La demande d’effacement de cicatrices cutanées

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  • Description

    Dr Martine SCHOLLHAMMER

    Dermatologue 27, rue du Château 29200 Brest
    et Service de dermatologie CHRU Brest

    Dr Myriam CHASTAING

    Psychiatre Unité de Psychiatrie de liaison
    et Service de Dermatologie CHRU BREST

    Résumé

    En dermatologie, les progrès technologiques et leur médiatisation suscitent des demandes de plus en plus fréquentes d’effacement des cicatrices (cicatrices post–chirurgicales, cicatrices post-traumatiques, cicatrices d’acné, cicatrices auto-provoquées (excoriations, scarifications, automutilations) … Les attentes sont fortes et les demandes souvent pressantes chez ces patients qui ont une véritable souffrance avec sentiments de honte et culpabilité. Une réponse opératoire immédiate, sans entendre la demande latente derrière la demande d’effacement des cicatrices, risque d’aggraver la souffrance.

    Mots-clés

    Cicatrices, Effacement, Honte, Culpabilité, Demande latente

    Les progrès technologiques en dermatologie et leur médiatisation suscitent des demandes de plus en plus fréquentes d’effacement des cicatrices. L’offre crée la demande, suscite des espoirs, des attentes chez des patients qui ont une véritable souffrance liée à des traces cutanées d’origines diverses.

    Les techniques d’effacement des cicatrices sont assez invasives ; elles reposent sur des soins répétés par laser, parfois onéreux, relativement douloureux avec, dans un premier temps, des suites affichantes. Les indications doivent être bien posées et les actes réalisés par des opérateurs entraînés. Le risque d’aggravation de l’état global du patient doit toujours rester présent à l’esprit.

    Les demandes d’effacement intéressent plusieurs sortes de cicatrices comme les cicatrices post–chirurgicales, les cicatrices post-traumatiques, les cicatrices d’acné, les cicatrices auto-provoquées (excoriations, scarifications, automutilations)…

    Dans notre pratique, les demandes les plus fréquentes et les plus pressantes concernent essentiellement les cicatrices de lésions auto-infligées et celles liées à l’intervention de tiers vécues alors comme infligées. Dans ces dernières le patient a été victime d’une agression, d’un traumatisme accidentel ou se considère victime d’un aléa thérapeutique… Dans les lésions auto-infligées on peut penser que, même si le patient les a lui-même provoquées, il était en quelque sorte victime, mais alors de lui-même, du fait du caractère irrépressible, parfois compulsif de ses conduites.

    Dans les deux cas ces demandes sont associées à une forte souffrance.

    Les patients qui arrivent en consultation se sont renseignés sur les techniques par différents canaux d’information (médecine, media, blogs d’usagers…). Ils s’adressent à des médecins référencés pour ces pratiques spécifiques.

    Tout médecin a une idée de son rôle ; pour lui, il est naturel de répondre à la demande des patients pour tenter de soulager leur souffrance. Ceci renvoie à la notion de fonction apostolique du médecin développée par Michaël BALINT : « comme si chaque médecin possédait la connaissance révélée de ce que les patients sont en droit ou non d’espérer  ».

    Chez ces patients la demande est pressante, voire impérieuse. Cette forte pression risque de faire perdre au médecin le recul nécessaire dans la pose des indications. Il peut être alors instrumentalisé et se montrer parfois plus interventionniste. Le risque est celui de l’aggravation des lésions cutanées, et de l’aggravation de la détresse psychique des patients.

    Photo 1 : cicatrices secondaires à un laser pratiqué sur des cicatrices de scarifications

    Ce risque est d’autant plus fort qu’il concerne des patients particulièrement vulnérables en raison du vécu douloureux, voire traumatique de leur cicatrice. Un geste thérapeutique, même vivement souhaité par le patient et réalisé par un praticien soigneusement choisi par lui, peut générer un nouveau vécu traumatique.

    Différents facteurs peuvent réactiver la sensation d’être victime. Ce peut être ainsi une aggravation objective des lésions, une immense déception à la mesure de fortes attentes placées dans le traitement, le sentiment de subir un nouveau préjudice lié à l’effort financier qu’impliquent les soins. La répétition est alors extrêmement douloureuse, voire délétère et devient ainsi traumatique.

    Quelquefois, la réponse technologique est adaptée, le résultat clinique est objectivement correct mais la demande du patient n’est pas satisfaite. On peut penser que sa véritable demande n’a pas été entendue. En se référant à la notion, introduite par Freud, des contenus latent et manifeste du rêve, on peut considérer que, derrière la demande manifeste des patients il existe parfois une demande latente d’un autre ordre. Lors de la consultation pour une demande d’effacement de cicatrices, il est utile de porter attention à cette demande latente, grâce à une écoute et une analyse approfondies.

    Parfois, ce n’est pas la trace objective et réelle sur le corps que le patient souhaite effacer mais la représentation psychique qu’il en a. Ainsi, une jeune patiente, qui s’était scarifiée à l’adolescence et présentait de fines cicatrices peu visibles, craignait que celles-ci ne soient considérées comme le témoin de troubles psychiatriques.

    Photo 2 : cicatrices de scarifications

    Au cours d’un entretien préalable au traitement, la verbalisation a finalement permis à la patiente d’accepter ses cicatrices et de renoncer à une technique dont la balance bénéfice/risque ne paraissait pas favorable dans son cas.

    Un autre patient qui lors d’une déception amoureuse s’était automutilé les avant-bras par brûlures de cigarettes, voulait effacer tout autant le souvenir de sa détresse psychique de l’époque que l’inscription dans son corps et c’est autant la verbalisation de son histoire que les soins dermatologiques qui l’ont soulagé.

    Chez ces patients qui se sentent victimes d’une inscription dans leur chair, qu’ils n’ont pas choisie (lésions infligées par un tiers ou auto-infligées), les sentiments de honte et de culpabilité sont forts et, à notre avis, déterminent en grande partie la demande d’effacement. Les tentatives d’effacement dermatologique des cicatrices constituent la réponse à la demande manifeste alors que la demande latente est une demande d’atténuation des affects de honte et de culpabilité (associés à la réalisation des inscriptions sur la peau). Les demandes d’effacement des cicatrices de lésions auto-provoquées (excoriations psychogènes, scarifications, automutilations…) doivent être entendues avec bienveillance. Les marques ont été effectuées sur leur peau à une période de vulnérabilité de leur existence (souvent à l’adolescence). Les cicatrices qu’ils regrettent les renvoient à cette période dont ils ont honte et qu’ils voudraient oublier.

    Les demandes d’effacement des cicatrices d’acné renvoient au vécu parfois difficile de la puberté. L’acné est associée aux remaniements corporels et à l’émergence des caractères sexuels secondaires. L’intimité est ainsi dévoilée au regard de l’autre et engendre des sentiments de honte. Cette période de transition entre l’enfance et l’âge adulte, est souvent vécue de manière très inconfortable et le patient ne souhaite pas forcément en garder un souvenir affichant. Les cicatrices sont d’autant plus importantes que les lésions initiales ont été excoriées et cette aggravation des cicatrices est source de culpabilité, renforcée par les propos de l’entourage et de certains médecins.

    Les demandes d’effacement des cicatrices post-traumatiques émanent souvent des parents d’enfants ayant été victimes d’un traumatisme accidentel.

    Photo 3 : cicatrice secondaire à une chute

    La notion de culpabilité apparaît assez évidente chez ces parents qui se reprochent de n’avoir pas su protéger leur enfant ou qui même parfois ont été à l’origine du traumatisme. Ainsi, une jeune femme consulte plusieurs praticiens sur l’insistance de sa mère pour une cicatrice du visage provoquée par la fermeture d’une porte de garage actionnée par son père. Cette demande pressante a finalement abouti à une aggravation de la cicatrice initiale

    Photo 4 : déformation par migration de graisse injectée dans la cicatrice initiale horizontale

    Les demandes d’effacement de cicatrices post-chirurgicales sont moins fréquentes pour les chirurgies curatives (chirurgie cancérologique, chirurgie orthopédique) que pour la chirurgie plastique. Dans certains de ces cas la demande de correction des cicatrices apparaît assez adaptée à l’objectif esthétique de la chirurgie ; c’est par exemple le cas des cicatrices de plastie mammaire. Dans d’autres cas la demande est impérieuse et absolue ; il s’agit alors de faire disparaître toute trace du recours à la chirurgie plastique (par exemple patients qui veulent faire disparaître les traces des implants capillaires pratiqués dans l’alopécie androgénogénétique ou calvitie).

    Photo 5 : cicatrices d’implants capillaires

    La honte d’avoir eu recours à ce type de traitement à visée esthétique apparaît le moteur essentiel de ces demandes. Elle peut parfois traduire ce qu’ils ressentent comme une faiblesse psychique de n’avoir pu assumer leurs particularités physiques. Elle peut aussi traduire la honte de n’avoir pas été assez vigilant, de s’être fait abusé par un praticien aux pratiques qu’ils estiment a posteriori non conformes ; le reproche le plus fréquent est le manque d’information sur le déroulement de l’acte, le résultat et les risques. Le patient se sent coupable d’avoir été trop confiant, comme s’il prenait à son compte les manquements du praticien.

    En conclusion, il nous paraît important d’être attentif à la souffrance des patients qui consultent pour un effacement de cicatrices. Celles-ci renvoient souvent à une souffrance initiale qui doit être reconnue. Il faut trouver une position juste qui tienne compte de cette souffrance sans banaliser la plainte et sans y répondre de manière systématique. La prise en compte de la demande nécessite un certain recul pour en comprendre la portée et trouver une réponse la plus adaptée à la demande véritable. Un simple refus ne peut être considéré comme une réponse suffisante ; le travail du praticien est d’aider le patient à verbaliser sa demande, à élaborer ses attentes et à faire émerger la demande latente derrière la demande manifeste.

    Références bibliographiques

    Balint M. Le médecin, son malade et la maladie, Paris, Payot & Rivage, 1996, 430 p.

    Freud S. L’interprétation des rêves, Paris, Presses Universitaires de France, 1976, 569 p.

    Chastaing M, Féton-Danou N. Attentes irréalistes et dysmorphophobies en dermatologie esthétique. EMC-Cosmétologie et Dermatologie esthétique 2015; 10(1):1-9 [Article50-265-C-10].

    Ciccone A., Ferrant A. Honte, culpabilité et traumatisme, Paris, Dunod, 2009, 249 p.

    Consoli SG., Consoli S. Psychanalyse, dermatologie, prothèses – D’une peau à l’autre, Paris, PUF, 2006, 160 p.