Introduction

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  • Description

    Stéphane HÉAS

    Sociologue des expériences et des expressions corporelles. Professeur des universités à l’UFRAPS de Rennes au sein du laboratoire VIPS2 UR4636. Docteur de l’université de Strasbourg (1996).

     

    Patrice RÉGNIER

    Maître de conférences en STAPS (Sociologie), Univ Rennes, Université Catholique de l’Ouest – Bretagne Sud VIPS2 (UR 4636), F-35000 Rennes, France.

    Référence électronique
    Régnier P., Héas S., (2024), « Introduction. », La Peaulogie 11, mis en ligne le 28 octobre 2024, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/introduction-sports

    Malgré l’omniprésence des sports dans nombre de sociétés contemporaines, malgré la présence mass médiatique notamment des pratiquantes aux tenues sportives qui découvrent leurs corps ou bien malgré les frottements, les chocs et autres contacts peau à peau entre pratiquantes, les relations entre peaux et sports n’ont été étudiées que récemment par les sciences humaines et sociales en France (Le Hénaff, Héas, 2007 ; Héas et al., 2007 ; Bellay  et al., 2013), ou ailleurs dans le monde (Bergfeld, Taylor, 1985 ; Meadow et al., 2013). Les analyses semblent timidement se développer et se poursuivre depuis lors (Héas, 2021 ; MacFarlane, Theobald, 2021 ; De Castro‑Maqueda et al., 2021 ; L’Ethnographie, 2021[1]). Une journée d’études dermatologiques intitulée “La peau olympique” organisée par la Société Française en Sciences Humaines sur la Peau s’est déroulée au mois de septembre 2024[2] et semble confirmer cet engouement. Pourtant, la peau, en tant qu’enveloppe protectrice du corps humain notamment et médiatrice des échanges entre humains, est toujours présente dans les pratiques quotidiennes, et par conséquent les pratiques sportives.

    Ce numéro, envisagé et proposé depuis plusieurs années déjà, ne focalise pas sur les Jeux Olympiques malgré son année d’édition. Avec les responsables de la revue Corps (2024[3]), nous avions convenu, lors d’une réunion de la Société française de philosophie du sport dirigée par B. Andrieu, d’analyser les sports autrement que sous l’angle habituel du sport de compétition professionnel. Aborder avec un pas de côté ces objets et ces thèmes de la « peau » et des « sports » décentre le regard scientifique des plus courantes et dominantes analyses des sports contemporains.

    Les cinq articles de ce numéro thématique abordent des populations et des terrains variés, scrutant tous un angle original et bien loin des caciques olympiques. Jérémy Sauvineau a observé les joueurs de cricket afghans en exil. Il précise la place importante de ce sport pour ces personnes éloignées de chez elles, contraintes géographiquement, qui organisent tant bien que mal un ersatz de communauté au fil des rencontres sportives qui les rassemblent. Le jeu sportif se double d’enjeux masculins et même virils où la résistance, la force musculaire, l’habileté motrice et le toucher de balle se combinent, dans une sensibilité subtile de la pulpe des doigts, aux frappes ou réceptions des lancers et des mouvements de course. Les blessures cutanées de leur passé afghan puis lors du voyage (avec force matraquage, voire torture au passage des frontières notamment croates) marquent à vie ces exilés‑réfugiés‑émigrés. Pour faire écho au titre d’un ouvrage célèbre (Goffman, Winkin, 1988) ces « moments » de cricket établis momentanément sur une terre étrangère et ces « hommes » reprennent une vie plus proche de celle qu’ils ont connue par le passé. Jessica Ragazzini propose une analyse des culturistes, hommes et femmes, photographiés par Valérie Belin : l’esthétique fusionne avec la force jusqu’à la déformation corporelle. Ces morphologies exposées figurent‑elles une version contemporaine esthétique des écorchés du Moyen Âge immortalisés par Vésale ? La peau y est en tout cas mise en avant par la mise en scène des corporéités et les variations entre le noir et le blanc, l’ombre et la lumière, insistant ça et là sur le grain et la texture cutanés. Charlotte Branchu précise, quant à elle, les questions de légitimité et de respectabilité à même la peau des rugbywomen amateures. Grâce à l’analyse des éraflures, griffures, bleus, ecchymoses, elle soutient qu’étudier ces marques corporelles et cutanées au regard des représentations entre autres des non pratiquant·e·s revient à étudier plus largement les positions dans l’espace (sportif et social). Patrice Régnier poursuit ses investigations sur les relations humains‑équins dans « Peau du cheval, peau du cavalier : entre corps et langage » où la sensibilité des deux espèces intervient aux fins d’une activité ludique au moins… pour l’être humain. La relation y apparaît fondamentalement construite sur le contact corporel. L’intimité entre deux individus de deux espèces différentes s’y révèle dans toute la simplicité du contact de “peau à peau”[4] et toute la complexité d’un monde de sens plus ou moins partagé. Tanguy Derumaux et Thomas Renou abordent d’une manière originale le travail des moniteur·rice·s d’équitation racontant leur corps. À l’interface des milieux agricole, sportif et de loisir, les professionnels équestres mettent en jeu leur corporéité quotidiennement. Les impacts à même la peau de l’activité équestre oscillent entre les  valeurs du travail rural (avec force cals, crevasses, varices) et celles du milieu des pratiquant·e·s plus souvent éloignées généralement des plaisirs et contraintes du monde rural.

    Dans la rubrique Varia, Miranda Dotson et Marc Lafrance présentent une traduction française inédite de leur texte « Fabriquer la peau. Une étude des expériences incarnées de la guérison chez des   youtubeurs souffrant d’acné». Cette maladie de la peau attachée à l’adolescence peine à être vécue positivement lorsqu’elle perdure. Les vlogeurs adultes étudiés font preuve d’agentivité et s’échangent des recettes profanes, souvent en rejetant les propositions médicales, dans leur quête pour mieux vivre avec l’acné, leur acné. Marianne Morin décrypte l’épidémie de choléra où la couleur bleue, signe visible de la maladie, devient l’indice du mal, de la mort et « l’agent actanciel » du roman Le Hussard sur le toit de J. Giono. Sarah Kourdi analyse la momification dans l’Égypte antique où il s’agit de conserver le corps et notamment la peau au‑delà de la mort, illustrant à la fois des pratiques concrètes de préservation et des pratiques sotériologiques : la peau maintenue assure éternité et renaissance à l’individu conservé…

    Trois comptes‑rendus de lecture parachèvent le numéro. Stéphane Héas a lu l’ouvrage richement illustré d’Alexandra Bay, (2023). Le tatouage traditionnel Américain. Des frégates aux salons de tatouage; Maud Verdier celui de Bertrand Verine, (2021). Le toucher par les mots et par les textes. Enfin, Romane Blaise rapporte sa lecture du livre de David Le Breton, (2003). La Peau et la trace.

    BIBLIOGRAPHIE

    Bellay J., Héas S., Régnier P., (2013), « Sports et Peaux : des relations complexes. Prolégomènes d’une enquête », in : T. Terret et al. (dir.), Sport, genre et vulnérabilité au XXe siècle, Rennes : PUR, 535-548.

    Bergfeld W.F., Taylor J.S., (1985), « Trauma, sports, and the skin », Am. J. Ind. Med., 8 : 403-413. https://doi.org/10.1002/ajim.4700080422

    De Castro-Maqueda G., Gutierrez-Manzanedo J.V., Lagares-Franco C., de Troya-Martin M., (2021), « Sun Exposure during Water Sports: Do Elite Athletes Adequately Protect Their Skin against Skin Cancer? », Int. J. Environ. Res. Public Health, 18, 800. https://doi.org/10.3390/ijerph18020800

    Goffman E., Winkin Y., (1988), Les Moments et Leurs Hommes, Paris : Seuil-Minuit.

    Héas S., Bodin D., Robène L., Misery L., (2007), « La représentation des poils dans les publicités magazines en France », Annales de Dermatologie et de Vénéréologie, 134/10, 752-756.

    Héas S., (2021), « Prolégomènes aux trichologiques contemporaines dans les sports de haut niveau », Apparence(s) [En ligne], 10, mis en ligne le 17 décembre. CL http://journals.openedition.org/apparences/2717

    Le Hénaff Y., Héas S., (2007), Tatouages et cicatrices : décors sportifs, Paris : L’Harmattan, Collection Le Corps en question, mars.

    MacFarlane M.J., Theobald P., (2021), « Skin tribology in sport », Biosurface and biotribology, 7/3, 113-118.

    Meadow J.F., Bateman A. C., Herkert K.M., O’Connor T.K., Green J.L. (2013), « Significant changes in the skin microbiome mediated by the sport of roller derby », PeerJ., 1, e53.


    [1].. https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=792 « Vers une ethnographie de la performance art‑sport », Paris (2024).

    [2].. https://www.fffcedv.org/wp‑content/uploads/2024/09/Programme-FORUM-31eme-Forum-Peau‑Societe_SFSHP_25-Octobre‑2024_LYON.pdf

    [3].. https://shs.cairn.info/revue-corps‑2024‑1?lang=fr « D’autres jeux, d’autres corps ».

    [4].. Médié par les vêtements de la cavalière ou du cavalier et l’équipement de la monture équine (selle, renne…) qui, parfois, sont constitués, tout ou partie, de peaux animales.