L’apparition de la « jeune femme scarificatrice typique » dans les années 1960 une analyse de l’émergence d’un discours scientifique homogène sur la pratique des scarifications

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  • Description

    Adrien CASCARINO

    Docteur en psychologie, Université de Paris, Institut Humanités Sciences et Sociétés, département d’études Psychanalytiques.

    Référence électronique
    Cascarino A., (2021), « L’apparition de la “jeune femme scarificatrice typique” dans les années 1960 », La Peaulogie 6, mis en ligne le 18 juin 2021, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/jeune-femme-scarificatrice-typique-60

    Résumé

    Depuis quelques années, les pratiques corporelles comme le tatouage ou le piercing, autrefois marquées du sceau de la déviance, bénéficient d’une plus grande tolérance dans les sociétés occidentales. En revanche, pour d’autres pratiques telles que les entailles corporelles délibérées et exécutées par la personne elle‑même, le discours de répression s’est accentué, comme l’atteste l’inscription en 2013 d’une nouvelle pathologie, intitulée Non Suicidal Self Injury, dans la 5ème édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Cette nouvelle entité nosographique ne se limite pas aux pratiques d’incisions cutanées mais cite explicitement ces dernières comme premier exemple de lésion possible.

    L’objectif de cet article est alors d’effectuer une analyse historique préliminaire pour mieux comprendre dans quelles conditions la scarification devient un objet d’étude pour la psychiatrie et la psychanalyse. Nous montrerons précisément qu’avant les années 1960, les discours psychiatriques et psychanalytiques cherchent à trouver une explication homogène à l’ensemble des comportements d’automutilation. La scarification, comme les autres types blessures auto‑infligées, est alors représentée soit comme un acte « pensé », témoignant d’une tentative de manipulation, et répréhensible, soit comme un acte « impensé », témoignant d’un fonctionnement primitif ou d’un déficit psychique et nécessitant des soins. Dans les années 1960, un ensemble homogène de discours psychiatriques et psychanalytiques présentent la scarification comme le geste automutilatoire le plus fréquent et construisent une représentation typique de la « scarificatrice » : une jeune femme séduisante, célibataire, et débordée par ses pulsions. Cette représentation se construit notamment par l›exclusion des hommes qui se scarifient et par une absence de prise en compte du ressenti des psychiatres et psychanalystes confrontés aux pratiques de scarifications.

    Mots-clés

    scarification, automutilation, psychiatrie, adolescence, psychanalyse et sciences sociales

    Abstract

    For a few years now, certain bodily practices such as tattooing or piercing, formerly marked with the seal of deviancy, have benefited from greater tolerance in Western societies. On the contrary, for other practices such as skin cuts deliberate and executed by the person himself, the discourse of repression has become more pronounced, as evidenced by the inclusion in 2013 of a new pathology, entitled Non Suicidal Self Injury, in the 5th edition of the Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. This new nosographic entity is not limited to the practice of skin incisions, but explicitly cites them as the first example of a possible lesion.

    The objective of this article is then to carry out a preliminary historical analysis to better understand under which conditions scarification becomes an object of study for psychiatry and psychoanalysis. We will show precisely that before the 1960s, psychiatric and psychoanalytical discourse sought to find a homogeneous explanation for all self‑mutilating behaviour. Self‑cutting, as other types of self‑injury, is then represented either as a “thoughtful” act, testifying to an attempt at manipulation, and reprehensible, or as a “thoughtless” act, testifying to primitive functioning or a psychological deficit and requiring care. In the 1960s, a homogenous set of psychiatric and psychoanalytical discourses presented scarification as the most frequent self‑mutilatory gesture and constructed a typical representation of the “feminine cutter”: an attractive young woman, single, and overwhelmed by her impulses. This representation is constructed in particular by the exclusion of men who self‑cut themselves and by a failure to take into account the feelings of psychiatrists and psychoanalysts confronted with self‑cutting practices.

    Keywords

    self‑mutilation, self‑injury, self‑harm, psychoanalysis and social sciences, psychiatry

    Pour ouvrir

    Durant mon adolescence, je rencontre et me lie parfois d’amitié avec de nombreuses personnes s’incisant régulièrement la peau pour faire couler leur sang, ce qui laisse de fines traces blanches sur leurs avant‑bras. Je suis alors tout à la fois fasciné et sidéré devant ces marques, le récit qu’elles en font, voire les écrits où elles racontent ces incisions. Dans le même temps, je me sens dans l’incapacité absolue d’analyser les processus mis en jeu par ces relations mêlées de confiance, de soutien, d’emprise, d’exhibition et de voyeurisme. Dix ans après ces premières rencontres, dans le cadre de ma formation en psychologie – formation dont le choix n’est pas étranger à ce premier contact avec les pratiques de scarification, je décide de rédiger mes mémoires de Master 1 et de Master 2 sur ce qu’on appelle le plus souvent en France « scarification » ou « automutilation ». Je découvre que la prévalence de ce comportement est estimée à 17% dans la population adolescente (Muehlenkamp et al., 2012 ; Swannell et al., 2014)[1] et oscille entre 40% et 60% chez la population adolescente hospitalisée en psychiatrie (Glenn & Klonsky, 2013 ; Kaess et al., 2013). Mais surtout, en me plongeant dans la littérature psychiatrique (Butler, 2016 ; De Luca, 2011 ; Favazza, 1987/2011 ; Garel, 2008 ; Gicquel & Corcos, 2011 ; Neuburger, 2006; Pommereau, 2006 ; Walsh, 2005 ; Zlotnick et al., 1996) et psychanalytique (Adshead, 2010 ; Dargent, 2010 ; Douville, 2004 ; Friedman et al., 1972 ; Hawton et al., 2012 ; Haza, 2009 ; Kwawer, 1980 ; Matha, 2018 ; Motz, 2010 ; Nathan, 2004 ; Turp, 1999) qui traite de ces pratiques, je suis surpris de découvrir que mes lectures ne correspondent que faiblement à ce que j’ai pu entendre et voir lors de mon adolescence. Ce hiatus concerne notamment une représentation clinique souvent très «déficitaire» des adolescents qui se scarifient et une insistance sur l’incapacité qu’auraient ces adolescents à verbaliser leurs émotions, incapacité que je n’ai pas constatée chez les adolescents rencontrés dans ma vie privée[2]. Avec un bagage plus solide en sociologie, ce hiatus me semble maintenant peu surprenant : les adolescents ne tiennent pas le même discours dans un cadre amical que dans un cabinet de « psy » et les écrits des psychologues, psychiatres et psychanalystes que j’avais lus ne décrivaient donc pas les mêmes adolescents que ceux que j’avais rencontrés. Il n’empêche, sur le moment, cette discordance m’interroge, d’autant plus qu’un certain nombre d’auteurs prétendent décrire non pas simplement les adolescents tels qu’ils les rencontrent dans le cadre de la thérapie, mais plus largement, l’ensemble des adolescents qui se scarifient[3].

    Les études psychanalytiques et psychiatriques sur les scarifications font souvent référence aux rituels traditionnels. Je décide alors de lire ce qu’en disent d’autres disciplines, comme l’anthropologie, ou plus récemment la sociologie. Je découvre ainsi que depuis une dizaine d’années, plusieurs sociologues, principalement anglo‑saxons, s’intéressent aux scarifications et produisent une théorisation très différente de celle de la littérature psychiatrique et psychanalytique (Brossard, 2014 ; Chandler, 2016 ; Hodgson, 2004 ; Le Breton, 2003 ; McShane, 2012 ; Steggals et al., 2020 ; Taylor & Ibañez, 2015), en étudiant notamment la manière dont les scarifications modifient les interactions sociales entre les auteurs de ces pratiques et leur entourage. Mais ce qui retient surtout mon attention, c’est toute une branche des sciences humaines qui prend pour objet, non pas tant les scarifications mais plutôt les discours qui portent sur ces pratiques. Plusieurs études cinématographiques (Bareiss, 2017), féministes (Brickman, 2004 ; Shaw, 2006), historiques (Chaney, 2017 ; Gilman, 2013 ; Millard, 2015) ou sociologiques (Adler & Adler, 2011 ; Inckle, 2007 ; Steggals, 2015) se regroupent sur un point : les discours qui prennent pour objet les scarifications résultent d’une stratégie de contrôle des corps, et particulièrement du corps des femmes, dans l’objectif de renforcer le pouvoir médical et psychiatrique sur les corps.

    Dans cette perspective, les discours psychiatriques et psychanalytiques[4] ne viseraient pas à soulager la souffrance psychique des personnes qui se scarifient en favorisant la compréhension de leurs pratiques, mais tenteraient plutôt de disqualifier pour ces personnes tout pouvoir qu’elles pourraient réclamer sur leur corps, tout en les rendant seules responsables de ces pratiques, déniant ainsi à leurs actes toute dimension potentiellement politique. Pour donner un extrait synthétique des conclusions de ces analyses : « L’automutilation est [modélisée comme] un acte “infantile” et “primitif” exécuté par quelqu’un qui refuse les responsabilités et les pressions sociales liées à l’âge adulte ou qui ne peut pas s’exprimer convenablement et de manière civilisée (c’est‑à‑dire par le langage) » (Brickman, 2004, 97). Cette conclusion fait directement écho à des écrits psychiatriques et psychologiques particulièrement récents sur les scarifications, comme par exemple :

    « On apprend aux patients à parler plutôt qu’à se scarifier […]. Ils doivent comprendre que la scarification est inacceptable et qu’ils devraient respecter leurs corps. Ils doivent apprendre à gérer leurs relations de manière constructive […] et à trouver des moyens d’améliorer leur amour propre et leur image corporelle » (Walsh, 2005) Cité par (Favazza, 1987/2011, 259)[5], ou encore : « [Les adolescents qui se scarifient ont] une capacité de verbalisation plus faible que ceux qui ne se scarifient pas, […] de plus grandes difficultés à exprimer leurs émotions, [et] un déficit dans la résolution de problématiques interpersonnelles » (Nock, 2008, 163)[6]

    Que faire alors des analyses sociologiques et historiques qui produisent une théorie « sur » les discours psys plutôt qu’avec eux ? Comment me positionner, en tant que psychologue et chercheur en psychologie, face à ces discours ? Et surtout, si je garde pour objet les scarifications, comment travailler avec ces disciplines pour produire un savoir mieux informé et plus pertinent ?

    Confronté à une critique virulente d’une discipline externe, la possibilité d’un travail interdisciplinaire se heurte à deux difficultés majeures. La première, souvent négligée lorsqu’on parle d’interdisciplinarité, est d’ordre émotionnel[7]. En effet, quand un autre, inconnu, qui s’appuie sur des références et un langage différent (Missonnier, 2012), porte un regard critique sur notre « groupe » disciplinaire, comment faire pour que cet autre ne soit pas ressenti comme persécuteur, comme celui qui voudrait détruire le groupe, et dont il faudrait à tout prix se protéger. Dans le cas de la psychanalyse, on voit combien, dans un contexte où cette discipline est fortement attaquée[8], les critiques sont difficiles à entendre[9], tant elles semblent menacer son existence même. Les réactions oscillent souvent, dans leurs extrêmes, entre une contre‑attaque : « cet autre n’est pas clinicien, il ne sait pas de quoi il parle », et s’il a le malheur de s’être déjà scarifié[10], on peut alors être tenté de porter soi‑même un discours sur ces écrits, dans un schéma de type « si tu n’es pas d’accord avec ce que je dis, alors je t’analyse », schéma dont la violence et la récurrence en psychanalyse a déjà été pointé du doigt, notamment dans le cas des discours prenant pour objet l’homosexualité (Fassin, 2003). Une autre réaction extrême est de se détourner de sa discipline, de résoudre le conflit en se mettant du côté de celui qui est ressenti comme un agresseur et de tenter par tous les moyens de détruire la discipline dont on se réclamait auparavant[11] : face à un vécu de persécution, on se défend souvent en détruisant l’agresseur ou en prenant son parti.

    La deuxième difficulté est d’ordre théorique. En effet, si une discipline a un discours particulièrement critique sur une autre, comment dès lors travailler ensemble ? Si les discours cliniques visent bien à renforcer le pouvoir médical sur les corps et à annuler tout discours politique porté par les personnes se scarifiant, comment ces études cliniques pourraient‑elles alors être prises au sérieux ? Autrement dit, comment construire un discours en commun lorsqu’il semble que si une discipline a raison, l’autre a forcément tort ?

    En analysant plus précisément les textes psychiatriques et psychanalytiques et les études sociologiques qui les prennent pour objet, un point de recoupement apparaît. En effet, de nombreux psychologues, psychiatres et psychanalystes expriment leurs difficultés à supporter les comportements de scarifications[12], sans pour autant analyser ces ressentis en profondeur[13]. De leur côté, les analyses sociologiques insistent sur l’inadaptation de certaines réactions face aux scarifications, mais considèrent souvent qu’un suivi thérapeutique reste néanmoins pertinent. Autrement dit, l’ensemble de ces études, psychanalytiques, psychiatriques et sociologiques ont au moins un objectif commun (même si elles peuvent avoir d’autres objectifs divergents) : améliorer la « prise en charge »[14] de la souffrance psychique des personnes qui se scarifient ; et un constat commun : la difficulté pour les professionnels de prendre en charge ces patients et d’être confrontés à ces pratiques d’incision.

    C’est sur ce socle commun que j’ai décidé de bâtir une recherche au long cours sur les scarifications (Cascarino, 2020). Plus précisément, cette recherche a été vectorisée par trois questions principales : Comment expliquer un tel écart dans la théorisation de ces pratiques entre les discours psychiatriques et psychanalytiques d’une part et les discours sociologiques d’autre part ? Comment expliquer la puissance des ressentis et des réactions provoquées par les scarifications ? Et surtout comment ce ressenti, la façon dont l’interlocuteur théorise les scarifications et sa réaction face à ces pratiques s’articulent‑ils ensemble ?

    Dans le cadre de ce court article, nous[15] n’aurons malheureusement pas le temps de répondre à toutes ces questions. Nous nous contenterons donc d’un travail préliminaire mais nécessaire pour mieux comprendre comment la pratique des scarifications est actuellement décrite dans la littérature psychiatrique et psychanalytique : une analyse historique de l’apparition d’un discours homogène sur la pratique des scarifications. Nous ne cherchons donc pas à produire dans cet article une vérité générale et absolue sur les scarifications. Notre objet d’étude n’est d’ailleurs pas la pratique des scarifications, mais plutôt la naissance de la catégorie nosographique des scarifications dans les écrits psychiatriques et psychanalytiques. Nous n’analyserons donc pas les propos de personnes qui se scarifient mais ceux des cliniciens qui commencent à produire un discours scientifique sur ces pratiques. Par ailleurs, nous n’aurons pas non plus le temps de faire une analyse des écrits psychiatriques et psychanalytiques contemporains. Cette analyse a été effectuée dans la recherche précédemment mentionnée, à travers l’étude de 70 articles parmi les plus visibles et les plus cités actuellement dans la littérature psychiatrique et psychanalytique, en s’appuyant sur des bases de données en ligne telles que Psychoanalytic Electronic Publishing, Cairn ou encore PubMedline. Nous renvoyons donc notre lecteur à cette recherche pour une revue de la littérature contemporaine sur les scarifications.

    Avant de poursuivre notre réflexion, précisons notre choix terminologique, et ce que nous appellerons dans cet article « scarification ». Car autour des termes de « scarification » et d’« automutilation »[16] majoritairement utilisés dans la littérature psychiatrique et psychopathologique française pour décrire ces incisions délibérées, directes et superficielles, gravite une multitude d’autres termes : « effraction cutanée », « entame corporelle », « auto‑agression », « blessure auto‑infligée », « entaille », « incision », « lésion cutanée auto‑infligée ». Il faut ajouter à cela la terminologie anglaise où l’on retrouve majoritairement les mots self‑harm[17], self‑mutilation, self‑injury et plus récemment non‑suicidal self‑injury[18] mais aussi d’autres termes comme delicate self‑cutting, wrist‑slashing, self‑cutting, DSH (deliberate self‑harm), SIB (self‑injurious behaviour)…[19] En regardant cette multitude de termes de plus près, on peut noter que certains d’entre eux semblent décrire l’acte (scarification, du latin scarificare, signifiant « inciser »[20], entaille, incision, self‑cutting)[21], d’autres, l’intention liée à l’acte (auto‑agression, lésion auto‑infligée[22], self‑injury, self‑harm), tandis que la polysémie du nom « automutilation » (ou self‑mutilation), du latin mutilare (mutiler, retrancher, couper, diminuer, amoindrir), rapproche les actes d’entailles de ceux plus radicaux de coupures irréversibles de membres du corps. Ces réflexions lexicales participent de la définition de l’objet étudié. En effet, choisir un mot qui décrit l’acte laisse la possibilité à l’observateur de comparer des entailles privées et solitaires à des performances publiques qui revendiquent une forme artistique et un sens tentant d’être partagés, ou encore à des rituels de passage qui se rapportent à une cosmogonie spécifique pour une époque et une communauté donnée. À l’inverse, un lexique qui s’attache à l’intention met l’accent sur la réalité psychique du sujet plutôt que sur l’acte en lui‑même. Dans la recherche actuelle, la frontière entre ces champs lexicaux s’avère particulièrement poreuse : une recherche sur les scarifications peut ainsi très bien s’appuyer sur des travaux précédents portant sur les automutilations ou les lésions auto‑infligées. Comme le déclare explicitement Aviva Laye‑Ginghu : « les conceptualisations et les classifications (le “quoi”) de l’automutilation [self‑harm] ont varié d’une étude à l’autre. En effet, il n’y a pas eu de consensus sur ce qu’est ou n’est pas l’automutilation » (2005, 447). Le point commun de ces différentes pratiques semble ainsi se situer, non dans une similitude de pratique mais plutôt, selon les auteurs, dans une similitude du sens que prennent les scarifications pour les auteurs de ces pratiques (perspective psychiatrique ou psychanalytique), dans le trouble que produisent ces pratiques chez l’interlocuteur (perspective sociologique), ou encore dans ce qui émerge de la rencontre entre une personne qui se scarifie et un supposé soignant (perspective de ma recherche dont cet article est extrait).

    Dans le cadre de cet article, nous utiliserons principalement le mot « scarification » car c’est celui qui est le plus utilisé par les professionnels du soin en France et donc par la majorité des participants de notre enquête de terrain. Pour les documents en anglais, je traduirai le plus souvent les termes de self‑mutilation, de self‑injury et de self‑harm par « scarification ». En effet, si les termes self‑harm, self‑injury et self‑mutilation recouvrent des pratiques parfois très éloignées des auto‑coupures cutanées superficielles, les cliniciens affirment souvent que « l’entaille corporelle [cutting] est la forme la plus commune d’automutilation [self‑injury] » (Royal College of Psychiatrists, 2010, 21), que « la forme la plus commune d’automutilation [self‑mutilation] est la scarification [self‑cutting] » (Suyemoto, 1998, 532) ou encore qu’« il est bien connu que l’automutilation [self‑harm], en particulier les coupures [cutting], est courante dans certains milieux institutionnels surpeuplés » (Gardner, 2001, 137).

    Avant les années 1960 : des tentatives de trouver une explication homogène a des pratiques hétérogènes d’automutilation

    Avant l’apparition de la catégorie nosographique des scarifications en tant que telle, plusieurs psychiatres et plusieurs psychanalystes étudient plus généralement l’ensemble des pratiques selon lesquelles des individus abiment volontairement leur enveloppe corporelle. Ces pratiques sont appelées le plus souvent « automutilation ». Avant d’étudier l’apparition d’un discours homogène sur les pratiques de scarifications, il nous semble important de nous pencher sur l’étude des « automutilations » car ces dernières ont laissé leurs marques sur l’apparition de la catégorie nosographiques des scarifications (comme l’attestent notamment la survivance des termes « automutilation » ou « self‑mutilation » pour parler des pratiques de scarifications).

    En France, le premier psychiatre à s’intéresser précisément aux blessures auto‑infligées est Joseph Guislain en 1852. Il décrit alors de nombreux comportements où des personnes enfermées en hôpital psychiatrique se frappent elles‑mêmes. Il appelle ces comportements les « folies mutilantes », où des « aliénés […] dirigent contre eux‑mêmes le besoin irrésistible de mutiler des êtres vivants » (Guislain, 1852, 231)[23]. Il écrit une dizaine de pages sur ce phénomène mais ne développe pas une étude de l’automutilation en tant que telle. Léopold Galais poursuite ces études en s’intéressant en 1876 à l’absence de sensibilité des « aliénés » qui « s’automutilent » (Galais, 1867). Parallèlement à ces études des automutilations dans les asiles se développent aussi des études des automutilations dans le corps militaire. Ainsi, la loi du 21‑23 mars 1832, remaniée de nombreuses fois mais toujours en vigueur dans le code de la justice militaire (Code de justice militaire, Livre III, Titre II, Chapitre 1er, Section IV : De la mutilation volontaire, Article L321‑22.)[24], sanctionne la « mutilation volontaire » afin de se « soustraire à ses obligations militaires » (Duvergier, 1833). L’automutilation est ainsi considérée comme une simple stratégie permettant d’échapper aux lois institutionnelles. Répertoriée et considérée comme simulation selon le rapport d’Edmond Boisseau en 1869 (Boisseau, 1869), elle fait l’objet d’une répression croissante.

    En 1905, Charles Blondel, philosophe, psychologue et médecin, effectue une monographie en prenant les automutilations comme sujet principal. Il liste différents types d’automutilation selon les parties du corps concernées, s’intéressant principalement aux automutilations « réelles », et mentionne, dans un cas isolé des « écorchures si profondes qu’elles entamaient le tissu cellulaire sous‑cutané » (Blondel, 1905, 50). Son étude rassemble des considérations sur l’ensemble des automutilations « individuelles », qu’elles soient effectuées par des militaires ou non. Dans son introduction, il déclare sans argument particulier que « l’auto‑mutilation volontaire est une réaction manifestement anormale » (Blondel, 1905, 3) et qu’il ne s’est donc « même pas posé la question de savoir si les auto‑mutilateurs étaient ou non des aliénés » Blondel, 1905, 3). Il ajoute néanmoins ensuite que si un acte d’automutilation est isolé, il ne faut alors pas en conclure trop vite à un trouble mental sévère. Plus loin, il précise sa pensée en écrivant que l’automutilation est toujours « la conséquence d’un état psychopathologique » (Blondel, 1905, 130), même si elle n’est « jamais pathognomonique d’aucune affection » (Blondel, 1905, 130). Le dernier chapitre de sa thèse, consacré à l’automutilation militaire, insiste sur la nécessité d’établir un diagnostic psychiatrique des conscrits qui se mutilent, ces derniers étant alors décrits ou bien comme des criminels, devant passer devant le tribunal militaire pour aller ensuite en prison, ou bien comme des aliénés, irresponsables[25], relevant de la psychiatrie et de l’asile. Le rôle du psychiatre qui étudie les automutilations est alors d’établir, pour chaque cas, s’il s’agit d’un acte « pensé », témoignant d’une tentative de manipulation, et répréhensible, ou d’un acte « impensé », témoignant d’une souffrance et d’un déficit psychique et nécessitant des soins[26]. Ce classement des gestes automutilatoires en deux catégories exclusives est encore très présent dans certaines représentations contemporaines des automutilations, notamment en prison (Groves, 2004 ; Short et al., 2019, auteur et Votadoro, à paraitre), mais aussi dans une moindre mesure dans l’hôpital psychiatrique (Butler, 2016 ; Goffinet, 2011). Une différenciation similaire se retrouve par ailleurs dans les représentations contemporaines des scarifications, Peter Steggals identifiant ainsi, à partir de l’analyse d’une partie de la littérature psychiatrique sur les scarifications, une dichotomie entre représentation de la coupure cutanée comme un acte « authentique », spontané et solitaire ou un acte prémédité, inauthentique et adressé (2020).

    La thèse de Marie‑Michel‑Edmond‑Joseph Lorthiois, publiée en 1909, se concentre sur une cinquantaine d’observations inédites d’automutilations effectuées par des aliénés dans un asile. Elle fait suite à une thèse plus courte publiée par Gustave David en 1899 qui se concentrait aussi sur les cas d’automutilations dans les asiles (David, 1899). Pour expliquer le peu de publicité donné à ces automutilations auparavant, Albert Le Blond propose, dans le bulletin de médecine légale de 1892, que les soignants choisissaient peut‑être de ne pas communiquer ces gestes aux familles de peur d’être accusés de maltraitance : « Quand une famille aperçoit sur son malade la moindre trace de violence, elle ne manque pas d’accuser les infirmiers » (Le Blond, 1892, 538)[27].

    Lorthiois déclare au début de sa thèse que « bien souvent, il n’est pas possible de préciser si la mutilation est volontaire ou non » (Lorthiois, 1909, 11). Néanmoins, en conclusion de sa thèse, il établit clairement un lien entre automutilation et simulation : « L’automutilation, loin d’être accomplie comme le suicide dans le but de se nuire, est au contraire bien souvent effectuée dans une intention intéressée et se trouve être, par le fait, l’œuvre de simulateurs » (Lorthiois, 1909, 241). Il est intéressant de remarquer que si les automutilations décrites dans le code de la justice militaire se rapportent à des modifications corporelles suffisamment sévères pour rendre la personne « impropre au service » (Code de justice militaire, Livre III, Titre II, Chapitre 1er, Section IV : De la mutilation volontaire, Article L321‑22), Lorthiois donne de son côté une définition bien plus large des automutilations :

    « L’automutilation comprend toutes les pratiques entraînant des lésions des tissus ou des organes ; on peut la définir comme une atteinte portée à l’intégrité du corps ; elle peut consister soit dans la blessure ou l’ablation totale ou partielle d’un organe ou d’un membre, du revêtement cutané ou de ses annexes ; soit, enfin, dans des manœuvres (combustion, striction, introduction de corps étrangers) pouvant compromettre sa vitalité et son bon fonctionnement sans que cependant elle ait été accomplie dans le but de se donner la mort. » (Lorthiois, 1909, 11)

    Cette définition élargie des automutilations est souvent reprise dans la littérature actuelle qui se concentre plutôt sur les cas d’incisions cutanées (Druel, 2015 ; Gicquel & Corcos, 2011, 42) et a favorisé l’utilisation du mot « automutilation » pour parler des scarifications. Or, comme nous l’avons vu, ce terme d’« automutilation », que ce soit dans le code de justice militaire, dans le rapport d’Edmond Boisseau ou dans la conclusion de la thèse de Lorthiois, est lié à la notion de « simulation », en tant que comportement effectuée dans une intention intéressée pour influer sur l’environnement externe. L’origine historique de ce mot peut alors expliquer en partie la description actuelle, par certains auteurs, des scarifications comme une tentative de « chantage émotionnel » (Kwawer, 1980, 207). Plusieurs auteurs dont les écrits sont encore très visibles et cités dans les bases de données telles que PubMedline ou Psychoanalytic Electronic Publishing, décrivent ainsi des patients qui « ordonnent aux soignants de se plier à leur volonté » (Miller & Bashkin, 1974, 642), qui incluent les thérapeutes dans « des scénarii d’agression et d’emprise » (Louppe, 2001, 465), qui les traitent « comme des objets partiels qui ne sont là que pour satisfaire leurs caprices et leurs attentes bizarres » (Turp, 1999, 313). Ces représentations semblent suffisamment répandues pour que d’autres auteurs (Gratz, 2003 ; Klonsky, 2007; Laye‑Gindhu & Schonert‑Reichl, 2005; Rasmussen et al., 2016) prennent le temps de les mentionner et d’affirmer leur désaccord : « [Nos] résultats contrastent fortement avec l’opinion souvent exprimée par les professionnels, qui perçoivent l’automutilation des adolescents comme étant motivée par la volonté de manipuler les autres » (Rasmussen et al., 2016, 180).

    Concernant la période de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, nous nous limiterons ici à l’analyse des discours psychiatriques en France. Pour une analyse de l’évolution de ce terme en Angleterre durant l’époque victorienne, nous renvoyons aux travaux de Sarah Chaney (Chaney, 2017) et de Sander Gilman (Gilman, 2013). Leurs analyses montrent notamment qu’en Angleterre, la notion d’automutilation est associée de façon beaucoup plus forte à la notion de folie [insanity]. Cette association est manifeste à propos du cas d’un fermier du Staffordshire vu en 1879 par un médecin pour une profonde coupure au niveau des testicules. Le fermier avait alors affirmé avoir été attaqué par deux hommes, condamnés en conséquence à dix ans de prison, malgré leurs dénégations. En 1881, après avoir été soigné pour une autre blessure du même type, ce même fermier signe sur son lit de mort une confession où il déclare que les deux hommes sont innocents et qu’il s’est infligé ses blessures lui‑même. Son acte aurait alors facilement pu être interprété comme une tentative de manipulation visant à faire condamner deux hommes innocents. Néanmoins cette possibilité n’est jamais évoquée et un article du Lancet de 1882 déclare : « Il ne peut y avoir le moindre doute dans l’esprit de quiconque […] que ce cas était une affaire d’automutilation pour cause de folie » (Editorial, 1882, 73). Cet extrait spécifique correspond suffisamment aux représentations de l’époque pour être repris tel quel par de nombreux journaux, dont The Times (Warrington, 1882).

    Ces tentatives répétées de trouver des explications homogènes à l’ensemble des pratiques d’automutilation, indépendamment de leur degré de gravité, de l’outil utilisé, de la position de l’observateur et de l’observé ou encore du contexte de la pratique, se retrouve dans un ouvrage de référence majeur concernant les automutilations : Man Against Himself, publié en 1938 (Menninger, 1938) et encore souvent cité dans les discours contemporains sur les scarifications. Dans son travail sur l’automutilation, Karl Menninger se concentre sur des formes très hétérogènes de l’automutilation, utilisant ce mot dans un sens proche de celui proposé par Lorthiois en 1909. S’appuyant principalement sur la deuxième théorie des pulsions développée par Freud[28], Menninger analyse l’automutilation comme le résultat d’un compromis entre des pulsions de destruction, initialement dirigées vers l’extérieur, mais qui se retournent contre l’individu, et des pulsions de vies qui permettent de localiser la satisfaction des pulsions de destruction seulement sur une partie du corps. En ce sens, l’automutilation protégerait du suicide en sacrifiant une partie pour sauver le tout, aboutissant à « une victoire à la Pyrrhus de la pulsion de vie sur la pulsion de mort » (Menninger, 1935, 466). Menninger ne s’intéressant que peu à la scarification, nous ne ferons pas une analyse détaillée de son livre, mais notons tout de même un dernier point. Dans son livre, Menninger cherche à élaborer une théorie qui permet d’expliquer l’ensemble des pratiques d’automutilation. Cet objectif l’amène à amalgamer les automutilations effectuées dans des « tribus primitives » (Menninger, 1935, 435) et celles effectuées par des psychotiques et des névrosés qui « révèlent des sentiments primitifs, malgré eux mais au profit d’une meilleure compréhension [de ces sentiments] » (Menninger, 1935, 461). Nous reviendrons plus loin sur cette présentation de l’automutilation comme pratique « primitive ».

    Avant l’apparition d’un discours homogène sur les scarifications dans les années 1960, un premier article psychanalytique, moins connu, présente déjà une forme de scarification proche de celles qu’on retrouve dans les discours contemporains. Cet article, écrit par Louville Emerson en 1913 (Emerson, 1913), s’intitule : « The Case of Miss A: A Preliminary Report of a Psychoanalytic Study and Treatment of a Case of Self‑Mutilation ». Louville Emerson obtient un doctorat en psychologie à Harvard en 1909. N’étant pas médecin, il bénéfice néanmoins de l’aide de Jackson Putnam, professeur de neurologie à Harvard et fondateur de l’Association Psychanalytique Américaine en 1911, pour obtenir un poste au Boston Psychopathic Hospital. C’est là qu’il rencontre Honora Downey, qu’il rebaptise Miss A. dans son article (Chaney, 2017). Lors de la rédaction de l’article, il la suit depuis quatorze mois. Cet article est particulièrement intéressant car c’est le premier qui étudie une pratique de scarification proche des formes étudiées actuellement. On y trouve par ailleurs de manière amplifiée un certain nombre d’éléments et de théories que l’on retrouve dans une grande partie de la littérature postérieure à Emerson[29].

    L’article d’Emerson se distingue fortement des études antérieures de cas d’automutilation pour deux raisons principales. D’une part, l’auteur écrit dès le début de l’introduction, en italique : « cette patiente n’était pas folle » (Emerson, 1913, 41). D’autre part, les « automutilations » que présente la patiente consistent en une trentaine de coupures répétées et superficielles localisées principalement sur le bras : les « automutilations » décrites dans ce cas ressemblent très fortement aux scarifications contemporaines. Miss A. est une femme de 23 ans, hospitalisée pour ces entailles corporelles dans le service psychiatrique de Boston. Emerson décrit la patiente comme « entièrement coopérative et présentant une capacité de jugement excellente » (Emerson, 1913, 42). Dans l’anamnèse de la patiente, Emerson explique qu’elle a souvent été battue par son père puis abusée sexuellement par son oncle entre ses 8 ans et ses 14 ans. À 19 ans, elle se coupe par inadvertance avec un couteau alors qu’elle essaye d’échapper à une agression de la part de son cousin. Elle explique alors que la coupure lui permet de faire disparaître des migraines dont elle souffre régulièrement. Sur la demande d’Emerson, elle écrit une lettre à propos de ses coupures.

    La lettre de cinq pages est reproduite, d’après Emerson, dans son intégralité. Cette lettre décrit de nombreux épisodes de scarification, en détaillant les raisons de ces scarifications mais aussi les réactions de l’entourage qui y est confronté, et la manière dont ces réactions influent sur son désir de se scarifier. Ce qui nous intéresse ici n’est néanmoins pas le discours de la patiente mais celui qu’Emerson produit sur cette patiente. Emerson commence l’analyse de la lettre en comparant les réactions de Miss A. à celui d’une « hystérique » (Emerson, 1913, 49). Emerson évoque explicitement deux points pour justifier cette comparaison : « l’incapacité à supporter la détresse psychique » (Emerson, 1913, 49) et une rêverie diurne et nocturne continue qui se concentre sur « les bébés, les maisons et les maris » (Emerson, 1913, 49). Plus loin, il explique que « l’appétit sexuel de la patiente était anormalement développé par une masturbation passive précoce » (Emerson, 1913, 50). Par « masturbation passive », il entend la masturbation forcée dont la patiente a été victime enfant, par son oncle. Il cite alors Freud et notamment le chapitre sur « l’étiologie spécifique de l’hystérie » (Freud, 1896/1973), écrit en 1896 et traduit en anglais en 1912 par Brill. Dans ce chapitre, Freud développe la théorie de la neurotica qu’il avait avancée en 1895 avec Breuer (Freud & Breuer, 1895/2002), selon laquelle toutes les personnes hystériques ont subi une agression sexuelle durant leur enfance. Dans cet article, Freud rappelle que la « passivité sexuelle en des temps présexuels » (Freud, 1896/1973, 62) est une condition spécifique de l’hystérie. Il développe ensuite sa théorie en expliquant que le développement de la puberté ravive les traces mnésiques du traumatisme infantile et que la maturation de l’appareil génital chez les personnes hystériques provoque alors une très forte excitation somatique (Freud, 1896/1973, 62) (ce qu’Emerson appelle « l’appétit sexuel »). Si Freud abandonne sa théorie de la neurotica un an plus tard, en 1897, dans une lettre à Fliess (Freud, 1887‑1904/2015), Emerson la reprend totalement à son compte pour l’appliquer à l’automutilation en identifiant « le trauma psychosexuel de l’enfance » comme la « condition indispensable » (Emerson, 1913, 50) de l’automutilation de sa patiente. À partir de ce lien avec l’hystérie, Emerson propose assez logiquement de considérer la scarification comme un « substitut symbolique de la masturbation » (Emerson, 1913, 51), où le symptôme de scarification, en tant que formation de compromis permet à la patiente de satisfaire ses désirs sexuels tout en se punissant de ces derniers. Il rejoint les développements de Freud sur l’hystérie, lorsque ce dernier déclare, à partir de l’analyse du cas Dora que « les manifestations de la maladie sont, pour le dire sans ambages, l’activité sexuelle des malades » (Freud, 1901/1997, 90). Selon Emerson le choix de ce symptôme est favorisé par le trauma sexuel de l’enfance qui a établi un lien entre excitation sexuelle et douleur. Enfin, Emerson insiste aussi sur la double identification que permet le symptôme. Selon lui, Miss A s’identifie à la fois à son père et à son oncle, en tant qu’agresseurs actifs, mais aussi à sa mère et à elle‑même enfant en tant que victimes passives. Cette double identification favorise et est renforcée par la satisfaction des pulsions sadiques et masochistes.

    Dans ce texte, Emerson convoque donc une théorisation de l’hystérie que Freud a alors déjà remaniée. Il présente le traumatisme sexuel comme la raison principale de la scarification. Ce traumatisme impacte les capacités de la patiente à supporter la détresse psychique, notamment à cause d’une surexcitation sexuelle causée par la réminiscence du trauma sexuel de l’enfance. Les scarifications lui permettent alors de satisfaire ses pulsions sexuelles, sadiques et masochistes et de diminuer temporairement sa détresse psychique. En filigrane du déroulé de l’article, on devine aussi une vision très normative du rôle de la femme, probablement proche des représentations de l’époque. Emerson rapporte ainsi que Miss A avait eu une première relation avec un homme avec qui elle ne s’était pas mariée puis une deuxième relation avec un autre homme, avec qui elle désirait se marier et à qui elle avait raconté avoir eu une première histoire. Emerson écrit alors « De manière naturelle, il [ce deuxième homme] a alors refusé de se marier avec elle et l’a traitée de putain » (Emerson, 1913, 44). Juste après cet épisode, Miss A s’isole dans sa chambre et se scarifie. Il explique ensuite que la patiente se scarifie en partie pour avoir un cycle de menstrues plus régulier et fonctionner ainsi « comme les autres filles » (Emerson, 1913, 52). Enfin, à la fin de l’article, il explique que les troubles de la patiente n’étaient pas le résultat de relations sexuelles non satisfaisantes. Emerson s’oppose fortement à une vision de l’hystérie comme simple résultat d’une insatisfaction sexuelle et précise que « conseiller à la patiente d’avoir des relations sexuelles ou de se masturber » (54) aurait eu des résultats catastrophiques. Néanmoins, il justifie cette opposition en expliquant que la patiente avait déjà suffisamment sublimé ses désirs sexuels pour savoir que « ce qu’elle voulait vraiment était des enfants et non simplement l’acte sexuel » (Emerson, 1913, 54). On voit ici comment, dans un cadre sociohistorique donné, le symptôme de scarification se trouve, implicitement relié à la non satisfaction de ce qu’une femme est, selon Emerson, censée désirer : un mari et un bébé.

    Pour conclure notre analyse de cet article, Emerson ne parle pas de ses sentiments, et n’aborde pas la question du transfert dans la thérapie[30], tout en insistant beaucoup sur la relation de Miss A. avec les hommes[31]. Plus précisément, il insiste sur l’incapacité de la patiente à analyser elle‑même sa problématique (ce que semble plutôt démentir la lettre qu’il reproduit) et se positionne lui‑même en sujet sachant : « Ces forces complexes n’étaient bien sûr pas clairement reconnues [par la patiente]. C’était le travail de la psychanalyse […] d’analyser ces forces complexes et de les présenter à la conscience » (Emerson, 1913, 53).

    Dans les années 1960 : la construction de la scarification comme geste automutilatrice typique

    Poursuivons maintenant notre courte analyse historique pour arriver jusque dans les années 1960 aux Etats‑Unis où, après une période de silence, sont publiés en quelques années de nombreux textes sur les scarifications, textes qui sont encore largement cités dans les publications récentes (Millard, 2013). En 1960, un premier article sur une épidémie de scarification au sein d’un hôpital psychiatrique est publié par Offer et Barglow (Offer & Barglow, 1960). Puis, en 1967, cinq courts articles sont publiés simultanément et se concentrent principalement sur la scarification, appelée alors « wrist‑cutting » ou « wrist‑slashing » (Crabtree, 1967 ; Goldwyn et al., 1967 ; Graff, 1967 ; Graff & Mallin, 1967 ; Grunebaum & Klerman, 1967). La même année, un symposium est organisé au Chestnut Lodge, petit hôpital psychiatrique du Maryland, aux Etats‑Unis, et institution psychiatrique et psychanalytique très reconnue à l’époque (Millard, 2013). Ce symposium est intitulé « Impulsive Self Mutilation » et réunit quatre participants dont les textes sont publiés deux ans après, dans le British Journal of Medical Psychology (Burnham, 1969 ; Kafka, 1969 ; Pao, 1969 ; Podvoll, 1969). Tous les auteurs sont des psychiatres qui appuient leurs réflexions en majeure partie sur des théories psychanalytiques.

    Tout d’abord, pour la première fois, la scarification en tant que coupure superficielle cutanée sans intention suicidaire est présentée dans tous ces articles comme l’acte d’automutilation le plus fréquent. Comme nous l’avons vu, à l’exception du texte d’Emerson, les écrits précédents qui parlent d’automutilation ne considèrent pas l’auto‑incision superficielle et répétée comme une pratique qui mérite un traitement particulier. Menninger évoque ainsi le cas d’un homme qui se scarifie régulièrement et qui se frappe avec des clés à molette, ou encore celui d’une femme qui se mutile consciemment le bras en le plaçant sur une voie de chemin de fer, sans considérer un type de mutilation plus « typique » qu’un autre. Même Emerson, lorsqu’il décrit le cas de Miss A. ne présente pas ce cas comme paradigmatique d’autres cas d’automutilations. Or, dans ce corpus de textes, le terme d’automutilation est maintenant réduit au seul geste de scarification, déclarant que « la coupure est la forme préférée d’automutilation » (Podvoll, 1969, 213), parlant de cutters pour décrire les personnes qui « s’automutilent » (Offer & Barglow, 1960, 108), ou encore déclarant que la scarification est la « forme proéminente et préférée de la décharge impulsive » (Goldwyn et al., 1967, 583). Lorsqu’ils décrivent les symptômes de leurs patients, les auteurs mentionnent d’autres formes d’automutilation mais prennent la scarification comme objet principal de leur étude : « en plus de l’auto‑incision délicate [delicate self‑cutting], chaque scarificateur [cutteur] présentait d’autres symptômes » (Pao, 1969, 196) ou encore : « ma patiente était capable de décrire l’expérience subjective de ses scarifications de temps en temps. Il s’agissait d’une femme dotée d’une intelligence supérieure et d’une symptomatologie importante, qui se coupait, se brûlait, se frappait, s’abrasait et s’ébouillantait » (Burnham, 1969, 225). Cette dernière citation illustre bien comment le psychiatre constate une multiplicité de formes d’automutilation mais parle uniquement des scarifications de sa patiente.

    Par ailleurs, les textes construisent une « figure typique » des patients qui se scarifient : ce sont des « femmes jeunes, séduisantes, intelligentes, parfois même talentueuses, socialement adaptées à la surface […]. Elles apparaissent « normales » sauf lorsqu’elles sont périodiquement submergées par des tensions émotionnelles internes » (Grunebaum & Klerman, 1967, 527‑528). Ou encore : « la scarificatrice [cutter] typique est une jeune femme séduisante de 23 ans, généralement assez intelligente » (Graff & Mallin, 1967, 37)[32]. En présentant les textes publiés à la suite du symposium de Chestnut Lodge, Burnham souligne qu’« une particularité épidémiologique intéressante de ce syndrome est qu’il apparait de façon prédominante chez les jeunes femmes attirantes » (Burnham, 1969, 223). Cette figure typique se construit notamment par l’exclusion ou la transformation des cas qui divergent de cette forme particulière. Spécifiquement, l’échantillon de Graff et Mallin se compose originellement de 21 femmes et un homme mais « l’homme, un dentiste âgé de 56 ans, a été exclu de l’étude car nous pressentions qu’il était atypique » (Graff & Mallin, 1967, 36). Ping‑Nie Pao exclut aussi une partie des hommes de son étude en les qualifiant de « scarificateurs sévères [coarse cutters] », par opposition aux « scarificateurs délicats [delicate cutters] », groupe principalement composé de femmes. Pour consolider la figure « typique » de la scarificatrice, Pao précise en sus que les quatre hommes qui restent dans le groupe des « scarificateurs délicats » sont des hommes « efféminés » (Pao, 1969, 197).

    Ce corpus de textes qui émerge dans les années 1960 aux Etats‑Unis et en Angleterre fait donc apparaître un geste automutilatoire typique : la scarification, ainsi qu’une figure typique de la personne qui se scarifie : une jeune femme séduisante, intelligente mais débordée par ses émotions. Cette description peut rappeler une certaine représentation de l’hystérie. Plusieurs sociologues et historiens (Brickman, 2004 ; Steggals, 2015 ; Chaney, 2017) ont ainsi avancé l’idée qu’une certaine figure hystérique « hante l’ensemble du discours sur la scarification » (Steggals, 2015, 229). Dans le cas de notre corpus de texte, les premiers discours psychanalytiques flirtent avec cette notion sans l’épouser totalement, ce qui ne nous permet pas d’en déduire un lien direct entre la représentation de la femme hystérique et celle de la femme automutilatrice. Louville Emerson doute ainsi que sa patiente soit « purement hystérique » (Emerson, 1913, 49) tout en décrivant l’acte de coupure comme une formation de compromis permettant à la patiente de satisfaire ses pulsions sexuelles tout en se punissant de ces dernières, description qui se rapproche fortement de celle d’un « symptôme hystérique »[33]. Karl Menninger poursuit cette réflexion en expliquant que les parties du corps automutilées sont des « substituts des organes génitaux » et l’attaque de ces parties satisfont ainsi des « désirs érotiques et agressifs » (Menniner, 1935, 464), processus que l’on « voit le mieux dans l’hystérie » (Menniner, 1935, 442) mais qui ne se limite pas à cette dernière.

    Concernant le lien entre féminité et scarification, Barbara Brickman (2004) remarque par ailleurs et en s’appuyant sur un corpus similaire, que les mères sont décrites de manière particulièrement virulente à une période qui coïncide avec la montée d’une forte contestation politique des rôles masculins et féminins. Elle cite notamment Harold Graff et Richard Mallin décrivant les mères comme « excessivement froides, obsessionnelles, harcelantes [nagging], perfectionnistes et dominant leurs maris » (1967, 38) ou encore Ping‑Nie Pao mettant en garde contre les dangers d’un « manque de soins maternels durant l’enfance » avant d’évoquer une mère qui « était plus performante dans le monde professionnel que dans son rôle de mère » (1969, 196). La construction d’une figure typique de « la scarificatrice » dans les années 1960 s’articule, selon Brickman, avec la tentative d’étouffer l’émergence d’un discours politique féministe en le rendant responsable de pratiques décrites comme pathologiques. Le documentaire A world of Pain diffusée en 2009 sur la BBC, dans lequel le féminisme des années 1970 et la volonté des femmes de « tout avoir » sont désignés comme la cause majeure de l’augmentation actuelle de la prévalence des scarifications (Syal, 2009), montre que cette représentation causaliste a laissé des traces.

    Les scarifications sont décrites comme un problème « féminin » (Graff et Malin, 1967, 37) qui résulterait en partie du refus des femmes à adopter le rôle qui leur est assigné par la société. Graff et Malin précisent ainsi dans leur article que « les trois quarts des patientes n’étaient pas mariées alors que la majorité d’entre elles étaient en âge de l’être » (1967, 37), indiquant implicitement l’absence de mariage comme une caractéristique suffisamment pertinente pour être mentionnée, et rejoignant alors l’hypothèse d’Emerson selon qui l’absence de mari et de bébé seraient un élément d’explication des scarifications de sa patiente.

    Ajoutons un dernier point : une grande partie de ces textes introduisent leurs propos en insistant sur la difficulté des institutions et des infirmiers à réagir face à cette pratique. Offer et Barglow décrivent « la réaction initiale du personnel hospitalier » en ces termes : « fragmentée et diffuse, avec une confusion généralisée, de la culpabilité, des discussions animées et des ruptures de communication, ce qui a entraîné un environnement non thérapeutique » (Offer & Barglow, 1960, 102). Graff évoque dès la deuxième phrase de son article l’« effet drastique sur le personnel hospitalier » (Graff, 1967, 61) des pratiques de scarifications des patients. Podvoll va plus loin et suggère que les patients choisissent justement la scarification comme forme d’automutilation dans le but de perturber au maximum le personnel hospitalier : « Bien que le potentiel autodestructeur de ces patients s’étende souvent aux brûlures, aux morsures, à l’ingestion de produits toxiques et à l’arrêt de se nourrir [starvation], ils reviennent généralement à la scarification comme forme de mutilation préférée car elle semble être la plus difficile à gérer pour le personnel » (Podvoll, 1969, 213). En dehors de cette constatation, aucun de ces articles ne cherche pourtant à analyser les raisons de ce malaise chez le personnel hospitalier, et les auteurs de l’article n’évoquent pas leurs propres sentiments face à ces pratiques.

    À partir de ce constat, j’ai effectué une enquête de terrain (auteur, 2020) pendant 9 mois dans une unité d’hospitalisation longue dans un service de psychiatrie pour adolescents afin de mieux comprendre les ressentis et les réactions des parents et des soignants confrontés aux scarifications d’adolescents dans une unité d’hospitalisation psychiatrique. Durant ces 9 mois, en sus de mes observations de terrain, j’ai eu la chance de pouvoir effectuer des entretiens avec 22 soignants, 7 parents et 7 patients, entretiens que j’ai, avec leur accord, enregistrés, retranscrits puis analysés en m’appuyant sur la méthodologie de la théorie ancrée, développée par les sociologues Glaser et Strauss dans les années 1960 (Glaser & Strauss, 1967/2010).

    Un des résultats de cette recherche qualitative concerne la question de l’intentionnalité et de l’adresse des adolescents qui se scarifient. En effet, les soignants et les parents établissent souvent une différence entre les adolescents qui se scarifient parce que « c’est plus fort qu’eux » et ceux qui le font pour susciter une réaction. Comme le dit un parent en entretien : « elle nous dit je veux plus le faire et puis à chaque fois ça recommence quoi donc c’est plus fort qu’elle en fait… … ou c’est plus fort qu’elle ou c’est calculé ».

    Néanmoins, cette focale sur le désir du patient occulte bien souvent celui des soignants, alors que différents entretiens m’ont montré que la représentation de l’intentionnalité de l’adolescent dépend du ressenti de son interlocuteur et que chaque interlocuteur privilégie une hypothèse d’intentionnalité en fonction de ce qui est le moins difficile à supporter pour elle ou lui. On peut ainsi identifier deux dyades opposées : d’une part considérer que le patient ne peut pas s’empêcher de se scarifier/se sentir soi‑même impuissant face aux blessures auto‑infligées, une soignante affirmant : « Comme c’est une addiction ben en fait on se sent encore une fois, enfin moi je me sens encore une fois impuissante », et d’autre part considérer que les scarifications sont une adresse directe aux soignants/se sentir agacé ou culpabilisé : une soignante disant ainsi « J’suis un peu agacée, je l’avoue … parce que je me dis mais c’est, c’est démonstratif et c’est très adressé… contre les soignants », la supposition de l’adresse permettant alors de justifier une certaine agressivité de la part des soignants, agressivité généralement prohibée. Ces deux représentations partagent un point commun : l’hypothèse que la présence de l’interlocuteur est souhaitée par la personne qui se scarifie, soit dans une demande de soin, soit dans une confrontation.

    Si la dissimulation/monstration des marques de scarification a fait couler beaucoup d’encre concernant la question de l’intentionnalité des auteurs de ces pratiques, il me semble absolument nécessaire de prendre aussi en compte la position et le désir de la personne qui voit ces marques. Les soignants et les parents interprètent en effet l’intentionnalité derrière ces marques en fonction de ce qu’ils ressentent eux‑mêmes, et choisissent plus facilement une explication qui légitime leur ressenti tandis que les adolescents peuvent par exemple insister sur une absence d’intentionnalité pour diminuer le risque d’une réaction agressive, une patiente déclarant ainsi : « ça sert à rien d’engueuler les patientes qui se scarifient c’est pas, c’est pas de leur faute, elle sont victimes de ce, de leur acte…. c’est… … c’est plus fort qu’elles ». La représentation de l’intentionnalité du patient résulte ainsi d’une négociation entre l’adolescent et son interlocuteur, la scène clinique qui se joue entre un soignant et un adolescent étant toujours co‑construite.

    Conclusion

    Pour conclure notre courte analyse historique des discours psychiatriques et psychanalytiques sur les scarifications et les automutilations, nous pouvons noter que les premiers discours psychiatriques sur l’automutilation en France s’articulent principalement autour de deux modèles. D’un côté, l’automutilation « choisie », œuvre de « simulateurs », dans le but de manipuler l’environnement, par exemple pour se soustraire au service militaire, et de l’autre l’automutilation « subie », œuvre d’« aliénés » et conséquence de leurs faibles capacités psychiques. À la même époque, la littérature psychiatrique anglo‑saxonne situe plutôt l’automutilation du côté de la folie. Menninger poursuit l’étude des automutilations comme un ensemble de pratiques hétérogènes mais reliées par un fonctionnement psychique commun. Il s’appuie pour sa part sur des concepts psychanalytiques et présente l’automutilation comme le reliquat de « tendances primitives » (Menninger, 1935, 439) et le résultat d’un compromis entre les pulsions destructrices du Surmoi et les pulsions d’auto‑conservation.

    Parallèlement à ces tentatives de trouver une explication homogène à l’ensemble des pratiques hétérogènes d’automutilation, d’autres articles prennent pour objet une forme très particulière d’automutilation : les auto‑incisions cutanées et superficielles, que nous nommons, dans cet article, scarifications. Un premier article en ce sens est écrit en 1913 par Louville Emerson, un psychanalyste non médecin, mais c’est surtout dans les années 1960 qu’un ensemble de psychiatres et psychanalystes présentent la scarification comme un geste automutilatoire typique, effectué par un type de patient typique. Il s’agit donc du premier moment où la scarification devient un objet d’étude spécifique et est décrite comme forme paradigmatique d’automutilation. À partir de l’analyse quantitative de l’évolution de la visibilité de la scarification dans les médias et dans les revues psychiatriques et psychanalytiques (Whitlock et al., 2009 et auteur), nous pouvons faire l’hypothèse que c’est l’apparition de ce corpus de textes à la fin des années 1960 qui marque la naissance d’un champ de recherche spécifique sur les scarifications, en psychiatrie et en psychanalyse, en même temps qu’une inflation de l’intérêt médiatique pour ces pratiques. La socialisation de ces pratiques ne suivrait que quelques années plus tard, dans les années 1990 aux Etats Unis (Adler et Adler, 2007 ; Hogson, 2004) et dans les années 2000 en France (Brossard, 2014). Concernant l’augmentation réelle ou non des scarifications ces dernières années, notons qu’une méta‑analyse récente affirme que la prévalence des scarifications est restée stable entre 1993 et 2012 et que les différences de pourcentage des études épidémiologiques dans cette période s’expliqueraient majoritairement par des différences méthodologiques (Swannell et al., 2014). Autrement dit, une étude épidémiologique utilisant exactement la même méthodologie en 1993 et en 2012 obtiendrait probablement les mêmes résultats. Une autre étude se focalisant sur la période de 2005 à 2011 aboutit à la même conclusion d’une prévalence stable au cours des années (Muehlenkamp et al., 2012[34]).

    Concernant le lien entre les discours psychiatriques et psychanalytiques d’une part et les discours médiatiques de l’autre, nous développerons juste un exemple qui nous semble révélateur. Dans son article publié en 1969, Pao écrit dans une note de bas de page, à propos des circonstances de la scarification d’une de ses patientes : « les évènements qui entraînent cette scarification sont étonnamment similaires à la description de Deborah Blau donnée par Green (1965, 50‑51) » (Pao, 1969, 200). Il fait alors référence à un livre d’inspiration fortement autobiographique, publié en 1964 par Joanne Greenberg sous le pseudonyme de Hannah Green (Greenberg, 1964), et adapté dans le film I Never Promised You a Rose Garden par A. Page en 1977. Ce roman suit le parcours d’une jeune fille de 16 ans nommée Deborah Blau, qui entre dans un hôpital psychiatrique privé après un épisode de « scarification [wrist cutting] stupide et théâtrale » (Greenberg, 1964, 16), et insiste sur le fait qu’elle « ne faisait pas de tentative de suicide, mais appelait à l’aide » (Greenberg, 1964, 40). Dans l’épisode cité par Pao, Déborah se coupe alors qu’elle se sent de plus en plus éloignée de la réalité extérieure, ce qui provoque une tension, que la scarification apaise : « Il n’y avait pas de douleur, seulement la sensation désagréable de la résistance de sa chair » (Greenberg, 1964, 51). On retrouve ici une forte similitude avec les épisodes de scarification de Miss A, décrits par Emerson : Miss A. se scarifie à chaque fois qu’elle a un « sentiment d’étrangeté [queer feeling] » (Emerson, 1913, 43) qui provoque une tension et une migraine, que la scarification apaise. Dans le roman de Joanne Greenberg, l’héroïne reçoit l’aide dont elle a besoin, grâce à une psychiatre douée, bienveillante et célèbre, inspirée de Frieda Fromm‑Reichmann, qui était la psychiatre de l’auteure (Brickman, 2004, 94). Dans cet exemple, comme dans la représentation de la « jeune femme scarificatrice » construite dans les années 1960, la patiente qui se scarifie est débordée par ses émotions, ne comprend pas ses propres actes, et ne parvient à arrêter de se scarifier que lorsqu’elle accepte de faire confiance à sa psychiatre et de suivre la thérapie dont elle aurait besoin : hors de la psychiatrie, point de salut.

    Un autre signe de l’interdépendance entre discours psychiatrique et discours médiatique se retrouve aussi dans la préface du livre de Joanne Greenberg, écrite par Karl Menninger en 1964, où celui‑ci assure au lecteur que le roman « aura un effet positif sur beaucoup de personnes qui ne réalisent pas que ce type d’exploration [psychiatrique et psychanalytique] peut être réalisé et peut entraîner de telles conséquences [la guérison du patient] ». Les discours de Pao, Greenberg, Emerson et Menninger se croisent, se renforcent et se valident les uns les autres : Pao en mélangeant son étude de cas avec la fiction de Greenberg sans plus de commentaire et Menninger en utilisant le livre de Greenberg comme promotion du travail psychiatrique et psychanalytique. Comme le souligne Barbara Brickman, il existe un continuum entre les discours psychiatriques et médiatiques concernant les scarifications (Brickman, 2004, 94), continuum non seulement quantitatif, en terme du nombre de discours produits sur le sujet, mais aussi qualitatif, concernant la manière dont ce sujet est traité.

    À partir des années 1960 émerge ainsi une représentation de « l’automutilatrice typique », portée uniquement par des psychiatres masculins. La construction de cette représentation genrée s’établit par l’exclusion des cas de scarifications masculines[35] et par une absence totale d’analyse des ressentis du clinicien. Cette construction s’appuie par ailleurs sur de nombreux stéréotypes propres à cette époque et inscrits socialement, notamment par rapport aux représentations du « féminin » et du « primitif ». Par ailleurs, si la relation thérapeutique entre le psychiatre et sa patiente est parfois évoquée, l’ensemble de ces articles prend comme objet d’étude principal la pratique des scarifications et le fonctionnement psychique des patientes. Ces dernières années, plusieurs auteurs anglo‑saxons, proches de la sociologie, ont proposé une historicisation et une contextualisation de la théorisation des scarifications (Brickman, 2004 ; Chaney, 2017; Gilman, 2012 ; Millard, 2013 ; Steggals, 2015). Ce type d’approche reste néanmoins quasi inexistant dans le champ de la psychanalyse d’une part et en France d’autre part (avec l’exception de la thèse de Pablo Votadoro (2011)).

    Les discours psychiatriques et psychanalytiques sur les scarifications ont bien entendu évolué depuis les années 1960 et se sont différenciés notamment avec l’apparition des thérapies cognitivo‑comportementales en psychiatrie[36]. Néanmoins, ce premier corpus de texte des années 1960 a laissé sa marque sur les discours actuels, particulièrement sur la représentation genrée de cette pratique.

    Pour ne donner que quelques exemples parmi la littérature contemporaine sur les scarifications, plusieurs auteurs et autrices considèrent plus ou moins explicitement que « la majorité des automutilateurs sont des femmes célibataires » (Suyemoto, 1998, 542)[37]. Des statistiques sont affirmées sans aucune référence, ni justification : « 80% des automutilateurs sont des automutilatrices » (Neuburger, 2006, 146)[38] et l’étude des personnes qui se scarifient se transforme facilement en une étude des femmes qui se scarifient : « La signification de la scarification pour un individu particulier peut seulement être approchée par une analyse précautionneuse […]. Comprendre les raisons pour lesquelles une femme se scarifie est la première étape pour lui permettre de trouver d’autres moyens, moins violents, d’exprimer sa détresse et de diminuer sa douleur » (Motz, 2010, 64).

    Ces représentations genrées peuvent alors distordre la réalité. Manuelle De Luca, qui a soutenu sa thèse intitulée « Scarifications et féminité : approche psychopathologique et psychanalytique » en 2010, fait référence dans un article à la thèse de Charles Blondel sur les automutilateurs, publiée en 1905 et que nous avons évoqué précédemment. Manuelle De Luca écrit à propos de Blondel : « Bien que le terme de scarifications n’apparaisse pas dans sa thèse, un des cas de jeune femme qu’il rapporte correspond à une description précise de scarifications : “écorchures si profondes qu’elles entamaient le tissu cellulaire sous‑cutané” » (De Luca et al., 2012, 640). Or, Blondel ne parle pas d’une femme mais d’un homme :

    « Un stupide qui s’était déjà écrasé volontairement le pouce et en avait subi l’amputation sans éprouver aucune douleur, introduisit son index dans le foyer d’un poêle et l’y laissa jusqu’à intervention des surveillants. Ce malade semble du reste avoir été sujet à de véritables crises auto‑mutilatrices, car dans la suite il se fit au cou et à l’avant‑bras des écorchures si profondes qu’elles entamaient le tissu cellulaire sous‑cutané » (Blondel, 1905, 50).

    Nous voyons ici comment les représentations associées à la scarification en viennent à déformer la lecture et les observations pour les faire correspondre à des représentations pré‑conçues. Quelques articles pointent l’existence de ce stéréotype mais sans vraiment le remettre en cause : « On peut remarquer que peu d’études [sur la scarification] ont inclus des hommes, et particulièrement des garçons, dans leurs échantillons » (Laye‑Gindhu & Schonert‑Reichl, 2005, 448). Une méta‑analyse récente qui s’appuie sur 25 études, mais qui n’est pas apparue dans notre corpus, indique qu’environ 38% des personnes qui se sont déjà scarifiées au moins une fois dans leur vie sont des hommes (Bresin & Schoenleber, 2015)[39]. Si cette méta‑analyse confirme que la majorité des personnes qui se scarifient sont des femmes, le pourcentage d’hommes est loin d’être négligeable.

    Il nous semble en conséquence particulièrement important de développer, tant en psychanalyse qu’en sociologie, une approche réflexive et historicisée des théories produites sur les scarifications, comme cela a pu être le cas avec les concepts de sexe et de genre (Laqueur, 1992 ; Scott, 1986).

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    [1]. Cette prévalence (environ 1 adolescent sur 6) peut sembler très élevée à de nombreuses personnes, qui n’ont jamais connu d’adolescents se scarifiant. Il me semble ainsi important de préciser qu’à partir du moment où j’ai commencé à travailler sur les scarifications et, forcément, à évoquer occasionnellement ce travail dans le cadre de ma vie privée, j’ai rencontré beaucoup de personnes, qui entendant parler de mon objet de recherche, m’ont raconté s’être elle‑même scarifiées quand elles étaient adolescentes, sans en avoir nécessairement discuté avec d’autres personnes à cette époque.

    [2]. Sur ce point, la psychanalyste Gillian Straker (2006), en s’appuyant sur les propos de personnes qu’elle connait dans sa vie privée, propose une explication intéressante qui prend en compte l’interaction entre l’adolescent et la personne qui l’écoute. Selon elle, les personnes qui se scarifient « sont tout à fait capables d’exprimer clairement leurs sentiments » (p. 99). Ce qui leur fait défaut n’est pas la capacité à utiliser le langage mais plutôt l’assurance que le langage verbal reproduise suffisamment fidèlement ce qu’elles ressentent et est un moyen efficace de communiquer leurs émotions à d’autres personnes.

    [3]. Je ne suis pas le premier à m’étonner de cette différence. En Angleterre, dans les années 1990, plusieurs personnes qui se scarifient se regroupent, militent et prennent la plume pour dénoncer des discours psychiatriques qu’elles considèrent très éloignés de leurs réalités psychiques (Cresswell, 2005)

    [4]. Ces deux discours ne sont évidemment pas les mêmes mais ils sont souvent associés dans les discours sociologiques. Si ces deux discours mériteraient d’être distingués et analysés différemment, l’association effectuée par les analyses sociologique est néanmoins favorisée par le fait que de nombreux auteurs qui écrivent sur les scarifications sont à la fois psychiatres et psychanalystes et qu’il est donc difficile de savoir s’ils parlent en tant que psychiatre ou en tant que psychanalyste.

    [5]. Traduction de ma part, pour cet ouvrage et pour tous les ouvrages et articles anglophones de cet article.

    [6]. Matthew Nock est le directeur du laboratoire de recherche clinique et développemental d’Harvard depuis 2011. Il n’est donc pas psychiatre mais ces écrits sont abondement cités dans la littérature psychiatrique (Favazza, 1987/2011 ; Hawton et al., 2012) sur les scarifications et il publie régulièrement dans des journaux psychiatriques (Nock et al., 2006).

    [7]. Il y a en effet toujours un attachement d’ordre affectif à la discipline dans laquelle nous choisissons de nous inscrire en tant que chercheur, et peut être même particulièrement en psychanalyse.

    [8]. Pour donner quelques exemples, fin 2016, une proposition de loi signée par une centaine de députés « invite le Gouvernement français à fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes, dans la prise en charge de l’autisme » (proposition de loi n° 4134, enregistrée à l’Assemble Nationale le 13 octobre 2016). Plus récemment, Didier Eribon invite à « échapper à la psychanalyse » et dénonce certaines de ses positions homophobes (Eribon, 2019).

    [9]. Ce point serait trop long à développer mais par exemple une tribune de Libération publiée en 2019 titre « Non, la psychanalyse n’est pas moribonde, elle se porte même très bien ». Autrement dit, le message adressé aux personnes qui critiquent la psychanalyse est le suivant : « circulez, y a rien à voir » (https://www.liberation.fr/debats/2019/04/10/non‑la‑psychanalyse‑n‑est‑pas‑moribonde‑elle‑se‑porte‑meme‑tres‑bien_1720557, visité le 17 juillet 2020).

    [10]. Ce qui est le cas de plusieurs des sociologues que nous avons cités.

    [11]. Comme l’illustre en 2011 puis en 2019 la sortie des films à charge contre la psychanalyse « Le Mur » puis « Le Phallus et le Néant », de Sophie Robert, qui déclare avoir voulu être psychanalyste avant de prendre le parti des détracteurs de cette discipline (https://le‑cercle‑psy.scienceshumaines.com/sophie‑robert‑la‑psychanalyse‑doit‑debattre‑de‑l‑autisme_sh_28164). À la suite de ce film, Sophie Robert publie une tribune le 22 octobre 2019 dans Le nouvel Obs où elle demande à ce que la psychanalyse soit exclue de l’enseignement universitaire et des expertises judiciaires (https://www.nouvelobs.com/justice/20191022.OBS20163/tribune‑pourquoi‑les‑psychanalystes‑doivent‑etre‑exclus‑des‑tribunaux.html, visitée le 16 juillet 2020).

    [12]. La psychiatre Allen Frances déclare : « De tous les comportements dérangeants de nos patients, l’automutilation est certainement le plus difficile à comprendre et à soigner […] Le clinicien ressent souvent un mélange de sentiments d’impuissance, d’horreur, de culpabilité, de colère, de trahison, de dégoût et de tristesse » (1987, 316). Et plus récemment, a psychologue Vered Bar‑On écrit « la rencontre avec les scarificateurs [cutters] fait partie des rencontres les plus difficiles pour le thérapeute » (2014, 702).

    [13]. La plupart des recherches sur l’automutilation se sont concentrées principalement sur les raisons pour lesquelles des adolescents se scarifient mais peu de recherches ont insisté sur la manière dont les réactions, représentations et affects de l’entourage s’articulent avec ces pratiques. Un certain nombre de recherches ont pris pour objet les relations parents‑enfants (Baetens et al., 2015) et quelques‑unes les réactions des soignants (Desaules et al., 2015) mais aucune de ces recherches n’a été conduite en France et ces études sont avant tout descriptives : elles présentent les différentes réactions, représentations et affects générées par les pratiques d’automutilation mais n’en proposent pas de théorie explicative.

    [14]. Le terme de « prise en charge », qui revient souvent dans les écrits psychiatriques et psychanalytiques, n’est pas neutre. Il renvoie notamment à une représentation selon laquelle la souffrance du patient « pèse » sur le soignant et est récupérée en partie avec ce dernier.

    [15]. Dans la suite de cet article, j’utilise la première personne du singulier lorsque je parle de ma propre expérience de recherche. J’utilise en revanche le « nous » de modestie lorsque j’analyse et théorise à partir des données obtenues.

    [16]. Le terme « automutilation » est plus largement utilisé par les auteurs de ces pratiques (Brossard, 2014) tandis que le terme de « scarification » est plus souvent utilisé par les professionnels du soin.

    [17]. Ce terme est surtout utilisé en Grande‑Bretagne et désigne à la fois les pratiques d’auto‑incisions cutanées mais aussi les tentatives de suicide telles que l’ingestion médicamenteuse volontaire.

    [18]. Le terme retenu dans la dernière version du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, manuel de référence de la nosologie psychiatrique mondiale.

    [19]. Pour une liste exhaustive des termes anglo‑saxons existants, voir R.R. Ross et H.B. McKay (1979).

    [20]. En remontant plus loin dans l’étymologie, le mot latin scarificare provient du mot grec « σκαριφασθαι », traduit aussi par « inciser » mais tiré du mot « σκαριφος », qui signifie « stylet » et a donné « stylo ». En Grèce antique, le stylet incisait la terre crue pour inscrire, écrire, se souvenir, externaliser de l’information et la stocker.

    [21]. Le vocabulaire choisi pour décrire l’effet du geste ne s’affranchit néanmoins pas d’un parti pris implicite. Ainsi, ce qu’on appelle « coupure » pourrait tout aussi bien s’appeler « ouverture ».

    [22]. Le verbe « infliger », du latin fligo : heurter, frapper, renvoie au concept de punition et de sentence.

    [23]. Cité par Votadoro (2011, 35). Cette idée qu’il existerait chez les humains une agressivité intrinsèque envers d’autres êtres vivants se retrouve notamment chez Freud quelques années plus tard lorsqu’il déclare : « si l’on nous juge selon nos motions de désirs inconscientes, nous sommes […] une bande d’assassins » (Freud, 1915/1981, 37).

    [24]. La sanction de l’automutilation remonte au code théodosien qui désigne par mutilus homo celui qui se coupait le pouce pour se soustraire au service militaire.

    [25]. L’automutilation est ainsi décrite comme le résultat d’un déficit intellectuel : « Les motifs et les circonstances des automutilations révèlent souvent l’extrême impressionnabilité du sujet ou même sa débilité intellectuelle et morale » (Blondel, 1905, 122).

    [26]. Bardamu, le personnage de Céline, parle ainsi des « blessés troubles » (p. 61) pour décrire les soldats ramenés du front pour être soignés autant que jugés par les médecins et qui sortent « discrètement pour s’en aller, soit vers l’asile d’aliénés, soit au front, soit encore assez souvent au poteau » (Céline, 2014, 62).

    [27]. Merci à Varet (2007) pour la découverte de cet article. Dans le cadre d’une enquête de terrain ethnographique de 9 mois dans une unité d’hospitalisation longue pour adolescents, j’ai pu constater que cette crainte, souvent justifiée, de la part des soignants de recevoir l’agressivité des familles lors de la découverte d’une automutilation est encore très présente.

    [28]. Jusqu’en 1920, Freud oppose les pulsions sexuelles aux pulsions d’autoconservation. À partir de 1920, il introduit une nouvelle dichotomie, cette fois ci entre les pulsions de vie (qui regroupe les pulsions sexuelles et les pulsions d’autoconservation) et les pulsions de mort (Freud, 1920/1981).

    [29]. Si Menninger ne cite pas du tout Emerson, il connait pourtant bien ce dernier et ses écrits puisque Menninger, assiste à une conférence sur la psychanalyse donnée par Louville Emerson en 1915 à l’hôpital général du Massachussetts. C’est cette conférence qui éveille l’intérêt de Menninger pour la psychanalyse et il approche Emerson à la fin de la conférence pour parler plus longuement avec lui (Chaney, 2017).

    [30]. Un livre publié récemment analyse les notes prises par Emerson durant ses thérapies et montre à quel point ce transfert a pourtant pu être important (Lunbeck & Simon, 2008).

    [31]. Il se distingue ici de Freud qui accordera une place importante à l’analyse de sa position et du transfert qui se déroule lors de l’analyse de Dora : (Freud, 1901/1997).

    [32]. Nous pouvons remarquer que le caractère séduisant est absolu, tandis que l’intelligence l’est moins (merci à Stéphane Héas pour cette remarque).

    [33]. Défini par Freud comme un « compromis entre deux motions d’affects ou motions pulsionnelles opposées dont l’une s’efforce de donner expression à une pulsion partielle ou composante de la constitution sexuelle tandis que l’autre s’efforce de réprimer la première » (Freud, 1973, 153).

    [34]. Pour plus de discussions sur ces questions, voir Cascarino (2020).

    [35]. Alors qu’une analyse de tous les cas cliniques publiés de personnes qui se sont scarifiés entre 1960 et 1980 a montré que, sur les 56 cas individuels identifiés, 27 étaient des hommes et 29 étaient des femmes (Pattison & Kahan, 1983) Pourtant, les cas d’hommes qui se scarifient sont bien moins connus et cités que ceux des femmes.

    [36]. Précisément, les travaux de la psychologue Marsha Linehan sur le « traitement » des troubles de personnalité limite (Linehan, 1993/2000) sont très fréquemment cités dans la littérature psychiatrique sur le « traitement » des personnes qui se scarifient (Nock et al., 2006; Walsh, 2005)

    [37]. Suyemoto utilise le terme de self‑mutilation mais écrit que « la majorité des automutilations sont des scarifications [self‑cutting] ».

    [38]. Neuburger parle d’automutilation mais écrit que ces « automutilations » sont « essentiellement des lacérations des avant‑bras et des cuisses ».

    [39]. Le chiffre de 38% n’apparait pas en tant que tel mais peut être calculé à partir de la prévalence des scarifications au cours de la vie calculée chez les femmes présentes dans les 25 études analysées (48%) et celle calculée chez les hommes (30%). Sur une population étudiée de 200 personnes, composées de 100 femmes et 100 hommes, il y aurait donc 48 femmes et 30 hommes qui se sont scarifiés au moins une fois dans leur vie. Le pourcentage d’hommes s’étant scarifiés au moins une fois dans leur vie, parmi l’ensemble des personnes qui se sont scarifiées au moins une fois dans leur vie est alors égal à 30/(30+48) = 38%.