La Pin‑up à l’atelier. Ethnographie d’un rapport de genre

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    Couveture La Pin‑up à l’atelier.

    La Pin‑up à l’atelier

    Ethnographie d’un rapport de genre

    Anne Monjaret

    Monjaret A., (2020), La Pin‑up à l’atelier. Ethnographie d’un rapport de genre, Grane : Créaphis éditions, 152 p., ISBN : 978‑23‑54281‑58‑8

    Compte rendu de Stéphane Héas

    Référence électronique

    Héas S., (2021), « La Pin‑up à l’atelier. Ethnographie d’un rapport de genre », La Peaulogie 8, mis en ligne le 07 mars 2022, [En ligne] URL : https://lapeaulogie.fr/pin-up-rapport-genre

    Cet ouvrage de 150 pages comporte douze chapitres aux volumes variables. Il vise à mieux comprendre les différentes fonctions de la présence de photos de pin‑up affichées dans des espaces de travail masculin(s). A. Monjaret présente ici les résultats d’une enquête ethnographique au long cours dans différents ateliers, notamment ceux d’établissements de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP‑HP). Ces ateliers sont souvent situés dans des lieux invisibles du grand public (en sous‑sol par exemple), mais aussi peu fréquentés par des membres extérieurs aux équipes de travail, comme les personnels soignants. Il s’agit donc d’espaces d’entre‑soi masculin pour les catégories ouvrières et techniciennes qui travaillent pour le fonctionnement matériel d’un hôpital.

    Dans l’introduction, l’autrice rappelle donc le parallèle avec d’autres lieux masculins où les pin‑up sont visibles : les chambrées militaires, les cellules des détenus, les ateliers des ouvriers, etc. D’ailleurs, des techniciens travaillant dans les hôpitaux peuvent provenir des équipages militaires. Autant d’espaces parfois strictement confinés où les relations masculines sont autoentretenues. Suivant R. Debray (1992), ces images sont appréhendées ici comme « puissance(s) agissante(s) » (p. 7). L’ethnographie a donc interrogé spécifiquement ces images, et « mesuré » leur importance ou non dans ces lieux de travail. La place dans le temps de ces images semble s’effriter ces dernières années. La thèse générale défendue soutient que ces images lient les travailleurs, d’âge et d’ancienneté variables dans un contexte masculin. Leurs fonctions sont égrenées tout au long de l’ouvrage. Elles rappellent l’importance du corps dans ces activités professionnelles : corps actifs des ouvriers versus corps passifs des pin‑up, corps usés et routiniers versus corps idéaux, fabuleux. Ces images contribuent aux relations de connivences qui renforcent la solidarité intragroupe, voire la virilité. Elles embellissent, aussi, le décor souvent terne de ces lieux ; elles semblent adoucir le temps qui passe par l’entremise de la beauté et la jeunesse affichées… La thèse précise que ces pin‑up n’ont pas de caractère sexuel actif. Dans la lignée des travaux de C. Favre (2012), ces images mobilisent les archétypes de la vierge et de la putain ; car ces photos dénudées ne sont pas les seules sur ces espaces de travail : les photographies de sports, mais également de la famille (conjointe, enfants), complètent le décor. Elles n’apportent sans doute pas au même degré le réconfort que ces mêmes images dans les contextes de guerre. A. Monjaret poursuit et adapte les analyses de B. Mary (1983) pour qui ces images ont constitué une occupation pratique et mentale en situation de guerre. En faisant, un jeu de mots facile avec ces pin‑up, il ne s’agit pas essentiellement ni directement d’onanisme mais plutôt des formes d’onirisme. Les images occupent l’espace en même temps que les esprits des hommes qui y travaillent. La présence de ces images de femmes dénudées dans la société française évolue avec le développement de l’internet, et plus fondamentalement sans doute par l’évolution de la place des femmes sur le marché du travail. En ce sens, les hiérarchies hospitalières composent avec ces usages traditionnels, plutôt en perte de vitesse. Lors des visites prévues ou plus impromptues de la hiérarchie mais aussi de l’enquêtrice, les images sont dissimulées, minimisées par les personnels eux‑mêmes. Surtout, l’argumentation que ces images sont exposées par une minorité des techniciens complexifie le tableau ethnographique décrit. Ces pin‑up ne sont pas le plus souvent revendiquées comme absolument essentielles. Le plus souvent, les images mêmes sont anciennes, lessivées par le temps qui passe. Sans constituer un objet explicite de débat entre les techniciens, les goûts des uns ne sont pas toujours les goûts des autres membres de l’équipe.

    Les chapitres de l’ouvrage précisent l’histoire de la présence de ces images de femmes nues, le plus souvent d’une manière « soft », érotique plutôt que pornographique. Le marché autour de ces images n’est pas la moindre de leurs caractéristiques. Des fournisseurs de matériels ou de services se sont emparés de ces modèles de dénudement pour fidéliser leurs clients, renforcer une connivence avec les services, etc. Ces cadeaux sous forme de calendriers – le calendrier Pirelli constituant LA référence indétrônée ‑ par exemple ne sont donc pas anodins ; ils participent d’échanges professionnels et commerciaux entre hommes, entre services et entreprises. Ce marché n’interdit pas les jeux avec ces images licites mais de plus en plus en porte‑à‑faux avec les relations humaines censées être bienveillantes entre hommes et femmes. Les propositions « concurrentes » des calendriers d’hommes nus par exemple confirment l’évolution des relations genrées, et par conséquent modifient les relations aux images de pin‑up. A. Monjaret interroge sa place de chercheuse sur ces terrains masculins et a su, elle aussi, jouer avec ces images de nues pour recueillir les variations même d’appréhension de ces images sur ses terrains. Ne pas montrer sa surprise, voire son opposition à tel commentaire sur une pin‑up, a servi la récolte d’obtenus inédits, moins conventionnels.

    Les questions de la peau parcourent en filigrane cette ethnographie des ateliers lorsque les poils sont visibles ou non, lorsque les chevelures ou les couleurs de peau sont particulières. « Sous le regard des hommes » (p. 36) l’érotisation vs. la désérotisation des corps féminins est signalée par la présence des poils pubiens ou leur absence qu’elle concerne les pin‑up photographiées, tout autant que dessinées. Le poil pubien entre autres a été l’objet attentif de la censure, et suivant les époques il a pu apparaître ou au contraire être « gratté »… La présence de la peau est aussi à l’œuvre à partir de sa couleur. Tel service hospitalier valorise, ainsi, les pin‑up « filles des îles » pour établir une connivence imaginaire avec les origines outremarines des personnels. Les chevelures longues subsument les connotations sexy des pin‑up. Cet arrangement des genres analysé par E. Goffman à propos des publicités intervient ici aussi, dans ces photographies de calendrier notamment qui constituent des vecteurs publicitaires autant que des marqueurs de masculinité.

    Cet ouvrage est une porte d’entrée tout à fait intéressante pour mieux comprendre comment des images qui peuvent paraître anecdotiques au premier regard constituent des éléments essentiels de l’identité d’hommes au travail. Il permet grâce à l’amplitude temporelle de mesurer les évolutions des activités professionnelles, de la construction et de l’appréhension par le regard masculin des corps féminins et, in fine, des relations genrées…