est pas « piquante ». Mais les hommes seraient attirés davantage par les blondes que les brunes : « les hommes préfèrent les blondes », « brune c’est bien, blonde c’est mieux ». Pour les immigrés turcs que Benoît Fliche a rencontrés à Strasbourg, les blondes sont considérées comme des filles légères, « faciles ». Elles représentent l’« Occidentale », figure moins soucieuse de sa vertu que les brunes qui leur rappellent plus volontiers leur pays d’origine. Les blondes sont appelées « Natacha », une manière de dénigrer les filières de la prostitution des pays de l’Est (Fliche, 2000, 162). Ailleurs comme en France, la blonde peut être considérée de différentes manières : « stupide », « évaporée » ou « douce ». Sans oublier pourtant que la blondeur a longtemps été perçue comme un signe de noblesse, ce qui explique qu’« une femme aux cheveux châtains est une blonde modeste », c’est‑à‑dire plus abordable socialement parlant.

    En revanche, la chevelure rousse est à la fois objet de convoitise et sujet de méfiance, de moquerie, voire de haine (Perrot, 2005, 75, 68 ; Bromberger, 2005, 30‑31, 2017). Les stéréotypes qui semblent traverser le temps métamorphosent les rousses en de ravageuses séductrices à la sexualité libre. Sainte Marie‑Madeleine déroulant une majestueuse chevelure (Arasse, 2000) appartient à ces figures. Au XVIème siècle, les galantes italiennes, brunes, se teignaient en blonde. Les grandes courtisanes ont le « feu aux cheveux » (Gudin, 2007, 101). Les demi‑mondaines de la fin du XIXème siècle possèdent des chevelures de braise, un roux incendiaire, signe de disponibilité sexuelle (Bertou, 1987, 184). Ne dit‑on pas « donna rossa fiamma nel letto » (femme rousse, feu dans le lit) ou « roscio non é mai moscio » (le roux est un amant toujours partant). Plus encore, le roux est violent : « le plus doux des roux a tué son père », « Rosso Malpelo »[11] ou encore « barbe rouge et noirs cheveux, qui le tuerait ne ferait que son devoir » au point de considérer que « mieux vaut être chauve que roux ». Quoi qu’il soit, le roux est entouré de stigmates. Yvonne Verdier d’abord (1979) puis Anne Monjaret (1989), ont montré que la couleur flamboyante de la chevelure est perçue comme le signe d’une surabondance, d’un excès sexuel, comportemental, moral. On soupçonne que le roux et la rousse aient été conçus pendant les règles, qu’ils ne connaissent pas les limites, qu’ils soient proches des fauves, sujets du diable. La couleur des barbes et des poils plus que de porter un jugement généralisé apparaît comme le support du regard, la cristallisation de l’identité. « Barbe Rousse » fut l’épithète du boucanier et de l’empereur, « Barbe Noire », le nom du pirate ; « Barbe Bleue », le personnage de Charles Perrault, a symbolisé quant à lui dans les reflets bleutés et inhabituels de ses poils la cruauté de l’homme et le sang versé (Faeti, 1996).

    Le cheveu, objet de tentation, trahit l’homme et le poil qui cache le sexuel, l’érotique (Perrot, 2005, 71 ; Bertou, 1987, 182) se mue en tabou (Monjaret, 1989, 2011).

    MECHES REBELLES SORTIR DU RANG

    Les expressions ici étudiées nous informent précisément des tempéraments des hommes et des femmes, de leur sensiblerie comme de leur violence, de leur nonchalance comme de leur excitation qui les trahissent.

    DES TEMPERAMENTS BIEN TRANCHES

    Dans la société française traditionnelle, la paresse est une forme de transgression sociale : On dit du paresseux qu’il « a un poil dans la main » ou que « son poil lui sert de canne », autrement dit le poil encombrant sa main l’empêche de travailler.

    L’ennui est une autre des dimensions qui est caractérisé cette fois par la barbe. Elle permet de symboliser le temps qui s’écoule lentement : « se barber » comme « se raser » (Monjaret, 1989). Ces mots peuvent être accompagnés simultanément d’un geste, évoquant l’acte de rasage ou simulant la barbe en train de pousser, parfois le geste suffit à lui seul pour signifier l’ennui. Jules Renard aimait, au contraire, « écouter pousser sa barbe » (Gudin, 2007, 92), prendre son temps et s’extraire paisiblement du monde. Cette méditation sereine s’oppose à une inadéquation sociale qui peut pousser l’individu à s’isoler des autres en consommant de l’alcool sans modération : on dit d’ailleurs « le verre me tombe dans la barbe ». Dans l’argot professionnel des typographes « prendre la barbe » veut dire se saouler et ce jusqu’à « avoir mal aux cheveux » (avoir trop bu). La corrélation sémantique entre le taux d’alcoolémie et la chevelure est attestée aussi en Espagne : l’expression « a medios pelos » (à cheveux moyens) équivaut à être éméché.

    DE LA VIOLENCE DES MOTS A LA VIOLENCE PHYSIQUE

    Dans les échanges verbaux, la métaphore italienne, « Non ha peli sulla lingua » (il n’a pas de poils sur la langue) exprime l’idée que l’on ne mâche pas ses mots, que rien ne vient gêner l’élocution[12]. L’absence de poil libérerait de ses inhibitions. « Je n’ai pas de barbe pour que l’on m’écoute » (Fliche, 2000) confirme cette posture. L’expression « moins de barbe, plus de toupet », également. On peut rire à en perdre ses poils, c’est‑à‑dire « se poiler »[13] pour se moquer. Se défouler en quelque sorte aussi, ce qui nous vaut de la part des Anglais, la formule « to let one’s hair down » (laisser tomber ses cheveux).

    Le rire appartient au registre du défouloir. On peut vilainement « rire au nez et à la barbe de quelqu’un », plus discrètement « parler ou rire dans sa barbe » dans l’intention de ne pas se faire entendre et par là comprendre. Une situation qui « défrise » celui qui est la risée des autres, à moins qu’il soit « horripilé » par les propos de ce grossier personnage qualifié d’« hirsute », à moins de finir par être « de mauvais poil », d’ « avoir le poil hérissé ». « He gets in my hair » (il me tape sur les nerfs ou sur le système), disent les Anglais quand les Espagnols parlent « pelos cabelos » (par les cheveux) pour exprimer leur ras‑le bol.

    En Norvège, on parle des « cheveux sensibles » (« hårsår ») pour qualifier les personnes susceptibles voire celles au caractère trempé. En Gascogne, on reconnaît la tête d’un bourru à ses « cheveux hérissés » (Loux, Richard, 1978, 264) et au Portugal « ter cabelo na(s) venta(s) » (avoir des cheveux dans les narines) signifie être récalcitrant. Dans le jargon policier de la région parisienne l’expression « cheveux longs » désigne un suspect au passé chargé (Perret, 2002, 754). Il paraît donc que le tempérament vif se manifeste dans la chevelure.

    L’énervement de ces individus sensibles peut conduire à une rixe, provoquer une dispute au point d’« haare auf den zähnaeb haben » (avoir du poil aux dents), dit‑on au Danemark ou de lui « chercher des poux dans la tête », dit‑on en France. Là encore, la langue des poils et des cheveux apparaît variée et subtile : on peut « se crêper le chignon », « se prendre aux cheveux », « se peigner » ou encore on peut « tomber sur le poil » de quelqu’un avec qui on a « des démêlés ». On peut aussi aller jusqu’à le « dépouiller », le « tondre », autrement dit le voler. On doit ainsi se garder de l’« homme blond, homme venimeux ». Tous ces comportements violents appellent l’ordre, une mesure de redressement.

    Conclusion

    Grâce aux expressions langagières, nous pouvons assister en direct à une alchimie qui concentre l’infiniment grand dans l’infiniment petit, suivre les transformations de la matière qui se fait symbole et, en tirant le fil du cheveu, cerner l’humain. Le processus de condensation dans lequel « cheveux et poils tiennent lieu de la personne tout entière ou de son âme (…) » (Leach, 1980, 351), ne produit pas perte de sens mais multiplie, au contraire, les correspondances, renvoie à d’autres registres, complexifie analogies et métaphores. Le langage des poils et des cheveux est polysémique.

    Les expressions autour des poils et des cheveux que nous avons étudiées se réfèrent aux formes de la vie en société et plus spécifiquement à la manière dont les relations sexuées et les rapports sociaux se mettent en scène. À travers ce langage, nous ne découvrons pas forcément la façon dont les hommes et les femmes se comportent mais très précisément la manière dont on imagine qu’ils et elles peuvent se comporter. L’efficacité symbolique des poils (et des expressions qui les concernent) est si profondément enracinée dans notre culture occidentale qu’elle reste redoutablement efficace. Bien que ces expressions renvoient à des représentations et pratiques nationales qui appartiennent désormais à l’histoire, elles participent toujours activement à l’élaboration d’ethnotypes dont nous avons ici « brossé » quelques exemples. Ces derniers relèvent le plus souvent d’une vision critique et morale portée sur son propre monde (entendu comme sa société, sa communauté, les individus qui la forment). Ces formules sont là pour classer, distinguer, marquer des frontières tout en invitant aux analogies ou aux brouillages.

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    Verdier Y., (1979), Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière et la cuisinière, Paris : Gallimard.


    [1].. En dehors de classique comme Leach, 1980, se reporter notamment à Fliche, 2000 ; Auzou, Melchior‑Bonnet, 2001 ; Monestier, 2002 ; Bromberger, 2005, 2010, 2015 ; Gudin, 2007 ou encore le dossier « Ô mon beau poil ! » de la revue La Grande Oreille, 2017. Des expositions et des journées d’étude sont aussi consacrées aux poils. Nous pensons par exemple à quatre expositions : celle intitulé « Le cheveu se décode » à la Cité des sciences et de l’industrie en 2002, celle « Hair du temps » datée 2009, présentée à la Galerie d’Art du conseil général des Bouches du Rhône, Aix‑en‑Provence, celle « Morceaux exquis » qui consacre une partie aux poils, en 2011, à l’Espace Fondation EDF et « Cheveux Chéris. Frivolités et Trophées » en 2012 au Musée du Quai Branly (Le Fur, 2012). Nous référons également à la journée d’étude « Pilosité et sang, un imaginaire de la vitalité » du Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS) en 2007 et la publication qui a suivi (Karadimas, 2010).

    [2].. Dans cet article, nous avons choisi de présenter des expressions populaires et européennes, principalement issues des contextes linguistiques francophones et italophones. Les plus anciennes de ces expressions sont répertoriées dans des dictionnaires spécifiques et dans certains des ouvrages cités en bibliographie. D’autres ont été recueillies par les auteures qui s’intéressent à cette thématique depuis les années 1980.

    [3].. En réalité, les mœurs et les pratiques changent beaucoup plus vite que les expressions langagières (Bromberger 2005, 29). En Suisse, les publications de Transgender Network Switzerland, « rédigée par des personnes trans*, pour les personnes trans* et pour toutes les autres » alertent sur l’importance capitale, que peuvent avoir les cheveux et les poils : marqueurs d’une nouvelle identité, signe éclatant d’une « euphorie de genre », ils peuvent aussi être source d’anxiété, de stress et de dysphorie.

    [4].. La Sentinelle, Quotidien socialiste, vendredi 2 mai 1941, n°99, 52ème année.

    [5].. La formule « avoir de la moustache » est employée pour désigner les poils pubiens qui dépassent au niveau du « maillot ».

    [6].. Le pendant masculin de cette figure féminine est l’« homme roux » sur lequel reposent de nombreux griefs.

    [7].. Dès lors qu’une femme porte atteinte aux règles de l’apparence, à la moralité féminine, elle encourt le risque de suspicion de sorcellerie. Ainsi, Jeanne d’Arc, représentée cheveux courts, ni homme ni femme, n’a‑t‑elle pas fini sur le bûcher telle une sorcière !

    [8].. Sur cette thématique, voir notamment le reportage « Tous à poils » de Sophie Levy‑Chambon, France, 2009.

    [9].. Il suffit de rappeler combien le tableau « L’Origine de monde » (1866) de Gustave Courbet a provoqué un scandale en son temps.

    [10].. « À l’époque de Rabelais, les maujoints épilaient le « mal joint » (d’où leur nom), faisant du mont de Vénus un mont chauve sur lequel on pouvait passer la nuit. » (Gudin, 2007, 92). Les poils pubiens ne sont donc pas forcément source de plaisir.

    [11].. « Rouge Malpelo » est aussi le titre d’une nouvelle de Giovanni Verga dans laquelle le protagoniste est condamné à être méchant par le seul fait d’être roux.

    [12].. A contrario, en Français, « avoir un cheveu sur la langue », c’est zozoter, montrer une difficulté d’élocution (Gudin, 2007, 97).

    [13].. « On pourrait voir dans ce verbe, altération de s’époiler « s’arracher les poils », l’antonyme ironique de « s’arracher les cheveux » qui, lui, évoque un comportement de rage et de détresse. » (Brückner‑Goudrand, 1989, 308).

    [14].. Exposition « Le cheveu se décode » à la Cité des sciences et de l’industrie en 2002 à Paris.

    [15].. Les Anglais emploient une expression assez proche : « it was enough to make your hair stand on end » (il y a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête).